Édition du 18 juin 2024

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Solidarité avec la Grèce

Chronique des interventions de l’exécutif grec au Comité d’audit de la dette grecque

Le 4 avril, la présidente du Parlement grec a ouvert la séance du Comité d’audit de la dette en déclarant que la connaissance de la vérité répond à une demande sociale de premier ordre et représente également une obligation selon la loi internationale de l’Union européenne.

Zoe Konstantopoulo a également affirmé que la connaissance de la vérité sur la dette est une question de dignité et d’humanité puisque le paiement de la dette sert de prétexte pour imposer un régime qui conduit une grande partie de la population à la pauvreté, à la mort et au suicide. Konstantopoulo a également souligné la très forte portée symbolique du fait que ce soit le Parlement, lieu des débats démocratiques, qui accueille la Commission.

Ensuite, le Président de la République, le conservateur Prokopis Pavlopoulos est intervenu pour remercier les spécialistes qui se sont déplacés à Athènes pour faire partie du Comité. Il a fait également remarquer que l’audit est une obligation selon la loi de l’Union européenne. Il a clairement fait savoir que l’Union européenne n’est pas un Etat intégré avec une constitution légitime, raison pour laquelle tant qu’il n’y a pas une loi de ce type, les Etats-nations ont le droit et l’obligation de protéger la souveraineté qui émane de leurs Constitutions. Il a souligné que l’audit ne devrait pas être considéré comme une provocation mais comme un acte démocratique en faveur de la santé de l’Union européenne et qu’il souhaitait que cet exercice s’étende à tous les Etats européens. Il a comparé l’audit avec les processus ouverts au sein de la Cour constitutionnelle allemande pour questionner les sauvetages européens ainsi que ceux portant sur la question des programmes de liquidités de la BCE pour déterminer s’ils étaient ou non prévus par son mandat. Enfin, il a rappelé que la Grèce souhaite contribuer à l’Union en agissant dans le cadre de la loi européenne. L’audit selon lui permettra de faire la lumière sur ce qui s’est passé pour éviter de futurs nouveaux abus en matière d’endettement.

Sofia Sakorafa, la principale promotrice de l’initiative est députée de Syriza au Parlement européen. Elle est également une des fondatrices de l’Initiative pour un audit de la dette publique en Grèce, une plateforme née en 2011 dans le cadre des mobilisations des Indigné/e/s. Sakorafa a signalé que le gouvernement répond, au carrefour actuel de l’histoire, à une demande du peuple qui a été ignorée depuis 2010 par les gouvernements antérieurs. L’objectif de ce processus est de redonner le contrôle de l’Etat à la société ainsi que de lutter contre la propagande qui tente de faire peser la responsabilité de la crise sur la majorité de la population pour dissimuler le rôle des banques européennes. Son message est clair : les Grecs ne vivent pas aux dépends du reste de l’Europe. Seul 8 % de l’argent des « sauvetages » est allé à des budgets publics alors que les 92 % restants sont allés directement à des banques détentrices de titres de la dette. Elle a souligné l’importance de cette initiative, qui a lieu pour la première fois dans un Etat européen, avec l’appui du Président de la République, du premier ministre et du reste de l’exécutif.

“Elle a souligné l’importance de cette initiative, qui a lieu pour la première fois dans un Etat européen, avec l’appui du Président de la République, du premier ministre et du reste de l’exécutif.”

Le ministre de la Défense, Panos Kammenos, membre des Grecs Indépendants a souligné l’importance de ce jour pour la souveraineté nationale. Il a rappelé que la Commission est un mandat du peuple grec qui n’a pas été entendu pas les exécutifs précédents. Il s’est interrogé quant à savoir si la dette serait seulement une erreur ou également un crime : il en a conclu qu’il s’agit d’un crime. Kammenos a assuré que Georges Papandreou, premier ministre lors du premier « sauvetage » de la Troïka en 2010 s’est réuni avec Georges Soros et John Alfred Paulson, propriétaires de puissants fonds d’investissement, pour orchestrer la faillite grecque de 2010 et provoquer l’intervention du FMI, ceci par l’achat de grands volumes de Credit Default Swaps (assurance contre le non-paiement) de la dette grecque et provoquer sa chute. Ces accusations très graves, si elles sont confirmées, pourraient servir à accuser leurs responsables de crimes contre l’humanité. Selon Kammenos, la Banque centrale de Grèce a refusé à plusieurs reprises de communiquer des informations sur le sujet. Il signale avoir également demandé des informations sur le processus de restructuration de 2012, qui présente encore de nombreuses inconnues. Kammenos a également affirmé qu’il avait trouvé des preuves de gonflements de la dette au travers d’achats de son ministère dont les commandes n’ont jamais été livrées. D’après Kammenos, l’audit devra montrer que la démocratie est vivante et que la crise a été un montage et un grand crime.

Le ministre de la Réforme administrative, George Katrougalos sera chargé de coordonner le travail du comité avec les différents ministères. Katrougalos a clairement signifié que le Comité de la vérité sur la dette n’est pas une simple commission parlementaire mais qu’il s’agit d’un comité de recherche de la vérité. Etant donné que la dette externe est un instrument politique de domination et d’oppression néocoloniale, l’audit sera un outil politique contre cette domination étendue également au sein de l’UE. Le ministre, juriste expert en droit constitutionnel, a souligné que tant les Nations Unies comme l’ordre constitutionnel grec donnent la priorité aux droits sociaux. Cela découle des principes du droit romain selon lesquels sauver la population équivaut à sauver la démocratie. Il a mis en avant le travail de Cephas Lumina, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur les effets de la dette sur l’exercice des droits humains et également membre du Comité, qui a démontré que les memoranda ont violé les lois fondamentales de l’Union européenne. Le ministre a également mis en exergue l’importance des mouvements sociaux et l’implication citoyenne dans le processus, ce qui donne lieu à un dialogue permettant de transmettre et récolter l’information auprès de la population. Il a terminé en expliquant que la Grèce avait été le cobaye de l’austérité et qu’elle sera peut-être le reflet de ce que seront les autres Etats du Sud de l’Europe dans le futur.

Le ministre d’Etat pour la lutte contre la Corruption, Panayotis Nikoloudis a signalé la corruption endémique dans le processus qui a conduit la Grèce à l’abîme actuel et a souligné l’importance de la corruption dans les contrats publics, en particulier au cours de la période entre 2000 et 2010. D’après lui, la plupart des abus majeurs ont eu lieu durant cette période. Au cours de ces années, la dépense publique a explosé en raison de la corruption, des taux d’intérêt élevés et de la dépense excessive en infrastructures et armement. On accuse la société grecque d’être corrompue mais on ne parle pas de qui sont les corrupteurs, qui dans la plupart des cas n’étaient pas Grecs. Certains exemples de cette corruption sont les achats d’armement pour lesquels il a été confirmé qu’il y avait des commissions illégales de 4 % pour chaque achat et dont les plus importants fournisseurs étaient des entreprises françaises, allemandes et américaines. Il a également fait mention de commissions illégales de 2 à 2,5 % pour la fourniture de biens fondamentaux à l’administration de l’Etat et de commissions de 23 % (!!!) pour la fourniture de matériel médical. Tous ces paiements avaient cours par l’intermédiaire de systèmes extrêmement sophistiqués et complexes comme ceux qu’utilisent les plus grandes organisations criminelles. Ces activités illégales ont généré selon Nikoloudis une dette illégale qui doit être répudiée.

Le ministre de la Justice, Nikos Paraskevopoulos, a affirmé que l’audit de la dette devait prendre en compte les réseaux de responsabilités qui échappent à l’échelle nationale. Il a signalé qu’il s’agit de processus pénaux qui incriminent des politiques qui ont participé à de précédents gouvernements mais dont les noms ne peuvent être révélés tant que les enquêtes sont en cours. Dans tous les cas, ces actions criminelles sont en rapport avec la dette. Il a donné l’exemple du fonds de privatisation des actifs connu comme Fonds d’actifs publics pour le développement, qui, selon le ministère, ne s’est pas conformé à son mandat public et qui a vendu du patrimoine en échange de loyers futurs qui n’étaient pas payés et qui donc ne pouvaient pas servir au paiement de la dette. Il s’est donc agi de privatisations en échange de pratiquement rien, privatisations réalisées au travers d’appels d’offres contrôlés par les mêmes entreprises privées qui luttaient pour le contrôle des actifs.

Le ministre des Affaires Européennes, Nikos Chountis, a déclaré que l’audit est un acte d’importance suprême pour renverser le cadre législatif européen. Il a expliqué que son dernier acte en tant que parlementaire européen a été de solliciter l’appui du parlement dans l’établissement de comités d’audit, demande qui a été ignorée par le président du Parlement. Il a expliqué que sa contribution à l’audit aurait pour objectif de questionner les institutions européennes sur deux points. Le premier : qu’advient-t-il si un pays doit violer ses lois fondamentales pour poursuivre le paiement de la dette ? Le second : qu’en est-il de la soi-disant légalité des mesures imposées au nom du paiement de la dette si après l’imposition de ces mesures, la dette continue d’augmenter ? En ce sens, il est clair qu’il met en rapport ce second point avec toutes les études qui ont mis en avant l’absence totale de pertinence économique de l’austérité qui, de plus, entraîne une augmentation de la dette rendant les paiements plus difficiles. Selon un certain nombre de dispositions de l’article 472 du Traité de l’Union européenne, en dépit des mesures d’austérité, les Etats doivent garantir les droits et services fondamentaux ; si cela n’est pas réalisé, l’argent collecté via les impôts devrait donc leur être restitué.

Le vice-ministre de la défense nationale, Costa Isychos, a lui mentionné les nombreux cas de corruption en rapport avec les contrats d’armement. Il a expliqué que les dépenses cumulées d’armement entre 2000 et 2010 équivalaient à une année de PIB. Il a également commenté que la Grèce payait encore une partie du programme AID, comme la partie du plan Marshall relative à l’achat d’armes. Isychos a signalé que les armes importées à des prix élevés au cours des dernières décennies étaient défectueuses, obsolètes et inappropriées pour le terrain grec. Ces achats d’armes l’ont été sans tenir en compte le bien commun, sinon pour le bénéfice de quelques uns et en vue de générer une dépendance vis à vis de l’extérieur, comme dans le domaine financier. Il a mis en avant l’achat sans aucun contrat de tanks Léopard mais également d’avions de combat F16, achetés sans moteur.

Yannis Varoufakis, le ministre grec le plus connu [il est Ministre des finances] a également fait une présentation lors de la première journée de travail du comité. Celle-ci a consisté en un cours d’économie politique allant du déclenchement de la crise globale actuelle jusqu’à la crise actuelle de la zone Euro. Il ne s’agit pas d’un problème grec, mais bien d’une crise mondiale ayant son origine dans la financiarisation du capitalisme qui est intervenue depuis le début des années 1980. Les banques sont passées d’un modèle qui consistait à prêter et garder les prêts dans le bilan jusqu’à leur remboursement à un modèle où les banques prêtent et sortent les prêts du bilan via les marchés de dérivés. Il a dénoncé la stupidité des propos des dirigeants de la FED [la Réserve fédérale américaine] Greenspan et Bernanke qui ont qualifié la période comme étant modérée en raison de faibles taux de croissance, d’intérêt et d’inflation alors que dans le même temps, le marché des dérivés a atteint un volume de 700 000 milliards de dollars. C’est encore plus clair pour la zone Euro dont l’élaboration défectueuse a retiré aux économies nationales toute capacité d’absorber les chocs.

Cela a fini par générer un déséquilibre des balances de comptes courants et de capitaux qui ont fini par fragmenter la zone Euro. Il a affirmé qu’il n’y a pas de différence entre les crises générées dans le secteur public et celles du secteur privé : il s’agit toutes de crises générées par ces déséquilibres de l’Euro et ces dettes sont nécessaires pour le fonctionnement même de la monnaie unique. La socialisation des pertes a été une stratégie qui faisait partie du modèle, il s’agissait de la seule manière de maintenir l’Euro. Les économistes qui, comme lui, interpellaient sur ces problèmes, étaient pointés du doigt comme incapables de comprendre la modernité du nouvel ordre mondial. Selon lui, ce n’est pas l’Europe que les pères de l’Union européenne, comme l’ex-président de la Commission européenne Jacques Delors ou l’ex premier ministre Papandreou, désiraient, et le projet d’intégration semble mort.

Il a offert dans son intervention toute sa collaboration au comité. Varoufakis a affirmé que le rôle du comité devait être de faire honneur à la vérité devant le peuple grec et de réaliser un exercice de transparence unique et exemplaire en montrant qui doit à qui, tout en faisant preuve de rigueur en termes de jugements moraux.

Enfin, le ministre des Infrastructures, du Transport et des Communications, Christos Spirtzis, a mis en avant les pertes subies au cours de la restructuration de la dette de 2012 par les travailleurs de son ministère dont les épargnes et plans de pension étaient investis dans des titres publics. En 2010, les banques internationales ont été sauvées tandis qu’en 2012 une décote a été imposée aux détenteurs de titres, parmi lesquels nombre de travailleurs et de petits investisseurs, au cours d’un processus peu transparent, fait aggravant lorsque l’on considère le traitement de faveur qu’ont reçu les grandes banques. Il a d’autre part souligné que son ministère ne dispose pas d’information quant au coût de construction des infrastructures, des matériaux de construction, etc. Aucun mécanisme de supervision, ni de comptes n’a été déterminé. Il a placé sur le cartel de la construction grecque une grande partie de la responsabilité dans l’opacité et la corruption du secteur, ce qui comprend la manipulation systématique des prix des matériaux. Il a également commenté le besoin de questionner les agences de régulation de la concurrence pour leur implication dans ce processus aux côtés d’entreprises nationales et internationales.

Sergi Cutillas, ODG et membre du Comité pour la Vérité sur la dette grecque

Source : http://odg.cat/es/blog/cronica-de-l..

Traduction : Virginie de Romanet

Sergi Cutillas

ODG et membre du Comité pour la Vérité sur la dette grecque.

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