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Crise climatique. Une vague de chaleur brutale en Inde et au Pakistan. Elle va ressurgir, avec ses milliers de victimes

La vague de chaleur brutale et d’un degré record d’intensité qui s’est abattue sur une grande partie de l’Inde et du Pakistan depuis le mois de mars s’est quelque peu calmée cette semaine [de début mai], mais elle est sur le point de se relancer dans les jours à venir, avec des températures infernales pouvant atteindre 50 degrés Celsius. La chaleur combinée à des niveaux élevés d’humidité – en particulier près de la côte et le long de la vallée de l’Indus – produira des niveaux dangereusement élevés de stress thermique qui approcheront ou dépasseront la limite de survie des personnes se trouvant à l’extérieur pendant une période prolongée.

Tiré de A l’encontre
9 mai 2022

Par Jeff Masters

Les dernières prévisions du GFS (Global Forecast System : un modèle de prévision numérique du National Weather Service des Etats-Unis) et des modèles européens annoncent une zone de haute pression exceptionnellement forte qui s’intensifiera sur l’Asie du Sud au cours de la semaine à venir, ce qui provoquera une chaleur croissante qui culminera les 11 et 12 mai, avec des maxima proches de 50 degrés Celsius, près de la frontière Inde/Pakistan. Le mois de mai 2022 est généralement le mois le plus chaud de la région. La vague de chaleur pourrait ne pas s’atténuer de manière significative avant l’arrivée, en juin, des pluies rafraîchissantes de la mousson du sud-ouest. Mais les cyclones tropicaux sont également fréquents en mai dans le nord de l’océan Indien, et une tempête qui atteindrait la terre ferme pourrait apporter un soulagement à la vague de chaleur.

Le mois de mars le plus chaud jamais enregistré en Inde

Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), l’Inde a enregistré le mois de mars le plus chaud de son histoire, avec une température moyenne maximale de 33,1 degrés Celsius, soit 1,86 degré de plus que la moyenne sur le long terme. Le Pakistan a enregistré son mois de mars le plus chaud depuis au moins les soixante dernières années. Le mois d’avril a connu une chaleur record dans le nord-ouest de l’Inde. Il a été le quatrième mois d’avril le plus chaud pour toute l’Inde. La chaleur a culminé le 1er mai, lorsque la température, à Nawabshah au Pakistan, a atteint 49,5 degrés Celsius – la température la plus élevée enregistrée sur Terre, jusqu’à présent en 2022.

Selon une excellente analyse de James Peacock, sur le site metswift.com, l’actuel phénomène climatique La Niña dans le Pacifique oriental a contribué à la chaleur de mars et d’avril, en réduisant les pluies pré-mousson qui tombent habituellement. Ces conditions sèches ont entraîné une chaleur anormalement élevée et des incendies de forêt. En outre, le réchauffement du climat de la Terre a créé des conditions plus favorables à des vagues de chaleur plus intenses et plus durables. Dans le nord-ouest de l’Inde, le nombre de jours où les températures atteignent au moins 40 degrés Celsius est passé de 25 par an dans les années 1970 à 45 annuellement dans les années 2010. La durée des pires vagues de chaleur a donc approximativement doublé.

En raison de la vague de chaleur, la récolte de blé de l’Inde devrait être inférieure de 4% à celle de 2021, brisant ainsi une série de cinq récoltes record consécutives. Même avec la vague de chaleur, les exportations de blé de l’Inde pourraient dépasser celles de l’année dernière, aidant à remplacer partiellement, cette année, le manque d’exportations de blé de l’Ukraine et de la Russie. Cependant, certains négociants prévoient que des restrictions à l’exportation pourraient survenir en Inde en raison de la vague de chaleur [et des besoins d’alimentation de la population paupérisée du pays, besoins qui ne sont pas au centre des préoccupations de ces négociants – réd.].

Une chaleur « invivable » pendant la vague…

Si l’indice de chaleur – qui mesure le stress thermique dû à des températures élevées combinées à une forte humidité – est souvent utilisé pour quantifier la chaleur dangereuse, une mesure plus précise du stress thermique est la température au thermomètre mouillé [mesure qui prend en compte l’humidité relative ambiante et ses possibilités d’évaporation] qui peut être mesurée en plaçant un tissu humide autour du bulbe d’un thermomètre, puis en soufflant de l’air sur le tissu. La température au thermomètre mouillé augmente avec la température et l’humidité et constitue une mesure de la « moiteur ».

La température moyenne de la peau humaine étant proche de 35 degrés Celsius, une température au thermomètre mouillé supérieure à cette valeur critique empêche toute personne de dissiper sa chaleur interne, ce qui entraîne des conséquences fatales dans les six heures, même pour les personnes en bonne santé dans des conditions bien ventilées. Le service météorologique national des Etats-Unis définit le seuil de « danger » pour le thermomètre mouillé à 24,6 degrés Celsius, et le « danger extrême » à 29,1 degrés Celsius, en supposant une humidité relative de 45%.

Cependant, les expériences montrent qu’une température du thermomètre mouillé à près de 31 degrés Celsius est probablement fatale pour les personnes jeunes et en bonne santé. Dans le cadre d’une étude réalisée en 2022, intitulée « Evaluating the 35°C wet-bulb temperature adaptability threshold for young, healthy subjects » (Evaluation du seuil d’adaptabilité de la température au thermomètre mouillé de 35°C pour des sujets jeunes et en bonne santé), les participants ont avalé un minuscule dispositif de télémétrie radio enfermé dans une capsule qui mesurait leur température centrale, tout en effectuant des tâches imitant les activités de base de la vie quotidienne, jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus maintenir leur température centrale sans surchauffer. L’expérience a révélé que les jeunes adultes en bonne santé ne pouvaient pas survivre à une exposition prolongée à des températures de 30-31 degrés Celsius dans des environnements humides ; et de 25-28 degrés Celsius dans des environnements plus chauds et plus secs. Pour les personnes âgées et les personnes souffrant de problèmes de santé, la température critique du thermomètre mouillé est probablement encore plus basse.

Pendant les parties les plus chaudes de la journée, au plus fort de la vague de chaleur de la semaine dernière, les 29 et 30 avril 2022, les températures au thermomètre mouillé dans le nord-ouest de l’Inde et l’est du Pakistan ont régulièrement dépassé le seuil critique pour les jeunes adultes en bonne santé, tel qu’identifié dans l’étude mentionnée. Par exemple, la température ambiante à Nawabshah, au Pakistan, était de 46 degrés Celsius. Elle a atteint un pic de 47,4 degrés Celsius. A ces températures, la température critique du thermomètre mouillé est de 27-28 degrés Celsius ; la température du thermomètre mouillé observée était de deux degrés supérieure : 29-30 degrés Celsius. Dans les régions côtières de l’Inde, près des mégapoles de Kolkata et de Mumbai, la température au thermomètre mouillé a dépassé 30 degrés Celsius pendant plusieurs jours de la vague de chaleur.

Le bilan est de 26 morts pour la vague de chaleur de 2022 en Inde

Jusqu’à présent, 25 décès dus à la vague de chaleur ont été signalés depuis la fin mars dans l’Etat indien du Maharashtra, qui comprend Mumbai. Un autre décès dû à la chaleur a été signalé le 25 avril dans l’Etat oriental d’Odisha. Toutefois, les décès dus à la chaleur sont susceptibles d’être sous-évalués. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que l’Inde a sous-évalué ses décès dus au Covid-19 par un facteur de huit environ, ce qui remet en question la véracité des statistiques indiennes sur la mortalité due aux vagues de chaleur.

Heureusement, l’Inde a appris à s’adapter à l’augmentation de la chaleur extrême ces dernières années, le nombre de décès étant moins élevé pendant les vagues de chaleur. Un aspect inquiétant de la vague de chaleur actuelle est toutefois les pannes de courant électrique à grande échelle qui se sont produites. La disponibilité de l’air conditionné étant réduite par les pénuries d’électricité, la capacité de l’Inde à s’adapter à la forte chaleur est réduite. D’autant plus que seul 12% du 1,4 milliard d’habitant·e·s de l’Inde disposent de la climatisation ; la situation est similaire au Pakistan.

La chaleur à laquelle on ne peut survivre augmente en raison du changement climatique

Un article publié en 2020 dans la revue en accès libre Science Advances par Raymond et al., intitulé « Potentially Fatal Combinations of Humidity and Heat Are Emerging across the Globe », a identifié 14 relevés de 35 degrés Celsius au thermomètre mouillé qui se sont déjà produits depuis 1987 dans cinq stations météorologiques au Pakistan, en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis (EAU). Ces conditions ont généralement duré moins de six heures.

Ces chercheurs ont constaté que la fréquence des températures au thermomètre mouillé atteignant 27°C, 29°C, 31°C et 33°C dans le monde a doublé entre 1979 et 2017. Ils prévoient que les températures dangereuses au thermomètre mouillé continueront à se répandre dans ces régions vulnérables du monde, touchant des millions supplémentaires de personnes, à mesure que le changement climatique causé par l’homme se poursuit.

Valeurs maximales de la température au thermomètre mouillé, TW (degrés Celsius), pour la période 1979-2017, dans les stations météorologiques dont les données étaient disponibles à au moins 50%. (Crédit image : Raymond et al., 2020)

La hausse des températures au thermomètre mouillé sera particulièrement dangereuse dans la vallée de l’Indus, le long de la frontière entre l’Inde et le Pakistan, où des milliers d’ouvriers travaillent à l’extérieur sous la chaleur de la pré-mousson, qui peut atteindre des niveaux dangereux d’avril à juillet. Jacobabad, au Pakistan (191 000 habitants), a déjà enregistré six jours où la température au thermomètre mouillé a dépassé la limite de la capacité de survie humaine : 35 degrés Celsius.

Une vague de chaleur de 2015 a tué 3477 personnes en Inde/Pakistan, se classant au quatrième rang des vagues de chaleur les plus meurtrières de l’histoire mondiale, selon la base de données internationale sur les catastrophes, EM-DAT (The International Disaster Database). Quatre des 11 vagues de chaleur ayant fait plus de 1000 morts dans la base de données EM-DAT ont touché l’Inde et/ou le Pakistan. Vous trouverez ci-dessous les vagues de chaleur ayant fait plus de 1000 victimes, telles que compilées par EM-DAT (qui utilise les décès directs pour ses statistiques, et non la surmortalité). Notez toutefois que les statistiques de décès liés aux vagues de chaleur sont très incertaines.

Voici les 11 vagues de chaleur les plus meurtrières de l’histoire mondiale :
1) Europe, 2003 : 71 310
2) Russie, 2010 : 55,736
3) France/Belgique, 2015 : 3,685
4) Inde/Pakistan, 2015 : 3,477
5) Europe, 2006 : 3,418
6) Inde, 1998 : 2 541
7) Etats-Unis et Canada, 1936 : 1693
8) Inde/Pakistan/Bangladesh, 2003 : 1472
9) Etats-Unis, 1980 : 1260
10) Etats-Unis et Canada, 2021 : 1037
11) Inde, 2002 : 1030

(Article publié par Yale Climate Connections le 5 mai 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)

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