Les hommes qui revenaient à peine d’une horrible guerre en Europe n’arrivaient pas à trouver du travail, des usines fermaient et les faillites d’entreprises étaient courantes. Des dizaines de milliers de personnes dans la seule ville de Winnipeg habitaient des logements insalubres où la maladie était une réalité mortelle. Les immigrants de classe ouvrière étaient profondément divisés selon leur origine ethnique, leur langue et leur religion.
C’est sur ce fond qu’a été créé le mouvement travailleur le plus important qu’ait connu le Canada – dont on peut tirer des leçons encore aujourd’hui. Une des principales leçons est que les travailleurs et les travailleuses sont beaucoup mieux en mesure de négocier de meilleures conditions de travail s’ils sont syndiqués et unis que s’ils ne le sont pas.
Le 15 mai 1919, plus de 35 000 personnes travaillant dans les secteurs public et privé à Winnipeg se sont unies pour transmettre un message clair aux employeurs et aux gouvernements : elles feraient la grève pour obtenir de meilleurs salaires et le droit de négocier collectivement.
Faisant fi des différences culturelles et entre les sexes, les travailleurs se sont unis pour paralyser la ville de Winnipeg pendant six semaines sans négliger de maintenir des services clés. Les femmes ont donné le pas – elles ont compté parmi les premières personnes à débrayer.
Même si la grève a fini par être réprimée et que bon nombre de ses meneurs se sont fait emprisonner ou déporter, elle a laissé un héritage de mesures de réforme des lois sur le travail qui a redéfini le travail équitable et sécuritaire dans l’ensemble du pays.
Nous avons un filet de sécurité social beaucoup plus fort que celui dont la main-d’œuvre de l’époque aurait pu rêver. Nous avons des soins de santé universels, des salaires minimums, des pensions de vieillesse et une assurance-emploi. Nous avons des congés de maternité, des fins de semaine de congé et des normes de santé et de sécurité, en parti grâce aux sacrifices faits par les personnes en question.
Nous tenons pour acquises bon nombre de ces réalités, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous croiser les bras. Nous vivons actuellement ce que certaines personnes qualifient de quatrième révolution industrielle, cette révolution ressemblant aux différentes révolutions industrielles qui ont transformé la société. Cela signifie que le monde du travail évolue et que cela comporte à la fois des défis et des occasions.
Plus de la moitié des salariés du Canada craignent de ne pas avoir la formation et les compétences nécessaires pour décrocher un emploi qui paie bien sur notre marché du travail changeant.
Et puisque le nombre des travailleuses et travailleurs syndiqués diminue, il est de plus en plus difficile de tenir tête aux puissantes grandes entreprises et aux gouvernements dans l’intérêt des travailleuses et travailleurs.
« Nous savons que les employeurs recourent davantage à des agences de placement et à des contrats à court terme pour remplacer des salariés », a déclaré Carolyn A. Wilkins, sous-gouverneure principale de la Chambre de commerce de la région de Toronto, dans un discours prononcé en janvier 2019. « Les taux de syndicalisation ont baissé dans le secteur privé. Et nous avons entendu des spécialistes du marché du travail dire que cela a modifié le contrat social entre les entreprises et leur personnel. »
Disons sans détour qu’à mesure que les profits des entreprises augmentent de milliards de dollars, les salaires continuent de stagner pour la majorité des travailleuses et travailleurs. (Les PDG gagnent actuellement plus en une journée que le salaire annuel moyen des travailleurs et travailleuses.) Selon Statistique Canada, depuis quatre décennies, les salaires des personnes de 18 à 35 ans n’ont augmenté que d’environ 100 $ par année – ce qui n’est nullement comparable à la hausse du coût de la vie. La combinaison de ce fait au coût astronomique du logement a fait diminuer considérablement la possibilité d’accession à la propriété – qui a toujours été un indicateur de santé économique – qu’ont les jeunes travailleuses et travailleurs.
Quand les travailleuses et les travailleurs ne sont pas syndiqués et sont isolés, il est beaucoup trop facile que les entreprises exploitent leur main-d’œuvre de manière à réaliser un maximum de profits. Les profits des entreprises montent en flèche alors que les salaires des personnes qui ajoutent la valeur à l’entreprise se déprécient.
La réduction des impôts des sociétés profite aussi aux actionnaires mais elle fait décroître la capacité du gouvernement de soutenir une société fondée sur la réduction de l’inégalité. Au Canada, les particuliers paient de l’impôt à un taux considérablement plus élevé et contribuent pour beaucoup plus aux coffres de l’État que les entreprises. Il n’en a pas toujours été ainsi. Vers le début des années 1950, les entreprises et les ménages payaient des parts égales d’impôt sur le revenu. De nos jours, les entreprises paient environ 15 % de l’impôt sur le revenu alors que le reste d’entre nous en paient près de 50 %.
Dans le contexte économique changeant qui continue à menacer certains secteurs d’activité et en créer de tout nouveaux, la principale leçon à retenir de la grève générale de Winnipeg de 1919 est que les travailleuses et les travailleurs doivent vaincre la peur et la dissension pour se syndiquer et défendre leurs droits.
Les syndicats du Canada sont fiers des contributions qu’ils ont apportées afin de hausser la barre pour tous. Nous nous engageons à militer en faveur de toutes les familles travailleuses – pour l’assurance-médicaments universelle, l’équité salariale, de meilleures pensions, des lieux de travail sécuritaires et bien plus encore.
Mais s’il y a une leçon à tirer de l’histoire, c’est bien que tous les travailleurs et les travailleuses doivent s’affirmer.
Hassan Yussuff est le président du Congrès du travail du Canada.
* Certains des liens ne sont disponibles qu’en anglais.
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