Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

La démocratisation du Plan de transition Solidaire né et resté capitaliste vert

Contrer la direction qui noie le poisson dans une mer de beaux principes

Pour le dire comme l’ancien membre du Comité de coordination nationale, André Frappier,

Le 1er mars dernier les membres de Québec solidaire étaient conviés à participer à une journée de réflexion sur la transition solidaire […] On nous a présenté des principes qui sommes toutes, représentent des lieux communs. Respect de la science et des limites planétaires, économie basée sur la résilience et la biomasse (avec l’exemple d’un producteur agraire qui a changé son alimentation au gaz propane pour la biomasse), l’écosobriété, le sens commun des responsabilités, la réduction des inégalités, la transition inclusive et juste pour tous et toutes, des collectivités engagées, le droit à la nature et à un environnement sain, assumer notre responsabilité historique et respect des droits territoriaux et de la souveraineté des peuples. […] La transition énergétique, question fondamentale de l’heure pour la planète et axe central de notre travail pour les prochaines années, incluant l’Ultimatum 2020 et la campagne électorale, sera donc limitée à un débat portant sur des principes généraux. Sans plan stratégique de transformation sociale il sera difficile de définir quel plan gouvernemental nous entendons proposer lors des prochaines élections. (https://www.pressegauche.org/Journeede- reflexion-sur-la-transition-solidaire)

Au-delà de la critique démocratique, est à faire celle de l’orientation politique du plan de transition

L’auteur signale que « [l]e plan de transition adopté par le CCN juste avant la dernière campagne électorale au printemps 2018, n’a jamais été soumis pour adoption aux membres en instance nationale... ». Il ne caractérise ni ne critique la teneur de ce plan bien qu’il suggère fortement en creux qu’il est loin d’être anticapitaliste. La militance du parti, pour gagner la bataille du plan de transition, a besoin de marcher sur deux jambes soit celle de la démocratie (interne) et celle de la critique du contenu. On ne peut pas sauter à la conclusion de la nécessité anticapitaliste sans démontrer comment la caractérisation capitaliste vert du plan est incompatible avec les impératifs de la science qui est elle-même quelque peu édulcorée par le GIEC-ONU soumis aux pressions politiques des États membres. L’expert écosocialiste Daniel Tanuro (https://www.pressegauche.org/_Daniel-Tanuro_) et les versions les plus conséquentes avec la science du Green New Deal dont celle du Green Party étasunien (https://solidarity-us.org/atc/203/which-green-new-deal/ et https://gpus.org/organizing-tools/the-green-new-deal/) fournissent les outils théoriques et pratiques pour faire cette critique du plan de transition Solidaire et esquisser une alternative. M’inspirant de ces sources, j’ai tenté de condenser ma propre critique et esquisse dans un texte récent malheureusement non publié sauf sur mon blogue (http://www.marcbonhomme.com/files/formation-d00e9bat-pour-plan-de-transition.pdf).

Les Solidaires pour la démocratie interne, appuyés par les réseaux militants écologiste et intersyndical et maintenant soutenus par Presse-toi-à-gauche et le collectif Alternative socialiste et présumément par la Commission nationale autochtone, ont amorcé cet aspect de la lutte pour la démocratie en adoptant et diffusant la résolution suivante :

Les Solidaires pour une démocratie interne demandent au CCN que : A. soient mis à l’ordre du jour comme points prioritaires du prochain Conseil national de mai les deux points suivants : 1. La révision du Plan de transition préparé par un débat au sein du parti organisée de façon semblable à celui sur les signes religieux et reflétant la diversité des points de vue 2. Un rapport sur la campagne Ultimatum 2020 avec vote final et possibilité d’amendements B. tant pour ses propositions de modifications du Plan de transition, le cas échéant, que pour ses propositions de réorientation de la campagne Ultimatum 2020, le CCN collabore étroitement avec la Commission nationale autochtone, la Commission nationale des femmes, les Réseaux écologique et intersyndical et les associations campus dans la mesure de leur intérêt et possibilité.

Il est loin d’être évident que la diffusion de cette prise de position ait été reprise et cautionnée par l’une ou l’autre instance locale ou régionale d’autant plus que la direction nationale avait déjà décidé de passer outre.

Sans plan de transition pour la guider, la campagne Ultimatum 2020 a perdu le nord

Pendant ce temps, malgré un intérêt militant qui demeure, la campagne Ultimatum 2020 a perdu le nord et s’éparpille après l’échec de la constitution d’équipes d’intervention agissant aux deux semaines sur commande de la direction. Se posent toujours les questions de comment arrimer thématique nationale et celle locale, quelle thématique nationale privilégier en termes d’alternative une fois pris à bras le corps le rejet de GNL-Québec et celui de la fausse transition du gaz naturel. Doit-on mettre l’emphase sur l’action du parti ou l’insertion dans le mouvement climatique quoique cette insertion comme collectif, certes collaborateur et constructif mais aussi critique sur la base d’une orientation donnée, ne semble pas être envisagée. Si la thématique du transport semble évidente comme thématique centrale, de quel transport s’agit-il : auto électrique versus à essence ou auto solo versus transport collectif ? Puis quel type de transport collectif : ligne rose et REM privilégiant les centres métropolitains ou transport terrestre sur tout le territoire ? La thématique du transport comme celle centrale doit-elle être exclusive étant donné l’importance du logement social (éco-énergétique) dans les villes et ailleurs l’agriculture (biologique) et la façon d’utiliser les ressources naturelles. Quant au secteur public qui entre en négociations intenses, ces emplois surtout de femmes pour des tâches de soin associées au travail gratuit des femmes, n’y voit-on pas un aspect éco-féministe qui devrait trouver sa place dans la campagne climatique ? Comment insérer les peuples autochtones dans la campagne, surtout par rapport à leurs droits territoriaux, et que dire des problématiques canadiennes et internationales à toute fin pratique absentes, ce qu’a mis en évidence la crise dite ferroviaire ?

Tous ces questionnements exigent pour y répondre la référence à un plan de transition clair, net et précis. Cette tâche devient d’autant plus pressante que la CAQ occupe de plus en plus le terrain de l’enjeu climatique avec son propre plan de transition tout électrique qui subventionne grassement les transnationales ayant misé sur l’auto solo électrique, la Caisse de dépôt et de placement avec son cortège de firmes d’ingénierie et de construction misant sur le train aérien REM et les transnationales maintenant toutes étrangères qui construiront les moyens de transport collectif. Mis sur la défensive alors qu’il aurait pu prendre l’offensive immédiatement après la dernière élection et la grande manifestation Greta Thunberg s’il avait été doté d’un plan de transition adéquat, Québec solidaire continue de pelleter en avant alors qu’arrive l’échéance de sa campagne Ultimatum 2020 ce qui l’obligera, exigence provenant surtout de la jeunesse, à répondre à la question fatidique : « Vous, vous proposez quoi ? »

Tirer les leçons du refus de la lutte interne expliquant l’échec catastrophique du Labour de Corbyn

Le temps est venu de précipiter le pas. Le premier défi démocratique est la bataille pour l’ordre du jour du prochain conseil national à la fin mai. Il semble malheureusement acquis que la direction nationale ait fait son lit en gaspillant par exprès le prochain conseil national par un faux débat à vide. Elle est prête à ce mépris de la militance afin de laisser au parti parlementaire toute la latitude voulue sans référence à un plan contraignant et sans contrôle de sa base militante pour se contenter de sa politique communicationnelle habituelle de critique réactive à la marge et à la pièce qui laisse dans l’ombre l’alternative. On reconnaît la tactique électoraliste bien connue de chercher la majorité parlementaire sur la base du rejet du parti gouvernemental, plus moral que politique, afin de faire partie de l’alternance blanc bonnet bonnet blanc du parlementarisme stérile propre au capitalisme.

Faut-il s’en surprendre ? Pour reprendre les termes de la conclusion d’un bilan lucide de l’échec du Labour britannique de Jeremy Corbyn, qui était pourtant de toute une autre trempe que notre direction, « [i]l était toujours littéralement incroyable d’imaginer un programme radical réformiste de gauche, avec de nombreuses mesures contre les intérêts immédiats du capitalisme britannique et international, serait mis en oeuvre par un parti parlementaire qui était viscéralement opposé à ce programme. » (http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article52227) Chez les Solidaires, on fait de la prévention programmatique pour éviter tout plan de transition radicale issu de la poussée irrésistible d’un mouvement à la « Momentum » regroupant les (jeunes) radicaux du Labour. Pour ne pas que Québec solidaire ne tombe dans l’ornière irrécupérable du « crétinisme parlementaire » comme le disait Lénine, il ne faut pas craindre de « … plonger le parti dans la guerre civile à tous les niveaux » ce qu’a refusé de faire la direction Corbyn contre le parti parlementaire afin de préserver l’unité du parti... et sceller sa propre défaite comme celle de son parti face au parti proto-fasciste Tory de Johnson.

Une telle contestation de fond de la direction du parti ne saurait se contenter de soulever la question démocratique pure, de la démocratie pour la démocratie. Car pourquoi tenter de tout chambouler si l’orientation politique est la bonne quitte à modifier certains aspects et à éviter certains pièges. C’est toute l’orientation capitaliste vert de l’antidémocratique plan de transition fabriqué par des « experts » acquis à la domination du « marché » et liés à la nébuleuse péquiste qui fait problème. Cette faille est d’autant plus abyssale que ce plan est, ou devrait être, le pilier socio-économique du projet de société Solidaire en lien avec le pilier indépendantiste politico-constitutionnel qui doit lui être indispensable comme rejet de l’axe financier-pétrolier Toronto-Calgary et du fédéralisme grand canadian et pro-impérialiste d’Ottawa. Pour arriver à temps, on doit comme la tortue de la fable partir maintenant. Comme le parti n’amorcera pas ce débat vital en préparation du prochain conseil national, il revient à notre propre nébuleuse autour des Solidaires pour la démocratie interne à le faire dès maintenant par exemple sur le modèle du débat sur les signes religieux en y ajoutant un débat écrit sur les réseaux sociaux et en le complétant par une bataille de l’ordre du jour.

Marc Bonhomme, 7 mars 2020
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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