Édition du 12 novembre 2024

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Élections en Catalogne

Catalogne : questions et réponses sur l’indépendance

Des élections régionales législatives ont lieu ce 25 novembre en Catalogne, où l’on assiste à une montée spectaculaire du sentiment indépendantiste, illustré le 11 septembre dernier par une manifestation de plus d’un million de personnes à Barcelone. Le président du gouvernement catalan (la « Generalitat »), Artur Mas, promet d’organiser un référendum sur l’indépendance de la Catalogne s’il obtient la majorité absolue, suscitant des réactions radicales de la part de la droite « espagnoliste » - avec laquelle il partage pleinement, par ailleurs, les orientations néolibérales et les mêmes politiques d’austérité. L’interview ci-dessous a été publié par la revue Viento Sur.

Il nous a semblé utile de ne pas chercher à faire le tour du problème, mais de s’en tenir aux questions les plus urgentes. Il n’est pas dans notre intention de répondre exhaustivement, mais seulement de façon brève, sur ce qui nous paraît le plus important. Il s’agit de présenter un cadre de base en peu de mots. Telle est notre intention dans les lignes qui suivent, tout en sachant que pour traiter d’une orientation précise, il faudrait un autre type de texte.

1) Est-ce que le projet du président de la Generalitat (Artur Mas) catalane d’organiser un référendum sur l’indépendance de la Catalogne est une bonne chose ?

Martí Caussa – Oui, sans aucun doute, à condition que la question posée sur l’indépendance soit claire et que le processus soit pleinement démocratique. Cela fait déjà un certain temps qu’on constate l’insatisfaction des citoyens de Catalogne vis-à-vis du régime des autonomies et, parallèlement une croissance du sentiment indépendantiste. La grande manifestation du 11 septembre a mis en évidence un changement qualitatif. Face à cette situation, il est correct d’un point de vue démocratique de consulter l’opinion de la population et de respecter son choix.

2) Ne s’agit-il pas d’une tentative de détourner l’attention des citoyens des coupes et de la gestion de la crise afin d’obtenir une majorité absolue grâce à cette promesse de référendum ?

Oui, sans aucun doute également. Artur Mas pourrait ainsi devenir le premier dirigeant politique à se renforcer notablement après avoir appliqué les recettes néolibérales qui provoquent le chômage, l’augmentation de la pauvreté, la détérioration de la santé, du logement, de l’enseignement et qui aggravent les conditions de vie de la majorité de la population. Et s’il sort renforcé aux prochaines élections, il va poursuivre cette politique anti-populaire. En réalité, l’unique aspect positif de son programme, avec les conditions déjà signalées, est la promesse d’un référendum sur l’indépendance. Et c’est avec ce dernier qu’il veut cacher les mesures honteuses de son gouvernement.

3) Comment faut-il réagir face à cette promesse et avec ce programme qui se cache derrière elle ?

En exigeant l’accomplissement de la promesse tout en dénonçant et combattant en même temps le reste de son programme. Il faut exiger l’organisation du référendum, avec une question claire sur l’indépendance, dans les 4 prochaines années et avec la participation au vote de toutes les personnes qui résident en Catalogne. Autrement dit, y compris les immigrés - que certains dirigeants de la CiU (Convergence et Union, droite nationaliste, parti d’Artur Mas, NdT) veulent exclure -, avec ou sans papier du moment qu’il peuvent démontrer qu’ils sont bien résident. On ne pourra pas parler de conditions démocratiques s’il y a des personnes sans droits.

Parallèlement et quotidiennement, il faut continuer à dénoncer la politique anti-populaire de Mas et Rajoy (sur ce point, il n’y a aucune différence entre eux) et lutter pour les revendications de la majorité de la population : avant et après la grève du 14 Novembre et avant et après les élections catalanes.

4) Est-il possible qu’après les élections et d’un certain degré de confrontation avec l’Etat espagnol, Artur Mas fasse volte-face par rapport à l’organisation du référendum ?

C’est une possibilité qu’il faut envisager. Pendant la Transition, le parti de Mas et de Pujol (ancien président de la Generalitat et dirigeant de CiU, NdT) avait déjà fait volte-face par rapport à l’exigence du rétablissement du Statut de 1932 en tant que premier pas vers l’autodétermination et qui constituait une des principales revendications de l’Assemblée de Catalogne. Mas lui-même a fait volte-face dans la défense du Statut qu’avait approuvé le Parlement catalan et a pacté son affaiblissement avec Zapatero. Avant la manifestation du 11 septembre, il ne défendait pas l’indépendance mais bien un pacte budgétaire. De nombreuses voix patronales et dans sa propre formation politique font pression sur lui pour qu’il fasse marche arrière. A Bruxelles, Artur Mas a insinué que, dans certaines circonstance, une simple élection pour remplacer le référendum. Il est également possible que le référendum se fasse mais avec une question confuse.

Un référendum avec une question claire ne sera réalité que s’il y a une mobilisation populaire suffisamment forte pour menacer toute tentative de manœuvre de Mas ou de la CiU pour le noyer dans la confusion, le retarder ou l’éviter d’une réaction tellement puissante qu’elle ne provoquerait pas seulement la démission de Mais, mais aussi la ruine de son parti.

5) L’exigence d’un référendum sur l’indépendance ne stimulera-t-il pas des dynamiques négatives comme une montée du nationalisme égoïste ?

Il convient avant tout de séparer ces deux derniers termes parce qu’il existe différentes sortes de nationalisme : certains sont égoïstes, d’autres solidaires, néolibéraux ou anti-libéraux… Mais si nous parlons du nationalisme catalan dans toutes ses variantes, il est difficile d’inventer une machine à le fabriquer plus efficace que celle mise en route depuis des années par le PSOE et le PP.

Au sein des gens qui exigent un référendum sur l’indépendance existent des secteurs très solidaires, comme quiconque suivant la dynamique et les luttes des mouvements sociaux en Catalogne peut le constater. L’augmentation ou la diminution du poids de ces secteurs dans l’avenir immédiat dépendra de nombreux facteurs, mais cette variation n’a aucun rapport direct avec la décision de réclamer un droit démocratique aussi élémentaire que le droit de décider.

Il faut également considérer la possibilité de dynamiques positives. L’exigence du droit à décider sur la question de l’indépendance pourrait stimuler la population à exiger ce même droit sur d’autres terrains. Par exemple le droit de décider sur les politiques d’austérité, comme le réclame les syndicats. Et si on arrive au point de désobéir aux lois de l’Etat central espagnol qui interdisent tout référendum de ce genre, cela pourra stimuler la désobéissance civile contre d’autres lois injustes, par exemple celles qui privent de logement des milliers de familles au profit des banques.

6) Ne serait-il pas plus démocratique que le référendum porte également sur d’autres alternatives (fédéralisme, etc.), à côté de l’indépendance ?

Dans les conditions actuelles, non. Dans la réalité d’aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative fédérale ou confédérale. Pour la simple raison que de telles relations, si elles ne sont pas des mascarades, nécessitent qu’il y ait deux ou plus de partenaires qui sont disposés à discuter sur un pied d’égalité. Et il n’y a personne aujourd’hui qui est disposé à discuter sur un pied d’égalité avec la Catalogne sur la manière d’établir une nouvelle relation. Le fédéralisme est actuellement un produit de marketing pour vendre la même chose : la Constitution de 1978 et l’Etat des Autonomies. Certains manifestes qui circulent en ce moment sont, fondamentalement, contre anti-indépendantistes dans la mesure où ils n’acceptent pas le droit à l’autodétermination. C’est pour cette raison que le référendum doit porter sur l’indépendance, avec une question claire.

7) Une union libre, de type fédérale ou confédérale, ne serait-elle pas meilleure que l’indépendance ?

Cela dépend des circonstances concrètes. La meilleure solution est celle qui correspond à la volonté librement exprimée par les citoyens d’une nation, dans ce cas ci la Catalogne. C’est pour cela qu’il faut réaliser un référendum et qu’il faut respecter son résultat.

Il est vrai qu’une union libre peut avoir de nombreux avantages, et elle a été la revendication historique de la gauche en Catalogne. Mais il est également vrai que les forces politiques majoritaires dans l’Etat espagnol n’ont jamais réellement envisagé cette possibilité et ont toujours opté pour une union sans liberté. La mise au frigo du Statut de 2006 a provoqué un changement d’attitude dans de nombreux secteurs qui avaient cru dans la possibilité d’une évolution fédéraliste de l’Etat des Autonomies, mais ils se sont aujourd’hui écartés de cette voie.

Aujourd’hui, ce n’est seulement qu’après l’exercice du droit de décider, du référendum sur l’indépendance, qu’il semble possible de reposer le débat sur la fédération ou la confédération. Et cela à condition que dans l’Etat espagnol apparaisse une force politique avec une influence de masse qui propose sincèrement une union libre.

8) Est-il possible de nombreuses personnes qui se considèrent comme internationalistes, fédéralistes et de gauche votent en faveur de l’indépendance ?

C’est non seulement possible mais aussi très probable, dans la mesure où un vote n’est pas la même chose qu’un discours, un texte ou une déclaration de principes. Dans le vote, on ne peut pas expliquer beaucoup de choses : on peut ou pas, on peut voter oui, non ou blanc, ou faire un vote nul. Et l’alternative serait : continuer comme maintenant ou l’indépendance. Dans ces conditions, de nombreuses personnes qui ne sont pas indépendantistes par principe voteront en faveur de l’indépendance, tout en étant toujours internationalistes, fédéralistes et de gauche.

9) Revendiquer l’indépendance ne revient-t-il pas à diviser les classes populaire de Catalogne et ces dernières de celles du reste de l’Espagne ?

Cela dépend. Mais il convient de rappeler que ces classes populaires sont déjà divisées depuis très longtemps par les politiques économiques et sociales des gouvernements de Catalogne et d’Espagne, par les attaques contre les légitimes demandes de la Catalogne (approuvées par un précédent référendum) et par tous ceux qui ont alimenté le choc entre la Catalogne et l’Espagne.

La division en Catalogne même sera d’autant plus petite que le référendum sera démocratique ; à la condition qu’on garantisse que tout le monde pourra voter en toute liberté et que les résultats seront respectés, quels qu’ils soient. Il est également important que les projets qui sont avancés pour une Catalogne indépendante soient inclusifs et respectueux des autres langues, sentiments nationaux, identités culturelles, etc.

Avec le reste de l’Etat, il y aura des différences de réaction. Dans des endroits comme le Pays Basque certainement, la revendication d’indépendance sera vue avec sympathie par la majorité. Dans d’autres régions, seulement une minorité peut être comprendra clairement que la démocratie doit intégrer le droit des peuples, y compris celui de Catalogne, à décider de leur avenir.

Mais tout dépendra beaucoup de ce qui se passera sur d’autres terrains, et particulièrement dans les luttes sociales, où se concentrent les préoccupations majeures de la population. Au plus les luttes pour la démocratie et les droits sociaux en Catalogne et dans le reste de l’Etat espagnol seront fortes et solidaires et bien moindre sera le risque de division sur la question de l’indépendance.

10) Si Artur Mas obtient la majorité absolue aux prochaines élections, cela constituerait-il réellement une garantie pour l’exercice du droit de décider comme le pense bon nombre de personnes qui vont voter pour lui pour cette raison ?

Non, ce sera négatif à tous les points de vue. Ce sera un chèque en blanc pour lui afin de poursuivre sa politique néolibérale et pour déterminer le rythme et les conditions du référendum, y compris une éventuelle marche arrière sur ce dernier. Ce qui est important par rapport à cet aspect c’est que le prochain Parlement catalan dispose d’une majorité qualifiée de forces qui défendent sans équivoque la réalisation du référendum.

D’autre part, si la voie vers le référendum est hégémonisée par une force politique telle que la CiU, avec une politique aussi antisociale, cela éloignera du vote référendaire et de l’indépendance beaucoup de secteurs populaires de Catalogne et réduira les sympathies et la solidarité dans le reste de l’Etat espagnol. Une Catalogne libre a besoin d’accumuler beaucoup de forces à l’intérieur et beaucoup de sympathie et de solidarité à l’extérieur. Ceci serait beaucoup plus difficile à obtenir avec une politique droite comme celle d’Artur Mas, surtout s’il obtient la majorité absolue.

11) Quels types de choix politiques conviendrait-il d’avancer aux prochaines élections ?

Il faut tout d’abord clarifier celles qu’il ne convient pas d’avancer : celles qui sont responsables de la négation des droits nationaux de la Catalogne ou des attaques contre les conditions de vie de la population. Ceci concerne incontestablement le PP, le PSC et CiU.

A l’inverse, il convient d’avancer les options politiques qui prennent à la fois la défense intransigeante du droit de décider, de la démocratie sans austérité et des conditions de vie des gens ; celles qui ont démontré dans la pratique qu’elles sont dans les luttes d’aujourd’hui et pendant le gouvernement précédent. Malheureusement, dans le Parlement catalan actuel, il n’y a aucune force politique qui corresponde pleinement à ces caractéristiques.

Mais les choses sont en train de bouger et elles continueront à le faire. La CUP est une nouvelle force politique qui pourrait entrer au Parlement ; le Manifeste « Per una radicalització democràtica més enllà del 25-N » (pour une radicalisation démocratique au-delà du 25-N) a reçu un grand nombre d’adhésions très diverses. Et, plus important encore : il y a de nombreuses discussions qui provoquent des réalignements. Il semble qu’il y a une élévation de la conscience qu’il est nécessaire de réaliser un processus de convergence suffisamment fort que pour ouvrir une brèche dans le panorama politique actuel et faire en sorte, qu’enfin, on entende la voix de ceux d’en bas. La nécessité peut parfois forger de nouvelles réalités.

* Article publié dans la revue anticapitaliste « Viento Sur » : http://www.vientosur.info/spip/spip...

* Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera.

Marti Caussa

Militant de gauche anticapitaliste en Espagne.

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