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Europe

Crise : l'aveuglement de la Commission européenne

Au moment où l’Europe est à nouveau au bord de l’infarctus, le rapport de la Commission européenne était attendu avec impatience. Car il y a quand même quelque bilan à dresser au vu des résultats de la politique conduite pendant ces deux années de crise européenne intense. Au neuvième plan d’austérité, la Grèce s’effondre économiquement et politiquement. L’Espagne s’écroule sous l’explosion de sa bulle immobilière et de son système bancaire. L’Italie est menacée d’étranglement financier. L’Europe replonge dans la récession, et le chômage atteint son plus haut niveau. La monnaie unique est en question, alors que la fuite des capitaux s’accélère dans toute l’Europe du Sud.

30 mai 2012 | Mediapart.fr

À lire ses conclusions, la Commission européenne semble à peine s’apercevoir de cette débâcle. En un mot, malgré toutes les alarmes, toutes les mises en garde venues de partout, ou les tentatives faites par François Hollande depuis son élection d’ouvrir d’autres voies, la Commission ne dévie pas de son chemin : on ne change pas une stratégie qui perd.

L’illustration la plus spectaculaire de cet entêtement idéologique est l’Espagne, l’ancien pays modèle de l’Europe qui aujourd’hui menace d’emmener toute la construction européenne par le fond. Au moment où Madrid doit affronter la menace d’une explosion de son système bancaire, les risques d’une économie entraînée dans une spirale dépressive, un chômage de 25 % de la population active et de plus de 50 % pour les jeunes, un déficit budgétaire difficilement contrôlable, une asphyxie financière des régions, une montée des taux obligataires désormais à près de 7 %, comme avant l’intervention de la banque centrale européenne, que dit la Commission ? Elle critique.

L’Espagne, note-t-elle, « fait face à de sérieuses difficultés pour rétablir la confiance des marchés, assurer la soutenabilité des finances publiques, réduire ses vulnérabilités internes et externes et soutenir la croissance et les emplois à moyen terme », et elle l’appelle à « accélérer substantiellement le rythme de ses réformes ».

« Les plans soumis par l’Espagne sont pertinents, mais, dans certains domaines, manquent d’ambition. Sur la régulation bancaire, les réformes administratives, le marché de l’emploi, les politiques de croissance et de compétitivité, le programme national de réforme ne contient pas de plans spécifiques pour relever les défis actuels », souligne la Commission.

Pourtant les réformes n’ont pas manqué depuis trois ans. L’âge de la retraite a été porté de 65 à 67 ans, les pensions ont été diminuées, tout comme les salaires et les prestations chômage. Le temps de travail a été allongé, les congés réduits, le salaire minimum (641,40 euros par mois) gelé.

Le gouvernement espagnol a fait adopter une nouvelle réforme dès le 12 février. Elle permet de baisser les salaires, d’allonger les temps de travail, d’augmenter la flexibilité du travail. Les licenciements sont rendus plus faciles et moins coûteux. Le rôle des syndicats est réduit, tant dans les négociations collectives que lors des plans sociaux. Le gouvernement ne cache pas qu’il veut d’ailleurs remplacer les conventions collectives par des accords d’entreprise, ou les limiter au seul cadre du contrat entre employeur et employé.

Dans la foulée, le gouvernement entend remettre en cause les contrats à durée indéterminée et instituer un contrat unique à durée déterminée, afin de faciliter l’intégration des précaires. Un programme contesté par tous les syndicats et les salariés, qui manifestent chaque semaine ou presque dans toute l’Espagne.

Que disent les experts de la Commission face à ce programme de déflation interne ? « Les réformes adoptées sont plus ambitieuses que celles prises précédemment et constituent un pas significatif dans la bonne direction. Mais l’aggravation des perspectives économiques limite l’impact de ces réformes sur l’augmentation prévue des dépenses publiques liées à l’âge, dépenses qui devraient rester plus élevées que la moyenne européenne en 2060. » En un mot, la récession anéantissant tous les effets attendus de cette réforme, il convient de doubler la dose.

Objectif intenable

La même recommandation est faite pour les finances publiques. Les dirigeants européens n’avaient guère apprécié lorsqu’en mars, Mariano Rajoy leur avait annoncé que le programme de réduction du déficit budgétaire était intenable, et qu’unilatéralement, il le repoussait de 4,4 % à 5,8 % cette année. Après discussion entre Bruxelles et le gouvernement espagnol, l’objectif avait été ramené à 5,4 % cette année. Même révisé, tous savent d’ores et déjà que cet objectif ne sera pas tenu : les recettes fiscales manquent et les régions, les unes après les autres, appellent à l’aide.

Dans un geste de grande compréhension, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Olli Rehn a concédé, lors de la conférence de presse présentant les recommandations de la Commission, qu’une faveur pourrait être accordée à l’Espagne : l’objectif de revenir à 3 % de déficit pourrait être repoussé d’un an, 2014 au lieu de 2013.

Mais cet immense cadeau sera certainement consenti en échange de quelque contrepartie. La Commission a déjà annoncé ce qu’elle attendait : un changement de la politique fiscale qui n’est pas « en ligne avec les recommandations ». « L’augmentation de la fiscalité directe conduit à une charge fiscale plus grande sur le travail et le capital, qui est considéré comme particulièrement dommageable pour la croissance. D’autres augmentations fiscales sont considérées comme moins néfastes, notamment les augmentations de la fiscalité indirecte, qui ont été explicitement exclues par le gouvernement », notent les experts, qui jugent qu’une TVA à 18 % est beaucoup trop basse.

À aucun moment, ils ne semblent se poser, non pas la question de l’iniquité de la mesure – trop loin de leurs préoccupations –, mais au moins celle de son opportunité, alors que l’économie est en pleine dépression avec des millions de personnes au chômage.

Une certaine gêne, toutefois, pointe chez nos experts, quand il s’agit d’aborder la question la plus brûlante du moment : l’état du système bancaire espagnol. Car ce péril-là, jusqu’à présent, ne faisait pas du tout partie de la démonstration admise : les excès ne provenaient que de la sphère publique, jamais de la sphère privée et du monde bancaire. Brusquement, ils font quelques découvertes. Par exemple, « le dangereux degré d’interdépendance entre un système bancaire faible et une dette publique faible », ou le grave danger de l’explosion de la bulle immobilière espagnole – longtemps ignorée tant par la Commission européenne que par la BCE – pour les banques.

Alors que la Commission européenne avait largement applaudi la comédie des tests de résistance, qui avaient assuré, tant en 2010 qu’en 2011, que le système bancaire européen était très sain et que les recapitalisations ne devaient être menées qu’à la marge, elle s’inquiète maintenant de la situation espagnole. Il n’est jamais trop tard. « Les banques espagnoles ont encore de larges expositions dans l’immobilier et la construction (représentant environ 10 % des actifs consolidés en décembre 2011). La moitié de cette exposition est déjà problématique et pourrait encore augmenter, si les promoteurs se révèlent incapables de vendre leurs actifs et d’honorer leurs paiements », écrit-elle.

La réponse du gouvernement espagnol lui semble très ambitieuse et en « en ligne avec ses recommandations ». Mais, prévient-elle, la dégradation économique pourrait nécessiter une augmentation des provisions et de nouvelles recapitalisations bancaires.

La feuille de route de la France : des réformes structurelles

La lecture des recommandations européennes pour l’Espagne donne une idée de celles qui sont adressées à la France. L’exercice était un peu plus compliqué puisque François Hollande, tout juste élu, ne peut être tenu pour comptable de la situation. Néanmoins, tous les avertissements y figurent : les déficits budgétaires trop élevés et qui risquent de ne pas être conformes à l’impératif catégorique européen des 3 % du PIB en 2013 ; une réforme des retraites encore insuffisante, surtout si le nouveau gouvernement poursuit son projet d’accorder la retraite à 60 ans pour les salariés qui ont cotisé 41 ans ; des dépenses sociales, qui, certes, reconnaît la Commission, servent d’amortisseur en ces temps de crise, mais représentent une charge bien trop élevée pour le capital et le travail ; un marché de l’emploi bien trop protégé – même la possibilité de contester des licenciements devant les prud’hommes lui semble discutable –, qui empêche toute adaptation ; des salaires trop élevés par rapport à la productivité ; une fiscalité mal adaptée, notamment avec un taux de TVA à 5,5 % pour les produits de première nécessité, « très discutable » ; une concurrence « sous-optimale » dans les secteurs de l’énergie ou du ferroviaire. En clair EDF et la SNCF.

La feuille de route du gouvernement français est tracée. Il lui faut se conformer à la lettre aux grandes réformes structurelles, censées apporter la croissance, élaborées par Mario Monti, alors banquier chez Goldman Sachs, pour le compte de la Commission européenne dans le cadre d’une mission sur l’approfondissement du marché unique et reprises depuis sans y changer une virgule.

Pour la Commission européenne, le débat sur la croissance est donc tranché avant même d’avoir été engagé. Tout juste accepte-t-elle de reprendre les propositions de François Hollande sur les eurobonds et sur le financement direct du système bancaire européen par le mécanisme de stabilité financière, compte tenu de l’urgence de « contrer les risques de désintégration financière de la zone euro ».

Ces mesures s’accompagneraient d’une union bancaire renforcée, l’ensemble des établissements bancaires passant sous une réglementation et une surveillance européennes uniques. Mais ces propositions sont déjà mort-nées. L’Allemagne a opposé son veto à de telles mesures. La Finlande, l’Autriche et les Pays-Bas sont venues la soutenir dans ce refus.

Alors que même les financiers pressent les dirigeants européens de sortir de ce programme économique mortifère, l’Europe décide à nouveau de rien voir, rien comprendre, rien apprendre. La zone euro se retrouve dans la même situation aiguë qu’en mai 2010, au moment de la première crise grecque. Mais cette fois, c’est l’Espagne et l’Italie qui sont dans la ligne de mire. Les taux espagnols à dix ans sont de 6,6 %. L’Italie a emprunté ce mercredi à 6,05 %, tandis que les taux obligataires allemands, néerlandais et britanniques sont au plus bas, signes d’une accélération des fuites de capitaux vers les pays jugés plus sûrs. Les deux pays risquent de se retrouver rapidement dans une position financière intenable. Mais les mesures de replâtrage ont toutes été épuisées. L’Euro est tombé en-dessous de 1,24 dollar, au plus bas depuis deux ans.

Après avoir attendu longtemps des signes politiques qui ne sont pas venus, c’est la finance qui risque de trancher le sort de l’Europe, dans le plus grand désordre et la plus grande violence.

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