tiré de : Entre les lignes et les mots Lettre N°44 - 24 octobre : Notes de lecture, textes, pétitions
Publié le 21 octobre 2020
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/10/21/covid-19-le-choix-des-maux/
Ce parti pris a été relevé : Macron utilise une locution qui a marqué l’Histoire du pays à deux reprises, sous l’Occupation allemande pendant la IIe Guerre mondiale (quatre ans) et pendant la Guerre d’Algérie (cinq mois), dans le but de réprimer des groupes d’opposants au régime ou des rebelles.
Aujourd’hui, vocabulaire et comportements se croisent pour mieux faire la démonstration d’une posture guerrière, adoptée à sa prise de fonction. Depuis la descente des Champs-Elysées en véhicule militaire le jour de son intronisation, en plus de hisser la France au hit-parade des vendeurs d’armes, d’augmenter les budgets de la défense au détriment de ceux de la santé – en 2020, le budget de la santé représente 3,03% du budget de la Défense –, Macron ne cesse d’essaimer ses discours de petits termes choisis en adéquation avec son investissement sans relâche en faveur du système militaro-industriel : « guerre » (santé), « guerre civile » (avec l’islam), « ordre, sécurité », « état d’urgence », « lois d’exception », « forces de maintien de l’ordre sur les dents », « manque de culture militaire », « ARME » (emploi), « résilience »,…
Il est aidé dans sa mission par les médias du pays qui se font sans rechigner les relais de cette sémantique y compris pour qualifier les mesures prises par d’autres pays qui n’ont pas fait le choix de l’utiliser. En Espagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Allemagne, en Israël, on parle plus facilement de semi-confinement, d’autoconfinement, de bouclage, de mesures administratives pour justifier par exemple la fermeture des bars et restaurants et plus généralement pour donner à la population les moyens de sa protection.
Comment lire ces inserts permanents ? Une première interprétation permet d’affirmer que la population française est considérée comme un enfant indiscipliné qui requiert la sévérité d’un père, l’État, qui loin de chercher à régler le problème là où il se pose – ici, sa santé fragilisée –, affirme son autorité (de père), littéralement le patriarcat [pater-grecarkhê]. Une deuxième interprétation ajoute à l’infantilisation des populations la marque d’une violence nationale à l’intersection du patriarcat et du conflit armé.
Pour le seul terme « couvre-feu », la philosophe africaine Tanella Boni a souligné dans « Matins de couvre-feu »1 son équivalence avec « guerre » – « mot que personne n’aime prononcer »2. Boni nous a aussi renseignés sur les résidences surveillées ou espaces carcéraux que deviennent les grandes villes, sur la violence qu’incarne la privation des libertés et sur le renforcement de la division sexuelle dans la guerre, « un monopole masculin »3. Elle a ouvert une brèche dans la réflexion sur le combat contre les hiérarchies sociales (de race, de classe, de sexe) et pour la promotion de la paix en évoquant les questions de l’altérité4et du respect de la nature (écoféminisme)5. Plus tôt, durant l’occupation de la France par l’Allemagne, Paul Eluard et son poème « Couvre-feu »6 insistait déjà sur le sens oppressif du terme. Il entrelaçait des « porte gardée », « enfermés », « barrée », « affamée », « désarmés » – les Français contraints à l’obéissance – avec des « nous » et « aimés » dans le but de faire passer un message d’espoir basé sur le collectif comme lieu de résistance. Boni, Eluard, seraient-ils des sources d’inspiration pour une autre écriture de la santé publique différente de l’option guerrière de Macron et de la paranoïa des complotistes ?
Joelle Palmieri
20 octobre 2020
https://joellepalmieri.org/2020/10/20/covid-19-le-choix-des-maux/
1 Tanella Boni, Matins de couvre-feu, Rocher/Le Serpent à Plumes, 2005.
2 Ibid., p. 65.
3 Ibid., p. 9.
4 Ibid., p. 108.
5 Ibid., p. 15.
6 Paul Éluard, Couvre–feu, in Poésies et vérité, 1942.
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