Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Écosocialisme

Principe No.4

Définanciariser l’énergie pour en reprendre le contrôle

En plus d’être sous la main-mise de quelques spécialistes, les choix énergétiques comme les projets de recherche fondamentale ou appliquée, les décisions d’investissements dans la production et le transport de l’énergie sont de plus en plus le fruit de seuls arbitrages de rentabilité économique et financière dictés par les multinationales et marchés financiers. L’énergie, notamment les combustibles fossiles, en plus d’être devenue une marchandise comme une autre, est aujourd’hui un simple actif financier échangé sur les marchés internationaux. Une étude [1] de 2006 a établi que pour un seul baril de pétrole réel échangé sur le marché londonien du pétrole [2] correspondent 570 barils papier. Si, pendant longtemps, la spéculation sur les matières premières s’est déroulée sur les marchés spot [3], aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les combustibles fossiles sont devenus une des convoitises des hedge funds, encouragés par la dérégulation de ces vingt dernières années et des taux d’intérêt très faibles, qui ont parié sur leur hausse depuis 2002 en achetant toujours plus de contrats à terme. Finalement, des stratégies financières de plus en plus sophistiquées, ayant peu à voir avec les fondamentaux de satisfaction de l’offre et de la demande en combustibles, pas plus qu’avec la satisfaction des besoins des populations, déterminent les cours des énergies fossiles.

La financiarisation de l’énergie est arrivée à un point tel que les entreprises du secteur tirent une proportion croissante de leurs revenus des marchés financiers. Elles ont intégré des pratiques de spéculation financière qui peuvent contrevenir à l’intérêt général : investissements dépendant des taux de rentabilité exigés par les marchés financiers, sous-investissements productifs... Cette financiarisation de l’énergie s’accompagne de la privatisation des circuits de distribution, comme nouvellement ceux du gaz et de l’électricité en Europe. Sous couvert de création d’un marché global intégré de l’énergie promu par l’Union européenne21, les infrastructures de gaz en Europe sont souvent cédées à des banques ou des hedge funds, dont l’énergie n’est pas le coeur de métier, mais qui obtiennent ainsi plus de latitude pour intervenir directement sur les marchés de l’énergie.

La financiarisation de l’énergie explique également pourquoi les entreprises d’extraction d’énergies fossiles ne peuvent arrêter de prospecter tout azimuts de nouveaux gisements potentiels. C’est autant en fonction de leurs bilans financiers que des réserves prouvées qu’elles peuvent annoncer en fin d’exercice, que s’établit la confiance des investisseurs et donc leur valorisation boursière. L’ensemble de ces réserves de pétrole, gaz et charbon est valorisé aux environ de 4600 milliards de dollars, faisant des entreprises de l’énergie des poids lourds des indices boursiers. Plus précisément encore, leurs poids se renforcent, notamment sur les marchés financiers de Londres (pétrole) et de New York (charbon) comme le montre le nouveau rapport de Carbon Tracker22.

Ces entreprises constituent un secteur structurellement climato-sceptique, puisque leur pérennité boursière et financière suppose de poursuivre sans limite de nouvelles explorations et de nouveaux forages, sans tenir compte des exigences climatiques. Ainsi peut s’expliquer pour partie l’actuelle frénésie extractive autour des pétroles et gaz non conventionnels. A quoi il faut ajouter la façon dont les entreprises juniors se précipitent sur de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures pour les revendre au meilleur prix sur la base d’annonces de découvertes souvent hâtives et exagérées. Pour rentabiliser ses investissements, l’industrie des pétroles et gaz de schiste doit multiplier le nombre de puits de façon exponentielle, chaque nouveau puits remboursant l’investissement des précédents, selon un modèle s’approchant des fameuses chaînes de Ponzi23, escroqueries financières insoutenables dans le temps.

Définanciariser l’énergie suppose de réduire drastiquement l’emprise des logiques financières sur les grands choix énergétiques en introduisant deux types de mesure : d’un côté, des régulations financières draconiennes telles que l’interdiction des produits financiers dérivés et/ou indexés sur les énergies fossiles et, de l’autre, des normes précisant une quantité maximale, basée sur les exigences climatiques, d’énergies fossiles qu’il serait autorisé d’extraire.


[1Revue économique et politique américaine Executive Intelligence Review

[2International Petroleum Exchange (IPE), créé en 1980 et basé à Londres

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