Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Des alliances, avec qui, pourquoi, comment ?

La seule échéance qui compte réellement pour le PQ et ses alliéEs ce n’est pas l’échéance référendaire mais l’élection de 2018. La campagne pour battre les libéraux va s’intensifier en jouant sur l’amalgame avec l’alliance des souverainistes. Il faut donc pousser plus loin la question du projet de souveraineté et du projet de société comme base d’un projet de convergence et regarder qui sont les véritables alliéEs dans cette bataille.

Des alliances ; avec qui, pourquoi, comment ?

Des alliances entre partis nécessitent d’abord une convergence politique, à tout le moins en ce qui nous concerne au Québec, sur un plan d’accès à la souveraineté. Ensuite sans mode de scrutin proportionnel, cette possible alliance devient difficile, sinon impraticable entre partis qui n’ont pas la même taille. En pratique les appels à une alliance avec le PQ camouflent une réalité qui est celle de la marginalisation de QS, laquelle aurait pour conséquence un affaiblissement de sa base politique et électorale.

Si l’enjeu est de battre les libéraux alors selon le mode de scrutin actuel il est nécessaire comme l’explique Denis Monière (dans Le Devoir du 160217) de penser à un système de distribution des circonscriptions. Il rejette la solution des primaires : « celle-ci s’avère impraticable, puisqu’elle avantagerait systématiquement le parti qui a le plus de membres ou qui est le mieux organisé. Cette compétition préélectorale dans le cadre d’assemblées d’investiture conjointes ne produirait que plus de division et d’acrimonie et serait contre-productive sur le plan électoral ».

Il propose de protéger les acquis de chaque parti, 30 circonscriptions pour le PQ et 3 pour QS. Ensuite il suggère une répartition des 92 restantes selon le pourcentage de votes obtenus en 2014. Ce qui donnerait 69 au PQ, 19 à QS et 4 pour ON. Donc 22 au total pour QS.

Mais la réalité est toute autre, si on entre dans ce jeu la pression pour battre les libéraux imposera une logique implacable, c’est le parti le plus fort qui doit présenter des candidats partout, sauf probablement les 3 contés déjà acquis pour QS. D’ailleurs le PQ n’a pas intérêt ni l’intention d’agir ainsi. Laisser à QS la possibilité de croître représente un péril pour son image politique et ultimement pour sa survie, QS prenant la place du défenseur de la population et du seul promoteur d’une véritable perspective souverainiste. D’ailleurs ses visées sont beaucoup plus du côté de la CAQ. Placé devant le fait de voir rétrécir à ce point les candidatures, il serait fort étonnant de voir l’électorat sympathique à QS suivre une telle stratégie. Cela pourrait même mettre en péril les circonscriptions déjà acquises. Mercedez Roberge (ex présidente du Mouvement Démocratie Nouvelle) réfute d’ailleurs une telle vision : « Denis Monière se trompe. Sa proposition "d’organiser la concurrence" entre les partis /circonscriptions réduirait nos choix sur le bulletin de vote ce qui mettrait la démocratie après l’intérêt national ».

On assisterait à un affaiblissement de la démocratie jumelé à un affaiblissement politique de la société. En acceptant la logique de la division du vote, on accepte l’idée que ce sont les petits partis qui doivent finalement céder le pas. La démocratie n’est pas bien servie et le débat politique non plus.

D’autres proposent de conserver à QS un nombre de comtés substantiel mais de s’entendre avec le PQ sur quelques comtés où le PQ juge essentiel d’avoir le champ libre et la même chose pour QS. Selon cette hypothèse cela pourrait permettre à QS d’augmenter sa députation en ciblant les comtés où nous espérons faire des gains. Le PQ calculera les où le vote QS l’empêche de gagner. Au final on arrivera forcément sur les mêmes cibles. On pourrait multiplier les scénarios mais ce qui demeure, c’est l’incontournable nécessité d’avoir une convergence politique comme prémisse à une alliance électorale.

Le PQ sa réalité et sa stratégie

On ne peut s’en tenir à cibler Péladeau comme responsable de la politique actuelle du PQ. Ce serait faire l’économie du bilan de ce parti et simplifier ses positions politiques à l’influence d’une seule personne. Il est tout de même significatif que la base du PQ ait choisit Pelardeau comme chef. En comparaison Martine Ouellet qui représente le courant social-démocrate n’avait obtenu que 20% des voix. Cela indique assez bien la réalité de ce parti et le faible poids de ce courant.

Lors de la course à la chefferie du PQ, Pierre Paquet ancien député du BQ avait affirmé que l’approche du PQ envers QS ne devait pas viser nécessairement la direction mais surtout son électorat. Afin de bien souligner la responsabilité de QS dans les reculs que fait subir actuellement le gouvernement libéral à la population Jean-François Lisée affirmait en entrevue à La Presse (16 02 20) : « Si on avait obtenu la moitié des votes de Québec solidaire en 2014, on serait actuellement dans la quatrième année d’un gouvernement Marois majoritaire ! ».

Il faudrait rappeler à monsieur Lisée que le PQ a lui-même déclenché des élections après 18 mois de pouvoir en contradiction de sa propre loi. S’il avait déployé la même énergie dans des appels à la population à soutenir des projets comme la réappropriation de nos ressources minières par exemple, que celle investie dans sa campagne identitaire, il aurait pu travailler à isoler les libéraux et se maintenir au pouvoir jusqu’en septembre 2016. Ou à tout le moins il aurait eu le mérite d’avoir livré bataille et se serait placé dans une position pour aller chercher des alliéEs.

Reprenant l’idée de Pierre Paquette il ajoute : « Pierre Karl a pris la bonne décision, continuer à tendre la main à QS même si la direction du parti est réfractaire. Il y a, dissèque-t-il, la direction de Québec solidaire, les militants, et il y a les électeurs. Nous, on parle à tous. » Oui, surtout aux électeurs, quant aux alliances, la cible réelle est de toute évidence ailleurs.

Le PQ un parti néolibéral

Le Parti Québécois a instauré des changements majeurs dans la société québécoise qui révèlent la réalité de son projet politique. Il a été le premier à freiner de façon durable l’essor du mouvement syndical au début des années 1980, il a débuté la déstructuration du secteur public sous Lucien Bouchard et cela aussi avec des conséquences durables et il soutient le libre-échange qui est à l’opposé de contrôle souverain d’un État sur son économie et son environnement.

Son offensive anti-syndicale de 1982-1983

Selon le professeur Jacques Rouillard spécialisé en histoire du syndicalisme, cette offensive a placé pour la première fois les syndicats sur la défensive depuis la montée du syndicalisme dans les années 1960 : « La défaite des syndicats des secteurs public et parapublic, qui étaient à l’avant-garde du mouvement syndical jusque-là, marque l’entrée dans une nouvelle époque où ils sont acculés à la défensive. » Ce coup de force a tracé la voie à suivre, les différents gouvernements continueront par la suite d’utiliser abondamment les lois et la menace de loi spéciale comme moyen de pression contre les syndicats.

Le gouvernement Lévesque demandait la réouverture de la convention collective des employés de l’État et l’annulation de l’augmentation salariale prévue pour l’année en cours. De plus, il menaçait de licencier 17 430 fonctionnaires.

Au plus fort de la récession économique, un an avant l’échéance des conventions collectives et sans qu’il y ait eu négociation, le gouvernement fixait, par décret, les conditions de travail de ses 320 000 employés et adoptait 3 lois spéciales :

 la loi 68 qui entraîne la désindexation des régimes de retraite ;
 la loi 70 qui impose des coupures de salaire de 20% et un gel de l’échelon d’expérience ;
 la loi 72 qui crée le Conseil des services essentiels.

Le draconien projet de loi no 111 est venue donner un coup de massue à ces derniers. Il ordonnait leur retour au travail sous peine de congédiement discrétionnaire arbitraire, de perte d’ancienneté et de salaire ainsi que de suspension des droits syndicaux. Pour donner libre cours à cette loi, le gouvernement a mis en veille la Charte des droits et libertés de la personne. [1]

Le déficit zéro de Bouchard en 1996

En plus d’imposer des mesures d’austérité drastiques qui ne s’appliquaient qu’à la classe populaire, ces mesures ont eu pour effet de déstructurer de façon durable les services publics québécois. Les effets des mises à la retraite en Santé et en Éducation sont encore ressentis aujourd’hui.

Lors du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, le premier ministre Lucien Bouchard parvient à dégager un consensus sur l’urgence de faire le ménage dans le Trésor du Québec. Son gouvernement pond une politique qui vise à faire passer le déficit de 3,9 milliards $ à 0 $ en quatre ans. Au même moment, le Québec est frappé d’une réduction de 2,2 milliards $ de ses transferts fédéraux.

Le programme de mise à la retraite a entraîné le départ de 30 464 salariés directs ou indirects. Le secteur de la santé et des services sociaux s’est vidé de près de 10 % de son effectif.

En 2012, après 10 ans de régime d’austérité du gouvernement Charest, le premier budget du ministre des finances du PQ Nicolas Marseau allait dans la même direction et proposait l’atteinte du déficit zéro en trois ans.

Son appui au libre-échange

S’il est une question qui soumet les gouvernements aux dictats des compagnies multinationales et limite considérablement leur souveraineté, c’est bien celle des accords commerciaux multilatéraux comme le sont les traités de libre-échange.
À cet effet le « libre-échange » version néolibérale des États-Unis, de Reagan à Bush, comprenait trois éléments essentiels : déréglementation, privatisation et libéralisation. Les Américains tenaient à l’ALÉNA pas tant pour la libre circulation des biens et des marchandises que pour le libre investissement, la libre circulation des capitaux, et la commercialisation des services.

En 1985, le couple Mulroney-Reagan annonce de façon impromptue le lancement des négociations pour la signature d’un accord de libre-échange entre les deux pays.
À la surprise de tous, l’élite intellectuelle du Parti québécois prend fait et cause pour le libre-échange. Bernard Landry, qui avait perdu son comté en 1985 et était devenu professeur d’économie internationale, commet un livre en 1987, intitulé : Le commerce sans frontières, le sens du libre-échange, dans lequel il se propose d’expliquer au peuple pourquoi le Québec doit appuyer ce projet. Il évoque deux raisons, l’une économique, l’autre politique. L’argument économique : un petit pays comme le Québec a besoin d’un grand marché garanti. L’argument politique : un traité de libre-échange avec les États-Unis mettra le Québec à l’abri de représailles commerciales ou économiques du Canada anglais à la suite d’une déclaration de souveraineté. Pendant tout le temps qu’a duré le débat, de 1985 à 1988, Bernard Landry est devenu le conférencier vedette du Conseil du patronat qui adhère corps et âme au projet de Mulroney. Jacques Parizeau est aussi entré en campagne pour le libre-échange. [2]

En continuité avec cette politique, Jean-François Lisée à l’époque ministre québécois des Relations internationales et du Commerce extérieur, défendait en 2013 l’entente commerciale en discussion entre le Canada et l’Europe.

La place de QS et les coalitions

Devant l’échec de la stratégie péquiste, la perspective de Québec solidaire d’accès à la souveraineté liée à son projet social prend maintenant toute son importance. Elle doit être mise de l’avant non seulement dans nos discussions avec les organismes de convergence souverainistes comme le Oui Québec mais dans la société en général de façon à nous placer comme porteurs d’un projet et d’une perspective politique qui embrasse les aspirations de la classe populaire. C’est avec les secteurs de la société civile mobilisés, syndicats, groupes de femmes, groupes environnementaux, groupes de défense des droits sociaux, groupes représentants les minorités culturelles, que nous allons gagner ce pari.

Cette perspective inclue l’engagement à établir un système de vote proportionnel, la mise en place d’une assemblée constituante et la tenue d’un référendum dans un premier mandat. Nous avançons également nos axes de travail prioritaires renvoyant directement à la question de la souveraineté du Québec et autour desquels pourraient se concrétiser des mobilisations citoyennes comme la lutte contre le pipeline Énergie est et pour la préservation d’Anticosti ; la lutte contre le traité de libre-échange Asie\Pacifique. Ce n’est pas une base de négociation, ni une posture pour démontrer le refus du PQ. Nous avons une perspective et une stratégie, les voici. Est-ce que le PQ en a une ? De quelle convergence parle-t-on surtout avec un parti qui n’a aucun plan autre que son élection ? Il est contre la réforme du scrutin parce que cela nuit à son élection et il a sabordé lui-même ses possibilités d’un référendum gagnant à court terme avec sa campagne identitaire. Tous les scénarios d’alliances pour la souveraineté avec le PQ élaborés jusqu’ici ne sont que de la politique fiction qui ne reposent sur aucune base politique réelle. Tout ce qui reste c’est battre les libéraux en 2018, mais pour les remplacer par quoi ?

Une coalition des forces militantes est souhaitable et utile lorsqu’elle a un objectif précis comme la lutte contre les politiques d’austérité, pour la justice sociale et la réappropriation de nos ressources naturelles. Mais sur le plan politique si le Québec a besoin de clarté, on doit faire le constat que le PQ a largement démontré sa faillite tant sur le plan social que sur le plan d’accès à la souveraineté. Il ne représente plus qu’une variante à saveur souverainiste du projet néolibéral défendu par les libéraux et la CAQ.


[1Le Syndicalisme québécois : deux siècles d’histoire, 2004. Jacques Rouillard. Histoire de la FTQ, 1965-1992 : la plus grande centrale syndicale au Québec, 1994. Louis Fournier.

[2Analyse tirée de À Babord avril 2003, Le PQ et le reniement social-démocrate, une entrevue avec Jacques B. Gélinas

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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