Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Comment Budapest est devenue un haut lieu de l’anti-progressisme

Entretien avec András Bíró-Nagy

Viktor Orbán est devenu le moteur d’une contre-révolution culturelle à l’échelle européenne. De son combat « anti-woke » [1], le Premier ministre hongrois a renforcé ses liens avec des partis comme Vox et des leaders comme Javier Milei et Donald Trump. Dans cet entretien, le politologue András Bíró-Nagy analyse les principales caractéristiques du régime hongrois et analyse son rôle dans le contexte européen et mondial.

13 octobre 2024 | tiré du site Entre les ligne entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/13/comment-budapest-est-devenue-un-haut-lieu-de-lanti-progressisme/

En juillet dernier, la Hongrie a pris la présidence tournante de l’Union européenne et tous les regards étaient à nouveau tournés vers Budapest. Le gouvernement de Viktor Orbán et son parti politique, le Fidesz, ont non seulement transformé la Hongrie en un bastion conservateur national, mais ils ont également mené une contre-révolution culturelle à l’échelle européenne. Aujourd’hui, le régime d’Orbán est caractérisé comme l’un des concurrents les plus déterminés dans la bataille « anti-woke » de l’extrême droite, ce qui l’a rapproché de partis tels que Vox, le président argentin Javier Milei et le trumpisme aux États-Unis.

Le politologue András Bíró-Nagy a suivi de près l’évolution d’Orbán et sa dérive « illibérale » [2]. Directeur du think tank Policy Solutions, chercheur principal au Centre hongrois des sciences sociales et membre du conseil d’administration de l’Association hongroise des sciences politiques, Bíró-Nagy analyse dans cet entretien les principales caractéristiques du régime d’Orbán, décompose ses liens avec les forces de l’extrême droite mondiale et détaille ses relations avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou, tout en expliquant ce qui se passe aujourd’hui avec l’opposition hongroise et les divergences avec les pays voisins.

Le 1er juillet, la Hongrie a pris la présidence semestrielle du Conseil de l’Union européenne et a lancé le slogan « Make Europe Great Again ». Que signifie exactement un tel slogan ?

Le slogan Make Europe Great Again, qui est une référence explicite au Make America Great Again de Donald Trump, est une provocation d’Orbán visant avant tout les dirigeant·es européen·nes qui rejettent le populisme de droite, conservateur et souverainiste. D’une manière ou d’une autre, ce slogan montre la perspective d’Orbán sur l’Europe. Il est clair que ce que le régime hongrois actuel recherche et appelle de ses vœux, c’est la construction d’une Europe d’États-nations. Il ne soutient certainement pas la poursuite de l’intégration européenne et souhaite que les piliers de la construction continentale reposent sur les États-nations. Contrairement à d’autres dirigeant·es d’extrême droite, M. Orbán ne cherche pas à quitter l’Europe ou à développer une sorte de « Hunexit », similaire au Brexit britannique. Il souhaite plutôt que les institutions supranationales, telles que la Commission européenne ou le Parlement européen lui-même, aient de moins en moins de pouvoir et évoluent vers la droite. En outre, quitter l’Europe n’aurait pas le soutien de la population. Aujourd’hui, 70% des Hongrois·es sont favorables au maintien dans l’Union européenne. Orbán cherche donc à transformer l’UE de l’intérieur.

Ces dernières années, Orbán est devenu un promoteur actif des réseaux nationaux-conservateurs, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan financier. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Bien qu’Orbán et son parti, le Fidesz, soient généralement très sensibles à l’ingérence étrangère dans la politique hongroise et prônent constamment l’idéal de la « souveraineté nationale », ils n’ont pas hésité à intervenir dans la politique d’autres pays. Un bon exemple est le financement qu’il a accordé à la campagne de la dirigeante d’extrême droite française Marine Le Pen, ou celui d’une banque proche du Fidesz au parti espagnol Vox ; il a été révélé que le parti espagnol a reçu environ 9 000 000 d’euros. Orbán n’évolue pas seulement dans le domaine de la politique nationale, mais montre sa vocation à participer à une construction politique plus large. Il peut le faire parce qu’il est au pouvoir depuis 14 ans et qu’il dispose de beaucoup plus de ressources que la plupart des extrémistes de droite internationaux qui n’ont pas encore réussi à prendre le contrôle de l’État. C’est pourquoi Orbán est en mesure de réaliser des projets qui, pour d’autres dirigeant·es d’extrême droite, ne sont qu’un rêve. Orbán a montré que le fait d’être au pouvoir lui donne des outils supplémentaires pour aider ses ami·es. Cela a été le cas, par exemple, avec Jair Bolsonaro, qui s’est réfugié dans l’ambassade hongroise de peur d’être arrêté pour sa tentative présumée de coup d’État après la défaite électorale. En bref, le régime Orbán peut alternativement fournir de l’argent aux ami·es de l’extrême droite et un refuge lorsqu’elles ou ils sont en difficulté.

Les institutions para-étatiques, telles que l’Institut du Danube, semblent jouer un rôle clé dans ce cadre. Comment fonctionne cet écosystème para-étatique ?

Il existe en effet plusieurs organisations, telles que l’Institut du Danube, qui ont joué et jouent un rôle central dans la mise en réseau et l’établissement de liens entre le régime d’Orbán et d’autres forces d’extrême droite. Certaines de ces institutions ne sont pas seulement actives en Hongrie, mais opèrent au niveau international. L’Institut du Danube est particulièrement actif dans l’établissement de contacts avec les républicains américains, tout comme le Centre pour les droits fondamentaux. Ce think tank [3] est l’organisateur de la version hongroise de la Conservative Political Action Conference (CPAC), qui imite celle des États-Unis, avec laquelle il entretient des liens directs. Un autre acteur important, dont l’influence internationale s’est accrue, est le Mathias Corvinus Collegium, un établissement d’enseignement privé qui a reçu d’importantes sommes d’argent du gouvernement Orbán et a ouvert un bureau à Bruxelles, d’où il a tenté d’influencer la conversation publique européenne. L’exemple le plus frappant est le financement par le Mathias Corvinus Collegium des manifestations d’agriculteurs et d’agricultrices à travers l’Europe au début de l’année.

Depuis quelque temps, des acteurs politiques émergent en Hongrie, encore plus à droite que le Fidesz. De l’extérieur, les divergences ne sont pas très claires…

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est tout à fait vrai qu’il existe des forces politiques qui se situent à la droite d’Orbán et de son parti, le Fidesz. Un cas bien connu est celui du Mouvement pour la patrie, une organisation fondée par des dissidents du Mouvement pour une meilleure Hongrie (Jobbik), qui est tellement extrémiste que même certains amis d’Orbán ne veulent pas s’en approcher. Au Parlement européen, le Fidesz fait partie d’un groupe appelé Patriotes pour l’Europe, qui comprend également le Rassemblement national de Marine Le en et la Ligue de Matteo Salvini. Cependant, il existe désormais un groupe encore plus à droite, l’Europe des nations souveraines, un espace dirigé principalement par Alternative pour l’Allemagne [AfD]. Ce groupe entretient des relations avec la Russie et la Chine, ce qui n’est même plus supportable pour Marine Le Pen. Le Mouvement pour la patrie se caractérise par la diffusion de théories conspirationnistes, dont beaucoup sont liées à la pandémie de covid-19 et aux vaccins, au sujet desquels il soulève de fortes réticences. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, ses dirigeant·es ont déclaré que l’Ukraine devait céder des territoires non seulement à la Russie, mais aussi à la Hongrie elle-même, qui avait été le possesseur historique de certaines parties du pays aujourd’hui envahi et en guerre. Ces positions radicales et extrémistes sont, comme on peut le voir, encore plus à droite que les positions du Fidesz et d’Orbán lui-même.

En Pologne, le parti d’extrême droite Droit et Justice (PiS) a été battu lors des dernières élections après une série de mobilisations de jeunes et de militantes féministes dans les grandes villes du pays. Qu’est-ce qui différencie la Hongrie de la Pologne à cet égard ?

Pendant les huit années où le parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyński était au pouvoir, la Hongrie et la Pologne étaient considérées comme les deux exemples les plus clairs de recul démocratique dans la région. Mais, pour être honnête, la situation a toujours été bien pire en Hongrie qu’en Pologne. Droit et Justice n’a jamais disposé d’une majorité constitutionnelle suffisante pour transformer l’ensemble du cadre démocratique du pays. En fait, en ne parvenant pas à obtenir une telle majorité constitutionnelle, il n’a pas non plus été en mesure de modifier un certain nombre de lois importantes. La situation est différente dans le cas d’Orbán, qui, après 14 ans au pouvoir, dispose de ces majorités spéciales qui lui permettent de modifier le système électoral pour améliorer ses performances électorales, ou de changer des aspects substantiels du cadre réglementaire du pays s’il le souhaite. En fait, c’est la super-majorité d’Orbán qui a permis à son parti, le Fidesz, de s’emparer de toutes les institutions de contrôle. Je pense en particulier au bureau du procureur général, à la Cour des comptes qui supervise les dépenses publiques et à la Cour constitutionnelle.

C’est à cause de ce genre de choses que j’ai toujours eu le sentiment que la transformation de l’environnement démocratique, et aussi de l’environnement médiatique, a été beaucoup plus profonde en Hongrie qu’en Pologne. Orbán a eu plus de temps pour cela, mais aussi des pouvoirs plus larges et plus profonds que Kaczyński. Dans le même temps, il a toujours été très clair que les médias étaient plus forts et plus pluralistes en Pologne qu’en Hongrie. En outre, la société civile polonaise s’est révélée plus solide que la société civile hongroise au fil des ans. Mais il y a un autre aspect remarquable dans ce tableau, et c’est celui de l’opposition et des dirigeant·es politiques. En Pologne, contrairement à la Hongrie, il y a toujours eu une opposition forte avec un leadership clair. Donald Tusk est revenu de la politique européenne à la politique polonaise proprement dite en tant que chef de l’opposition et a réussi à se faire élire premier ministre. Il faut ajouter à cela le fait que le système électoral polonais a permis à l’opposition de se présenter sous la forme de différentes listes – de gauche et du centre – puis de s’unir, alors qu’en Hongrie, le système électoral favorise les grands blocs, de sorte que pour défier un gouvernement et un parti fort, il faut une alliance préalable, ce qui n’a jamais satisfait qui que ce soit. Pour les électeurs et les électrices de gauche, il était problématique de voter pour une liste dont le candidat au poste de premier ministre était une personnalité de droite libérale-conservatrice, et pour les électeurs et électrices des zones rurales, où les positions conservatrices prédominent, il était tout aussi problématique de voter pour une liste comprenant des personnalités issues de partis de gauche classiques, même si le premier ministre en lice ne l’était pas. Cela a conduit à une défaite majeure pour ce type d’alliance.

La situation de l’opposition est-elle toujours la même aujourd’hui, ou un nouveau leadership a-t-il émergé ?

La situation actuelle est quelque peu différente en raison de l’émergence d’un nouvel acteur politique. Je veux parler de Peter Magyar, un ancien membre du Fidesz qui est passé dans l’opposition et en est devenu l’une des figures de proue. Peter Magyar – dont le nom de famille signifie littéralement « hongrois » – est l’ex-mari de la ministre de la justice de Viktor Orbán et est quelqu’un qui connaît parfaitement le régime, puisqu’il en est issu. M. Magyar a récemment créé le Parti du respect et de la liberté et, en peu de temps, il a commencé à détruire l’opposition fragmentée existante. Magyar, qui a dénoncé la corruption du régime et certains de ses aspects autoritaires, est un phénomène nouveau. Lors des prochaines élections, qui se tiendront en avril 2026, M. Orbán sera probablement confronté à M. Magyar, qui sera son seul adversaire politique. Il est très probable que les différentes organisations qui s’opposent à Orbán se regroupent autour de la candidature de Magyar.

Avant l’arrivée au pouvoir d’Orbán, le Parti socialiste (héritier du Parti socialiste ouvrier de l’époque communiste) était au pouvoir. Aujourd’hui, ce parti, qui a joué un rôle clé dans le processus de transition entamé après la chute du mur de Berlin, semble avoir subi un déclin important de sa force électorale. Aujourd’hui, ce parti, qui a joué un rôle clé dans le processus de transition entamé après la chute du mur de Berlin, semble avoir subi un déclin significatif de sa force électorale. Qu’est-il arrivé aux socialistes ?

Le dernier parti politique à avoir battu Orbán est le Parti socialiste hongrois en 2006. C’est la dernière fois qu’Orbán a subi une défaite, ce qui s’était déjà produit en 2002, également contre les socialistes. Cependant, les problèmes ont commencé précisément pendant la période de gouvernement entre 2006 et 2010, lorsque le parti socialiste a commencé à faire passer une série de mesures néolibérales sur la santé et l’éducation. Orbán s’est appuyé sur ce tournant néolibéral et a condamné les réformes, soulignant la nécessité d’une plus grande intervention de l’État et de soins de santé publics gratuits. Ferenc Gyurcsány, le premier ministre de l’époque – qui n’est plus membre du parti socialiste mais de la coalition démocratique – est toujours actif dans la politique du pays et est considéré comme un acteur clairement toxique. La réputation et l’héritage de l’ancien premier ministre sont si mauvais, non seulement en termes de gestion mais aussi de corruption, que même 14 ans de règne d’Orbán n’ont pas réussi à les faire oublier. Bien entendu, sous le gouvernement d’Orbán, la corruption a pris des proportions bien plus importantes. C’est le gouvernement le plus corrompu de toute l’Europe, selon les indices de Transparency International et de la Commission européenne. Et pourtant, on se souvient encore des performances du gouvernement libéral-socialiste, ce qui a empêché les socialistes de se redresser.

Et aucun nouveau parti politique ne s’est formé à la gauche du parti socialiste ?

Il y a eu plusieurs tentatives de création de nouveaux partis, mais pas à la gauche du parti socialiste. Il y a eu de nouveaux partis libéraux et de nouveaux partis verts, mais la création de nouveaux partis a de plus en plus contribué à la fragmentation de l’opposition. Lorsque Orbán est arrivé au pouvoir, la gauche ne comptait plus que deux partis. L’un était le parti socialiste et l’autre le parti vert, qui se présentait sous le slogan « la politique peut être différente », un slogan qui faisait référence au mouvement altermondialiste. La fragmentation croissante, l’incapacité du parti socialiste à se redresser et la faible part de voix du parti vert ont empêché l’émergence d’une alternative réellement forte à Orbán. Chacun des nouveaux partis s’est battu non seulement contre le Fidesz, mais aussi contre le reste de l’opposition, ce qui a clairement joué en faveur d’Orbán. Aujourd’hui, tout le monde cherche désespérément quelque chose de nouveau et d’unificateur. Le seul espoir est le changement de régime. Nous en sommes donc arrivé·es à une situation où de nombreux électeurs et de nombreuses électrices des forces d’opposition seraient prêt·es à parier sur Peter Magyar, un bureaucrate de haut rang du régime Fidesz jusqu’à très récemment, pour tenter de modifier le statu quo actuel.

L’une des caractéristiques les plus claires du régime hongrois au niveau mondial est son soutien inconditionnel à Benjamin Netanyahu en Israël. Cependant, Orbán a depuis longtemps adopté des positions qui ont, à tout le moins, été qualifiées de philo-antisémites, par exemple lorsqu’il attaque George Soros. Comment cette situation doit-elle être comprise depuis la Hongrie ?

Étant donné que l’un des principaux objectifs du régime Fidesz dans les affaires internationales est de présenter son gouvernement comme le meilleur allié d’Israël, Orbán est devenu très prudent lorsqu’il s’agit d’aborder des questions traditionnellement associées à l’antisémitisme. L’actuel Premier ministre hongrois considère Netanyahou comme un dirigeant avec lequel il partage non seulement des valeurs, mais aussi une certaine perspective sur ce que devrait être une démocratie. C’est dans ce cadre qu’il se présente comme le défenseur et le garant des droits de la minorité juive hongroise. Après les attentats du 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza, Orbán a interdit toute manifestation de soutien à la Palestine et a souligné son alignement sur Israël. Il n’a cependant pas cessé de développer une politique qui vise subrepticement à toucher une partie de la société hongroise, en ciblant clairement George Soros et l’Open Society Foundation. Soros est un survivant hongrois de l’Holocauste qui, avec sa famille, a émigré d’abord au Royaume-Uni, puis aux États-Unis, où il a mené une brillante carrière dans les affaires et la finance. Lorsque, dans les années 1980, le régime communiste a commencé à s’effondrer, Soros s’est impliqué dans la situation politique hongroise et a soutenu des groupes cherchant à contribuer à la transition démocratique. Parmi les différentes organisations visant la fin du régime communiste et l’ouverture du pays à la démocratie se trouvait le Fidesz, le parti d’Orbán. Et c’est dans ce contexte que l’Open Society Foundation de Soros a soutenu financièrement le Fidesz. Mais la situation ne s’est pas arrêtée là. Soros a lui-même financé une bourse d’études à l’Université d’Oxford pour Orbán. Alors que le Fidesz et Orbán lui-même se tournaient de plus en plus vers l’extrême droite, et déjà après l’arrivée au pouvoir d’Orbán, une campagne contre Soros a commencé, le dépeignant comme un banquier et homme d’affaires new-yorkais cupide qui cherchait à gagner de l’influence dans différents pays grâce à son argent, en s’ingérant dans les affaires intérieures de nations souveraines. C’est l’image que le Fidesz a construite de Soros pendant de nombreuses années, et celle qui prévaut encore aujourd’hui. En fait, très récemment, Orbán et son parti ont lancé une campagne présentant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, comme une « marionnette » du fils de Soros, qui préside aujourd’hui l’Open Society Foundation. Cette idée de la famille Soros comme un groupe de marionnettistes essayant de dominer le monde fait clairement référence aux théories de conspiration juives globales, mais coexiste, en même temps, avec un soutien explicite à Israël. En effet, aucun dirigeant au monde n’est plus pro-israélien et pro-Netanyahu qu’Orbán.

A la fin de l’année dernière, Orbán a assisté à la cérémonie d’investiture de l’actuel président argentin Javier Milei, mais Orbán semble avoir peu de choses en commun avec la vision libertaire du président sud-américain. Comment comprendre ces liens, et dans quelle mesure, comme dans d’autres cas, sont-ils favorisés par les positions « anti-woke » et les diverses batailles culturelles qui unissent la droite radicale ?

L’anti-wokisme est en effet ce qui unit Orbán à Milei, à Vox, à Trump et à d’autres leaders de l’extrême droite mondiale. C’est un point particulièrement important et intéressant, car lorsque l’on observe ces différents leaders et groupes politiques d’extrême droite, on se rend vite compte qu’ils ne partagent pas de position commune, par exemple, sur les questions économiques. Orbán est résolument interventionniste dans le domaine économique, comme il l’a montré pendant la crise énergétique et la période de forte inflation, lorsqu’il a plafonné les prix de différents produits. Aujourd’hui, aux États-Unis, c’est Kamala Harris qui a suggéré qu’elle pourrait plafonner les prix de certains produits, et elle a été critiquée par Trump, qui a qualifié une telle initiative de « mesure communiste ». Lorsque cela s’est produit, nous avons toutes et tous bien ri en Hongrie, car c’est leur ami Orbán qui a adopté cette politique il y a tout juste un an ou deux. Il est donc clair que ce qui les unit n’est pas le terrain économique – parfois, ils ne savent même pas grand-chose de ce qu’ils font en matière de politique économique intérieure – mais la bataille culturelle. Dans cette bataille, l’anti-wokisme joue un rôle clé, tout comme les positions anti-LGTBI+ et anti-féministes. C’est dans ce domaine que tous ces acteurs s’accordent sur un programme fortement conservateur. En Hongrie, il s’agit en fait de la politique la plus réussie du gouvernement Orbán. L’anti-wokisme et la défense de la « famille traditionnelle » sont remarquablement bien acceptés, dépassant même la politique anti-immigration. La société hongroise est plutôt conservatrice et cela inclut non seulement celles et ceux qui votent pour le Fidesz, mais aussi celles et ceux qui votent pour l’opposition. C’est ce qui unit Trump, Vox et Milei, un personnage avec lequel Orbán ne partagerait jamais l’idée que l’État doit être détruit, mais avec lequel il peut être d’accord dans le domaine des batailles culturelles.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a généré beaucoup de tensions dans le groupe de Visegrad, qui comprend la Slovaquie, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Comment ces divergences ont-elles été traitées ?

Au niveau européen, la question de la guerre d’Ukraine est l’une des lignes de fracture entre les différents acteurs de l’extrême droite. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles il n’existe pas de groupe parlementaire européen unifié de ces forces de droite. D’un côté, il y a le groupe des Conservateurs et Réformistes européens, qui comprend les Frères d’Italie de l’Italienne Giorgia Meloni, les Polonais·es de Droit et Justice de Jarosław Kaczyński, et les Tchèques du Parti démocratique civique. Ce groupe est nettement plus pro-atlantiste et pro-ukrainien que les Patriotes pour l’Europe, le groupe parlementaire qui comprend notamment le Fidesz de Viktor Orbán, le Rassemblement national de Marine Le Pen, le Parti de la liberté d’Autriche et la Ligue de l’Italien Matteo Salvini. Ce groupe est plus clairement pro-russe. Cela montre, par exemple, que les Polonais de Droit et Justice et les Hongrois de Fidesz sont, dans ce cas, divisés. Alors que la Pologne craint une intervention russe en raison de sa propre histoire, Orbán ne voit pas Vladimir Poutine d’un si mauvais œil. Cependant, Orbán ne se prononce pas directement en faveur du dirigeant russe, mais utilise un discours « pro-paix ». Il évite de se considérer comme pro-russe, même si c’est la conclusion de sa position « pro-paix ». Que signifie concrètement une position « pro-paix » dans ce contexte ? Elle signifie évidemment que la Russie peut conserver 20% du territoire ukrainien. C’est ce que le programme « pacifiste » d’Orbán implique en réalité. La question de l’Ukraine divise donc l’extrême droite européenne, y compris les membres du groupe de Visegrad. Ce qui les unit vraiment, ce qui les rassemble et les fait faire partie d’un bloc commun, c’est l’euroscepticisme, la défense de la souveraineté des pays individuels et, bien sûr, le combat culturel anti-progressiste ou anti-éveillé.

Mariano Schuster et Pablo Stefanoni
https://nuso.org/articulo/como-budapest-se-transformo-en-la-meca-del-antiprogresismo/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

[1] woke = état d’éveil face à l’injustice, conscience des rapports sociaux et de leurs effets – NdT
[2] libéralisme au sens politique – NdT
[3] groupe de réflexion ou laboratoire d’idées – NdT

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