Nous vivons des temps durs, marqués par des inégalités croissantes entre une minorité privilégiée, qui a profité de la crise pour s’enrichir, et une énorme majorité de personnes qui voient leur vie devenir chaque fois plus précaire, et leur voix ignorée. Cette réalité-là n’est pas fortuite : c’est le résultat des politiques menées par les gouvernements respectifs de la Catalogne et de l’Espagne, tandis que nous découvrions leur responsabilité directe dans un grand nombre de cas de corruption. Et pour couronner le tout, l’Etat espagnol a voulu étouffer les aspirations démocratiques légitimes de la Catalogne en attaquant notre auto-gouvernement, notre culture, notre langue.
Mais le peuple citoyen n’est pas resté les bras croisés, ne s’est pas découragé. Ces dernières années, beaucoup de gens se sont mobilisés en défense des droits sociaux et des droits nationaux. Ils se sont mobilisés dans la rue (en manifestant, en faisant grève, en impulsant des initiatives législatives populaires...), en défense de ce qui est et devrait être à tous et à toutes, en revendiquant le bien commun (services publics, droit au logement, un travail digne, un environnement naturel habitable...). De même, ils se sont mobilisés face aux institutions. Les dernières élections municipales du 24 mai ont démontré que l’exigence populaire d’une alternative est majoritaire, et que gagner pour changer les choses devient possible. Les choses sont déjà en train de changer. Oui, nous pouvons. Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, il est possible de gagner et de faire les choses de manière radicalement différente. Oui, nous pouvons ; nous pouvons placer les hommes et les femmes de ce pays en position de protagonistes de la transformation sociale, pour améliorer le bien-être de la majorité de la population.
A présent, il est nécessaire que cette vague de changement, de rêve et d’espoir arrive partout en Catalogne : il est nécessaire d’articuler cette majorité pour pouvoir construire une alternative capable de gagner ; une alternative reposant sur la somme et l’union des mouvements sociaux, sur la pluralité et la diversité, sur une complète participation démocratique par en bas, sur la parité des genres, sur l’étique et l’honnêteté comme principes inaliénables, sur la conviction qu’il existe une autre forme de comprendre et de faire de la politique, sur un engagement basé sur les valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité.
Organisons le sauvetage du peuple citoyen, et non le sauvetage des responsables de la crise
Pour changer le cours des événements, il faut une politique qui place les intérêts des personnes au-dessus de ceux de la finance ; le rêve d’un changement doit se traduire dans des améliorations concrètes. C’est pourquoi, nous voulons impulser une candidature qui s’engage à :
1. Répondre à l’urgence et aux inégalités sociales avec un plan de sauvetage citoyen qui s’attaque aux besoins les plus urgents de la population : le chômage et la nécessité d’un revenu garanti, les expulsions à la rue, l’alimentation, la pauvreté énergétique et la pauvreté infantile. Nous devons changer de fond en comble le système actuel - lequel a provoqué la plus grave crise de ces dernières décennies - par un autre, basé sur l’équité, sur les droits sociaux et les droits des travailleurs, sur l’écologie et la solidarité ; un système assurant un mode de vie soutenable, et reconnaissant le travail reproductif et le travail de soins aux enfants et aux personnes dépendantes.
2. Réaliser un audit citoyen de la dette de la Generalitat. 1] Nous voulons savoir qui doit quoi, à qui et pourquoi, et quelle partie de cette dette est illégitime et laquelle ne l’est pas. Les comptes publics doivent être transparents. Leur audit doit permettre de savoir comment a été dépensé l’argent de tous et de toutes, et de garantir la priorité aux paiements correspondant aux dépenses sociales.
3. Revenir sur la privatisation, directe ou voilée, des services publics qui a été réalisée sous le prétexte de la crise - comme dans le cas de la gestion de l’eau - , et privilégier la qualité et le contrôle social. Dans le cadre de cette action, il sera procédé à la révision des contrats et des externalisations réalisés par le gouvernement de la Generalitat, à la neutralisation des consortiums, ainsi qu’à l’arrêt de la vente des données sanitaires aux entreprises privées.
4. Développer un système éducatif de qualité en augmentant les investissements jusqu’à ce qu’il soit comparable à la moyenne européenne ; un système qui aille dans le sens d’un réseau public unique garantissant aussi bien l’accès universel - depuis la crèche jusqu’à l’université - que la démocratie dans les centres d’enseignement, avec la participation obligatoire de la communauté éducative.
5. Garantir la démocratie dans les relations économiques, un emploi digne et de qualité, la fin des salaires de misère, de la précarité et des inégalités de genre sur le marché du travail. Le gouvernement de la Catalogne ne peut pas contribuer, directement ou indirectement, à générer des emplois précaires dans la fonction publique. Assez de cadeaux fiscaux et des terrains au rabais pour les multinationales. Nous voulons combattre sérieusement la fraude, et développer une politique fiscale progressive et écologique.
6. Impulser la transition vers un nouveau modèle économique socialement juste et écologiquement soutenable, basé sur les énergies renouvelables, la défense du territoire, l’arrêt de la spéculation foncière et de la construction d’infrastructures pharaoniques. Nous défendons la souveraineté alimentaire, un monde rural vivant et une Catalogne exempte de cultures transgéniques.
7. En finir avec la corruption, en augmentant les moyens et les mesures pour lutter contre les corrupteurs et les corrompus, et en multipliant les mécanismes d’intervention des citoyens dans les affaires publiques : transparence absolue, code éthique, référendums révocatoires et abrogatifs, processus de participation citoyenne dans l’élaboration des politiques publiques, nouvelle loi électorale, limitations des mandats et élimination des privilèges des politiciens.
8. Construire une société d’égalité entre les personnes (femmes et hommes, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, quelque soit leurs orientation sexuelle...) qui garantisse le droit de disposer de son corps ; une société débarrassée de la violence machiste, de l’intolérance, des discriminations, du racisme et de la xénophobie.
9. Développer les moyens publics de communication sous le contrôle démocratique des citoyens, en favorisant l’accès à l’information à tous les citoyens, ainsi que des logiciels et l’internet libres. Nous voulons une politique culturelle qui privilégie la démarchandisation de la culture.
10. Promouvoir une Catalogne solidaire avec le reste du monde ; une Catalogne démilitarisée et défendant une culture de paix. Nous nous engageons à soutenir la lutte des peuples d’Europe contre les programmes et les politiques de la Troïka, pour refonder l’Europe sur la base des principes de la démocratie. Nous voulons un changement de l’actuel cadre juridique européen, en particulier de la conception de la zone euro qui aujourd’hui asphyxie les pays de la périphérie. Nous sommes une candidature engagée et solidaire de la lutte des peuples qui, comme en Grèce, résistent face aux attaques d’un capitalisme le plus sauvage.
Une feuille de route constituante pour refonder le pays
Un changement de politique ne suffit pas. Nous avons besoin d’une alternative de gouvernement pour impulser un véritable processus constituant, pour pouvoir décider de tout : du modèle économique et social, et des relations avec l’Etat espagnol. Si on doit envisager les aspirations nationales, sociales et démocratiques séparément les unes des autres, ou subordonnées les unes aux autres, alors il n’y aura jamais de majorité populaire en Catalogne, et nous serons toujours gouvernés par ceux qui disent défendre le pays tout en le spoliant chaque jour de ce qu’il a de meilleur. Nous voulons une candidature qui défende la pleine souveraineté de la Catalogne dans les domaines social, national et démocratique. Nous voulons une souveraineté réelle, et non une souveraineté formelle, soumise aux injonctions de la Troïka ou du TTIP. La feuille de route de Mas 2] parle de l’indépendance, mais en réalité elle vide la souveraineté de la Catalogne de contenu, et la place entre les mains du pouvoir financier.
Un processus constituant, c’est la réponse stratégique à l’épuisement de l’actuel modèle institutionnel et social, et à la nécessité d’entamer une nouvelle phase. Elle permet d’articuler le mal-être social, national et démocratique, en les synthétisant dans un processus visant à récupérer la souveraineté dans tous les domaines et à étendre la démocratie dans notre pays. C’est pourquoi, les élections du 27 septembre doivent avoir un caractère constituant. Une étape s’est terminée, et il faut en commencer une autre.
La Catalogne a besoin d’entamer un processus constituant propre, basé sur la pleine souveraineté du peuple catalan en tant que sujet collectif qui peut décider de son avenir ; un processus constituant qui ne soit pas subordonné ou subalterne par rapport à aucun autre cadre. L’ouverture d’un processus constituant catalan propre et non subordonné est la contribution que nous pouvons apporter, depuis la Catalogne, à la rupture du Régime de 1978 dans tout l’Etat espagnol 3] ; partant d’une volonté de collaboration fraternelle entre tous les peuples, et de l’impulsion d’autres processus constituants qui pourraient s’influencer et s’encourager mutuellement sur la base de l’identité propre à chacun. Le fait d’initier un processus constituant ne préjuge pas du résultat final quant aux relations que la Catalogne devra avoir avec le reste de l’Etat espagnol : une république catalane est tout aussi compatible avec un horizon indépendantiste qu’avec un horizon fédéraliste ou confédéral.
Un processus constituant implique qu’on doive décider de tout ; décider de tout face à ceux qui ne veulent pas que nous le fassions, face à l’Etat espagnol, face au pouvoir financier, face aux intérêts privés qui utilisent la crise pour s’enrichir... C’est pourquoi, nous avons besoin d’un processus populaire, participatif, par en bas, où les citoyens, les organisations et les entités sociales seront les protagonistes, et ne seront pas dirigés par un noyau d’experts qui dit parler au nom de nous tous et de nous toutes. Nous proposons donc une feuille de route constituante qui devra impliquer la réalisation d’un référendum, afin de décider quelle relation voulons-nous avoir avec l’Etat espagnol ; un processus de définition d’un nouveau cadre juridique et institutionnel de la Catalogne, et l’élaboration d’une Constitution et sa ratification.
Le peuple de Catalogne n’est pas seul dans ses aspirations au changement. A travers toute l’Europe méditerranéenne, depuis le Portugal jusqu’en Grèce, se propagent des mouvements de protestation et de changement ; se propage l’espoir. Notre perspective, c’est l’alliance des peuples euro-méditerranéens contre les politiques d’austérité et d’attaques visant leur souveraineté. Sans une alliance des peuples il n’y aura pas de victoire contre le pouvoir financier et les institutions internationales antidémocratiques.
Le moment est venu
Les citoyens doivent être les protagonistes. Nous voulons impulser un processus de confluence de toutes les personnes qui pensent qu’en Catalogne il faut une alternative de gouvernement. Toutefois, nous ne recherchons pas une union d’organisations, mais une union des citoyens. Bien plus que des organisations et des sigles, il faut tenir compte des valeurs et des idées - et pouvoir les traduire dans la réalité. Maintenant, il est possible de le faire. Pour cela est nécessaire une mobilisation citoyenne, par en bas, dans chaque endroit du pays. L’union fait la force - l’union entre divers secteurs, entre mouvements sociaux et mouvements politiques. L’union de tous ceux et de toutes celles qui travaillent déjà à rendre possible une alternative - dans les mouvements sociaux, les syndicats, les associations de voisins, les plate-formes citoyennes, les ONG, les écoles, les hôpitaux, les divers lieux de travail... En définitive - l’union entre les personnes, véritables protagonistes, artisans du changement.
Nous voulons construire la candidature de la Catalogne populaire face à la Catalogne des classes privilégiées. Deux modèles de Catalogne sont en jeu : la Catalogne des finances et la Catalogne de la majorité. Ce qui importe ce n’est pas d’où nous venons, mais vers où voulons-nous aller. Nous voulons gagner pour ouvrir une nouvelle étape en Catalogne ; une nouvelle étape où la priorité ce ne soient plus les banques, ni les marchés, ni les puissants ; une nouvelle étape de justice sociale, où la priorité sera donnée à la vie et au bien-être des voisins et des voisines - de la majorité, du peuple.
Déclaration programmatique de la liste Catalunya Sí que es pot / Catalogne Oui nous pouvons pour les élections au Parlement catalan le 27 septembre 2015, site web http://catalunyasiqueespot.cat/ . Traduction française par Stefan Bekier, à partir de la version en castillan sur le site web de la coalition http://catalunyasiqueespot.cat/es/declaracion-para-el-cambio-social-y-politico-en-catalunya/
Notes
1] La Generalitat est le système institutionnel sur lequel repose l’auto-gouvernement de la communauté autonome de la Catalogne. La Generalitat catalane comprend le Parlement, le Conseil exécutif (gouvernement), la Présidence et d’autres institutions judiciaires et administratives.
2] Artur Mas – actuel président de la Generalitat. Dirigeant de la coalition indépendantiste Junts pel Sí / Ensemble pour le Oui.
3] Régime de monarchie parlementaire institué en 1978 après la mort de Franco et la fin de la dictature, dans le cadre de ce qui fut appelé à l’époque la « transition démocratique ».