Édition du 4 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

SECTION 2 - SYSTÈME ÉCONOMIQUE, TRAVAIL DES FEMMES ET PLACE DE L’ÉCOLOGIE

Changement de perspective et 3. pistes d'action

Nous publions la suite du texte Système économique, travail des femmes et place de l’écologie dont nous avions publié la première partie : État des lieux. Ce texte est produit pour les États généraux du féminisme (Presse-toi à gauche !)

2. Changement de perspective

Le travail est depuis longtemps un des champs importants des luttes féministes pour l’égalité et la justice sociale. Mais les impasses dans lesquelles nous nous trouvons dans le système économique actuel nous poussent à faire évoluer nos analyses et nos stratégies d’action en développant une véritable réflexion de fond sur l’économie. Pour une autre conception de l’économie Les féministes remettent en cause les paradigmes de l’économie dominante, qui ne reconnaissent que la production de marchandises (biens et services vendus sur le marché) et où les agents économiques agissent en privilégiant les intérêts individuels, en maximisant l’utilité au moindre coût. Ces références peuvent être appliquées à la manière d’agir d’un homme blanc d’environ 30 ans, détenteur de capital, mais non à la majorité de l’humanité. Malgré leur absence de fondement dans la réalité, ce sont ces paradigmes qui orientent les politiques du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de la plupart des gouvernements de la planète. Une nouvelle conception de l’économie, l’économie féministe en ce qui nous concerne, est importante pour rendre plus visible la contribution des femmes à l’économie, pour mettre en lumière leurs expériences et pour montrer comment la production des marchandises est articulée avec la reproduction sociale, c’est-à-dire la production des personnes et de la vie. Cela comprend la grossesse et l’accouchement, les soins aux enfants, aux personnes âgées et aux personnes malades et même aux hommes en santé, de façon à leur permettre de rester disponibles pour le marché du travail et en bonne santé. Le soin implique non seulement la nourriture, le nettoyage de la maison, le lavage et le repassage, mais aussi l’affection, la sécurité émotionnelle et l’entretien du lien social qui maintient ensemble les familles, les voisins et les communautés.

Une vision féministe de l’économie dénonce également la division sexuelle du travail, qui attribue aux hommes un travail productif (la production de marchandises) et aux femmes un travail reproductif (le soin aux personnes), en plus d’établir une hiérarchie qui place le travail productif au-dessus du travail reproductif. Des courants féministes cherchent à quantifier le travail non rémunéré des femmes dans la famille et la communauté et font pression pour qu’il soit comptabilisé dans le budget national, calculé à l’intérieur du produit national brut. D’autres cherchent à rendre visibles à la fois le volume de temps consacré par les femmes aux travaux domestiques et leur disponibilité physique et émotionnelle pour le soin des autres. Cette vision met aussi en évidence comment des valeurs, telles que la coopération ou la solidarité, et des compétences, comme l’adresse ou la patience, sont utilisées dans les entreprises. Cependant, cela n’est pas transformé en avantages sociaux (plus de responsabilité ou plus de rémunération) quand il s’agit de femmes, pour qui ces valeurs et ces compétences sont considérées comme « naturelles » plutôt qu’apprises. « Le travail féminin, c’est ce qu’une féministe nomme le coeur invisible de l’économie. » [1]
La définition même « d’économie » la réduit à « l’économie de marché ». Elle exclut de sa définition, l’analyse du travail de reproduction, souvent non rémunéré, essentiel au maintien et à la qualité de la vie humaine, sans lequel la force nécessaire pour réaliser le travail de production rémunéré, le seul reconnu par l’économie du marché, ne pourrait pas se réaliser. » [2]

Une vision féministe de l’économie et de la société se base sur des valeurs d’égalité, de justice sociale et de solidarité. Autrement dit, elle est nécessairement en opposition et incompatible avec un modèle capitaliste de société. Cela veut aussi dire questionner notre rapport au travail salarié et promouvoir une reconnaissance du travail gratuit des femmes. Le mouvement féministe ressent le besoin de développer une vision alternative qui soit basée sur des valeurs telles que l’égalité entre les femmes et les hommes, entre les femmes elles-mêmes et entre les peuples, la recherche du bien-être des personnes et de la société en général, ainsi que le respect de l’environnement et les limites des ressources naturelles de notre planète. Il s’agit de se donner les véritables moyens de sortir d’une vision productiviste, individualiste et concurrentielle du travail qui vise l’accumulation et la concentration de richesses entre les mains de quelques privilégiés, marginalise toute personne qui n’est pas en mesure de répondre aux exigences de productivité et se nourrit de l’exploitation intensive des ressources naturelles.

Inviter le mouvement féministe à développer une conception en dehors du capitalisme représente un pas audacieux mais nécessaire. S’il reste indispensable de poursuivre les critiques féministes du système économique actuel et de se battre pour le rendre plus égalitaire et plus juste, il devient urgent de proposer des alternatives en tenant compte des enjeux majeurs que sont le bien-être de toutes et de tous et la protection de l’environnement. Développer une vision féministe de l’économie permettrait d’allier le développement social et humain à la nécessité de changer les modes de vie pour un bien-être collectif. Cette vision « éco-féministe » pourrait se définir comme l’alliance stratégique entre la conception égalitaire de la société féministe et la nécessaire révolution économique environnementale. Elle pose le féminisme et l’écologie comme les vecteurs de transition vers une nouvelle économie s’inscrivant dans une société créative, égalitaire, vivable et durable.

Enfin, le mouvement féministe doit se donner les moyens de sortir d’une situation dans laquelle les acquis ne bénéficient qu’à une partie des femmes et contribuent ainsi à l’augmentation des inégalités entre les femmes. Il a mis en lumière depuis longtemps les impacts de l’imbrication entre le capitalisme et le patriarcat : le capitalisme crée et accentue les inégalités et affecte en premier lieu les femmes. Mais le mouvement constate également que, parmi les femmes, celles qui se trouvent marginalisées de par leur classe sociale, leur origine, leur orientation sexuelle, leur identité culturelle ou religieuse ou leur handicap subissent les inégalités du système capitaliste avec d’autant plus de force. Une analyse qui tient compte de l’intersection entre les différents systèmes d’oppression peut permettre au mouvement féministe de développer une vision alternative globale et inclusive de la situation de toutes les femmes.

3. Pistes d’action

Ce sont sur ces propositions qui vous serez appelées à vous prononcer au Forum.

Section 2 – Proposition 1 :Poursuivre les luttes féministes dans le système économique actuel

a. Maintenir la pression féministe visant plus d’égalité et de justice dans le système économique actuel en poursuivant les luttes en faveur de l’équité salariale, l’égal accès des femmes au marché du travail, la diversification des choix professionnels, l’amélioration des conditions de travail des femmes, la lutte contre l’exploitation et les violences au travail, la lutte contre le surmenage des femmes, une meilleure conciliation travail-famille-études, etc.

b. Développer l’analyse féministe des effets combinés du patriarcat et du capitalisme avec les autres systèmes d’oppression tels que le racisme, le colonialisme, le capacitisme, l’homophobie, etc. dans la reproduction des inégalités de façon systémique

c. Lutter contre les politiques d’immigration actuelles qui créent et accentuent les inégalités sociales et économiques et qui favorisent l’exploitation des personnes les plus marginalisées sur le marché du travail

Section 2 – Proposition 2 : Développer parallèlement une vision alternative – féministe et écologiste - de l’économie et du travail :

a. Se donner les moyens de rompre avec le système capitaliste et néolibéral actuel en développant une vision tournée vers une économie des soins et des besoins pour assurer la vie sur terre et le bien-être des communautés au Nord comme au Sud

b. Développer et mettre en pratique des alternatives économiques basées sur les valeurs de la Charte mondiale des femmes pour l’humanité

c. Reconnaître et valoriser les contributions non salariées des femmes à la société tout en améliorant la prise en charge du travail domestique et familial par les hommes. Développer des pratiques collectives de prise en charge des soins. Autrement dit, rompre avec la division sexuelle du travail (qui oppose le travail de production rémunéré et le travail de reproduction non-rémunéré) en tenant compte du travail effectué par les femmes de façon gratuite et non marchande

d. Interpeller l’État en tant que garant de la solidarité par la répartition des richesses et la protection des ressources naturelles

Section 2 – Proposition 3 :Placer l’écologie et le respect de l’environnement au coeur de cette vision économique féministe :

a. Faire de l’écologie un véritable enjeu féministe en accordant la priorité à la préservation des ressources naturelles et au bien-être des personnes, des peuples et de la biodiversité

b. Prendre position en tant que mouvement féministe sur des enjeux environnementaux tels que l’exploitation des gaz de schiste et du pétrole, le développement des énergies renouvelables, etc.

c. Replacer la souveraineté alimentaire au centre des objectifs du développement rural, entre autres en revalorisant la production paysanne à petite échelle plutôt que le modèle de l’industrie agroalimentaire.

d. Dénoncer l’impact des dégâts environnementaux sur les femmes dans le Nord – tant des communautés québécoises qu’autochtones - et dans le Sud.

e. Revendiquer la pleine consultation des peuples autochtones sur des projets concernant leur droit à l’autodétermination dans l’utilisation des territoires ancestraux.

f. Élaborer un plan de développement du Québec qui a pour finalité le bien-être, la justice sociale, économique et environnementale, le respect de l’autodétermination des peuples autochtones et la participation des communautés à la prise de décision, la prise en compte des écosystèmes et des ressources épuisables. Il sera important de penser aux besoins des sept générations futures et de s’appuyer sur les leçons des sept dernières générations [3], et de chercher à valoriser les activités qui contribuent au bien-être (travail de soins, entraide, etc.). Ce plan devrait également prévoir des pistes pour une période de transition, afin de permettre aux travailleuses et aux travailleurs de s’adapter et d’oeuvrer, non plus au sein d’une économie axée uniquement sur la production mais dans un autre modèle économique.


[231 CARRASCO, Cristina, L’économie féministe. Un pari pour une autre économie (résumé, traduit de l’espagnol par Ana Maria Seghezzo D’Urbano, d’un texte paru dans Estudios sobre género y economía, María Jesús Vara (coord.), Ed. Akal,Madrid, 2006), p.3

[3Voir Glossaire disponible en ligne sur le site des États généraux : www.etatsgenerauxdufeminisme.ca

Sur le même thème : Féminisme

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...