Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Ça va bien aller ? Non et mille fois non

Ça va bien aller. C’et le mantra de François Legault depuis le début de cette crise qui en cache d’autres. Parole rassurante, elle couvre toutefois une réalité toute autre. Celle d’un gouvernement qui a refusé de voir le danger venir et qui doit adapter son discours à chaques nouveaux rebondissements tellement sa gestion de la crise est à courte vue et cherche à cacher les lacunes du réseau québécois de la santé. La CAQ profite du « cessez-le-feu » de l’opposition pour se présenter comme un excellent gestionnaire de la crise. Il révèle plutôt à qui veut bien scruter attentivement sa politique l’improvisation qui a mené à la situation actuelle.

Ils savaient

Dès le 9 janvier, le coronavirus est identifié en Chine. Le 22 janvier, les autorités de la santé publique au Canada étaient au courant de ce qui s’en venait. Le 25 du même mois, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare l’état d’urgence de la santé publique internationale. Pourtant, le 30 janvier, le Dr Arruda déclarait qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure. Il a demandé aux Québécois de vivre leur vie normalement. Puis le 5 février, il déclare que « au Québec, la grippe saisonnière est plus à craindre que le coronavirus ». On connait la suite...

Deux jours plus tard, l’OMS prévient qu’une pénurie mondiale d’équipements de protection pointait à l’horizon. Le 15 février, le dr Karl Weiss, microbiologiste à l’Hôpital général juif de Montréal, sonnait l’alarme quant à la pénurie imminente d’équipements de protection. Une semaine plus tard, le gouvernement Legault répliquait qu’« il n’y aurait pas de problème d’approvisionnement au Québec ». La réalité va rapidement rattraper la CAQ.

Le 24 février, le Dr Horacio Arruda évoque pour la première fois « des mesures pour contrôler l’épidémie. » Le premier cas au Québec est déclaré le 28 février. Le 9 mars, le premier décès survient au Canada. Deux jours plus tard, l’OMS déclare que le coronavirus est désormais une pandémie. C’est à partir de ce moment que les premières mesures restrictives sont annoncées : interdiction de voyager à l’étranger pour les employé.e.s de l’État, interdiction des rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes, isolement de 14 jours pour ceux et celles qui reviennent de l’étranger, etc.

Pourtant le 4 mars alors que tous les signaux militent pour une intervention rapide et musclée, la ministre de la santé Danielle McCann qualifiait « le risque de propagation de « faible » en confirmant qu’il n’y avait toujours qu’un seul cas de COVID-19 au Québec. » Une irresponsabilité de la part de la ministre au coeur de la crise. Une entorse au principe qui veut qu’une intervention précoce permet d’éviter un effet boule de neige.

C’est aussi à ce moment qu’on nous explique que l’approche québécoise consistera en « l’aplatissement de la courbe », soit qu’on accepte les pertes mais qu’on veut les étaler dans le temps afin de prévenir la surchauffe du système de santé. En bref, on reconnaît implicitement que l’état du système empêche de prévoir une véritable lutte à la pandémie, par des tests massifs par exemple, alors la seule solution qui reste est le confinement de tous et toutes. Avec tous les risques de récession économique que ça implique. Et les imposantes dépenses que l’État devra faire pour éviter la catastrophe. Et les victimes collatérales que la tempête va faire. À ce moment, la CAQ est pourtant encensée pour sa gestion de la crise. Elle peut dire merci à la docilité de l’opposition.

Les grands dégâts

Des décennies de coupures et d’austérité imposées au réseau de la santé l’a laissé fragilisé. La crise du coronavirus ne fait qu’en révéler les failles. Comme le fait remarquer Jean-Claude Bernatchez, professeur à l’UQTR, « gouverner c’est prévoir. Faute de moyens matériels d’usage, particulièrement des équipements protecteurs pour les soignants et la population ou d’aseptisation des lieux publics, le mot d’ordre de François Legault à l’endroit des Québécois a été le suivant : Allez-vous cacher. »

L’état des services dispensés dans les CHSLD est une bonne mesure des conséquences des politiques néolibérales imposées au cours des dernières années au Québec par les libéraux, les péquistes et maintenant les caquistes au système de la santé. Privatisation des services les plus rentables, coupures de personnels, négligences dans la fourniture d’équipements et centralisation de la gestion, voilà les maux dont souffre le réseau. L’introduction de la notion de profits dans les services publics et la gestion du type de l’entreprise privée aussi appelée « méthode Toyota » n’apportent que des conséquences négatives pour la population et pour les salarié.e.s.

Le cas du CHSLD Herron de Dorval est à ce titre éclairant. Voici une entreprise privée, le Groupe Katasa de Gatineau qui possède de nombreuses propriétés du même type. L’entreprise prétend dans une brochure promotionnelle qu’elle va « continuer à développer et gérer des complexes novateurs, donnant la chance aux retraités de maintenir leur style de vie et leur autonomie sans compromis. » Or, cette résidence a fait l’objet de nombreuses plaintes et de plusieurs visites des autorités publiques sans que des changements ne surviennent. Le personnel est sous-payé, les équipements manquent cruellement, les décès de résident.e.s se comptent par dizaines. Lors de la journée où le pot-au-rose fut découvert, l’avocat Jean-Pierre Ménard a parlé d’« un processus d’agrément complaisant et une surveillance déficiente » Il a conclu que cette affaire vient mettre « en relief l’impossibilité de conjuguer des impératifs de profits avec le bien-être de nos aînés en perte d’autonomie. » Suite aux révélations, le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de la Sécurité publique ont demandé la tenue d’une enquête policière. Or, plusieurs indices nous amènent à croire que cette entreprise a profité d’un aveuglement volontaire ou du moins de l‘insouciance de la part du réseau public. Que les élu.e.s de la CAQ responsables du dossier ignoraient ces informations est difficile à croire. Il est aussi difficile de croire la PDG du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Ile-de-Montréal Lyne McVey lorsqu’elle déclare sur place que « chaque patient, chaque résident présentement est en très bonne condition et il y a des évaluations par des spécialistes, des médecins de famille et aussi des infirmières. Alors ce n’est pas le cas qu’on a trouvé la situation telle que vous la décrivez. » (extrait du reportage « Enquête du coroner au CHSLD privé Herron » au bulletin de nouvelle de Radio-Canada le 12 avril 2020 à 22 h 00) Il s’agit là d’en mensongé éhonté selon le témoignage de la Dr Nadine Larente rapporté par Patrick Lagacé dans La Presse+ du 14 avril. Les patrons du CIUSSS sont blâmés par les propriétaires du CHSLD privé qui déplorent leur manque de collaboration. Les enquêtes du coroner et de la police permettront sans doute d’en savoir davantage. Mais il est d’ores et déjà possible de penser que la soif de profits a fait en sorte que la direction du CHSLD sous-payait son personnel qui a décroché lorsque les risques pour leur santé furent jugés trop importants. De plus, les services offerts aux personnes hébergées semblent être à la limite du minimum.

Plus généralement, on remarquera que pour une entreprises privée, rien n’oblige à répondre aux questions soulevées par des citoyen.ne.s alors qu’une entreprise publique est tenue, dans une certaine mesure et trop souvent après des pressions populaires, de rendre des comptes. C’est le cas de plusieurs directions de CHSLD privés à qui des parents de personnes hébergées ont demandé des informations et qui se sont heurtées à un mur de silence. C’est la meilleure démonstration que le privé n’a rien à faire dans le secteur de la santé. La vie des gens ne doit en aucune circonstance être confrontée à l’impératif de profits.

Enfin, samedi le 11 avril dernier, nous apprenions l’existence d’une directive du ministère de la santé et des services sociaux (MSSS) qui recommande que « si la personne est inconnue OU son statut COVID-19 est inconnu, probable ou positif OU le milieu de soins est en éclosion de COVID-19 – ne pas faire de massage cardiaque. » Traduction : nous n’avons pas les équipements de protection alors laissons mourir les personnes à risque de contaminer davantage. Une telle approche va à l’encontre de tous les principes de la médecine et constitue presqu’un appel à la négligence criminelle. De plus, il fut annoncé que nous ne disposons de réserve d’à peine une semaine pour une vingtaine de médicaments. La chloroquine et l’hydroxychloroquine sont déjà en rupture de stock.

Dans les jours précédents, le gouvernement caquiste admettait que les provisions d’équipements de protection étaient « rationnées ». Le gouvernement Legault évoque une compétition féroce à l’international. Pourtant, il y a plusieurs semaines que le phénomène est connu et, pour qui connaît le capitalisme en temps de crise, il n’y a là rien d’étonnant que l’on joue du coude pour écraser la compétition. N’est-ce pas là la nature même du capitalisme ?

Au Québec, un silence assourdissant et des inconnues

Le Québec écoute religieusement le point de presse de François Legault et sa garde rapprochée à chaque jour comme le faisaient leurs parents et grands-parents lors du chapelet en famille dans les années 50. Et chaque jour, nous assistons à l’adaptation du discours du gouvernement aux différentes contraintes qui se présentent à lui.

On tente de faire le bilan provisoire de la crise et nous nous heurtons à l’inconnu : combien de morts dus au Covid-19, combien de gens malades, combien de gens touchés mais asymptomatiques ? Aucune réponse satisfaisante. En fait, on ne serait pas étonnés d’apprendre que les autorités de la santé publique ne sont pas au courant de ces chiffres en l’absence de tests à grande échelle.

Par ailleurs, puisqu’il s’agit d’une pandémie d’envergure mondiale, il est presqu’impossible de prévoir le moment d’une deuxième vague en attendant un vaccin et des médicaments. Or, il pourrait s’avérer que nous n’en sommes qu’au début de la pandémie et qu’un simple relâchement provoquera une nouvelle vague de contamination.

Sachant cela, il serait dangereux d’aller de l’avant avec le souhait de François Legault d’ouvrir les écoles et les garderies avant le 4 mai et même après. Des dizaines de milliers de parents se sont mobilisés autour d’une pétition. Celle-ci a récolté 180 228 signatures au moment d’écrire ces lignes.

La chair à canon

L’usage d’un vocabulaire guerrier est très approprié dans la bouche du premier ministre tout comme c’est la cas avec d’autres dirigeants comme Emmanuel Macron. Pour eux, nous sommes ’"en guerre contre le Covid-19". Et dans une guerre, il y a des victimes, des gens qui seront sacrifiés sur l’autel du combat contre l’adversaire puis de la relance de la course aux profits. Des victimes comme ces personnes âgées et ces salarié.e.s du secteur de la santé qui tombent comme des mouches dans les CHSLD. Comme ces personnes qui ont perdu leur emploi et qui n’ont pour seule perspective la soupe populaire et la renégociation des loyers ou des hypothèques pour ne pas perdre son appartement, sa maison. Comme ces gens séparés de leurs familles par souci de confinement. Comme ces jeunes dont l’apprentissage sera le prétexte à une réouverture à haut risques des institutions d’enseignement.

Il y a aussi ces entreprises privées que sont ces CHSLD non-conventionnés qui gèrent la santé et la sécurité des ainés.e.s à la petite semaine, mettant à risque leur personnel qui a tôt fait d’évaluer la situation comme préoccupante pour leur santé. Ils et elles sont nombreux.euses les préposé.e.s qui décident de ne pas se rendre au travail par souci de prévention. Un tel absentéisme provoque des pénuries de personnel qui ont ensuite des conséquences pour les personnes hébergées. Cela entraine des situations de plus en plus extrêmes comme au CHSLD du Manoir-de-Verdun où la direction a verrouillé les portes à deux reprises pour éviter que le personnel ne quitte un lieu de travail jugé dangereux. L’État est conscient du problème mais n’intervient pas jusqu’à ce que la situation dégénère comme au CHSLD Herron. À partir de là, on aura beau faire des déclarations sur les propriétaires privés de ces ressources, les partis néolibéraux leur ont ouvert grande la porte du secteur de la santé. Avec pour conséquences que des salarié.e.s « montent au front » et mettent leur santé en danger pour pallier l’irresponsabilité des gestionnaires.

La politique de la CAQ, relancer l’économie coûte que coûte

Les pressions sur le gouvernement Legault en provenance du milieu des affaires sont sans aucun doute importantes. Les dangers d’une récession majeure ne font pas que hanter les esprits de la gauche, elles sont bien comprises par l’élite patronale qui doit dès maintenant s’assurer de sortir de la crise sans trop de dommages et bien sûr en refilant la facture aux plus vulnérables et aux classes populaires. Le gouvernement Legault sera un fidèle allié dans cette relance. Il navigue entre les impératifs de la crise mais aussi avec le souci de remettre le train de l’économie capitaliste sur les rails en résistant aux pressions populaires pour une relance qui prenne en compte la crise climatique. Pour eux, il ne peut y avoir d’obstacle à une relance de la course aux profits, quitte à ce que L’état investisse des sommes colossales au profit du patronat, s’endette au maximum et qu’ensuite on adopte une politique d’austérité.

Une des premières étapes sera de régler à rabais les négociations avec les salarié.e.s des secteurs public et parapublic. Le gouvernement Legault a déjà fait savoir que toutes les nouvelles dépenses sont gelées. Les informations que nous possédons laissent croire que la partie patronale tente de court-circuiter la démocratie syndicale, de s’entendre avec quelques centrales sur un cadre qui inclut les augmentations salariales sous l’inflation, sauf pour quelques catégories de travailleuses et de travailleurs et puis d’imposer cette entente aux plus réfractaires par un décret en invoquant la crise actuelle. Les « anges gardiens » vont passer au tordeur. Les embauches massives se feront attendre. La lutte au temps supplémentaire obligatoire va passer au bas des priorités. Le réinvestissement massif tant attendu dans le réseau sera reporté au nom de la lutte au déficit. Les impératifs de mettre en place des entreprises publiques devant satisfaire les besoins en matière de médicaments et d’équipement médicaux seront remis aux calendes grecques.

À ce titre, il y aura des mobilisations à construire afin que les services publics soient refinancés, que les besoins en fourniture de médicaments et d’équipements médicaux soient confiés à un/des organismes publics et non au secteur privé, que la relance économique soit conforme aux besoins de réduction des émissions de GES, etc.

Non, tout ne vas pas bien aller

Un de ces jours pas si lointain, la facture de tous ces efforts devra être acquittée. Les gouvernements néolibéraux feront ce qu’ils savent faire le mieux : faire payer les classes populaires pour la relance du capitalisme. Des centaines de milliers de pertes d’emplois, la fragilisation des revenus de retraite pour les personnes âgées, le sur-endettement des ménages, la reprise des émissions de GES, les va-et-viens de la spéculation boursière, tout pour revenir à la « normale » soit la recherche accélérée et sans frontières des profits les plus juteux.

La résistance populaire et la recherche de solutions alternatives représentent les défis les plus importants pour la gauche politique et sociale. Et ils sont de taille. Il faudrait s’y mettre immédiatement.

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