Édition du 17 décembre 2024

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COP28 : l’Asie, l’OPEP et les énergies fossiles

La COP28 s’est conclue par un accord pour une « transition hors des énergies fossiles ». Après une longue bataille entre les partisans et les opposants d’une « suppression progressive » de ces énergies, l’imagination des négociateurs a permis de trouver une formulation moins contraignante qui permette d’aboutir à un consensus. Dans cette bataille, l’Asie s’est essentiellement cachée derrière l’OPEP, qui a mené la bataille des « pro-fossiles ». Une discrétion qui contraste avec celle de la COP27 où l’Inde et la Chine avaient dû sortir du bois pour éviter une formulation contraignante sur la suppression progressive du charbon. Quelles que soient les formulations, la fin du recours aux énergies fossiles reste un enjeu colossal pour tous.

Tiré de Asialyst
14 décembre 2023

Par Hubert Testard

Le président de la COP28 Sultan al-Jaber entouré du négociateur chinois Xie Zhenhua (à gauche) et de l’émissaire américain pour le climat John Kerry, le 9 décembre 2023 à Dubaï. (Source : Bloomberg)

Il aura fallu 28 COP pour que l’ensemble des énergies fossiles soient sur la sellette. Ce qui donne la mesure de la vitesse à laquelle la communauté internationale se mobilise face au changement climatique. L’accord final, dont chaque mot a été âprement négocié, prévoit d’effectuer une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques. » L’idée d’accélération d’ici 2030 répond à la demande des Américains et des Européens, et aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Le besoin d’accélérer est évident alors que les émissions de CO2 ont continué à progresser de 1,1 % en 2023, contre +0,9 % en 2022. Il faudrait, selon l’AIE, les réduire de 42 % d’ici 2030 pour rester sur une trajectoire compatible avec un réchauffement de la température mondiale limité à 1,5 degrés. Les progrès dans la composition du mix énergétique ont été très lents, et l’Asie-Pacifique n’est pas en tête de cette course de tortues, malgré le développement rapide des énergies nouvelles en Chine, en Inde et ailleurs.

Les énergies fossiles toujours incontournables

Depuis 1990, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial n’a diminué que de cinq points, passant de 86,9 % en 1990 à 81,8 % en 2022.
Source : "Our world in data".

Le Moyen-Orient ne progresse pas du tout et reste quasi exclusivement fossile (98,5 %). L’Asie-Pacifique avait en 1990 un mix énergétique plus tourné vers les énergies fossiles que la moyenne mondiale. Elle a progressé un peu plus vite vers la décarbonation, avec une diminution de 6,4 points de la part des énergies fossiles, comparable à celle de l’Amérique du Nord. Mais elle reste au-dessus de la moyenne mondiale. Le seul continent qui progresse de façon plus sensible est l’Europe (une diminution de 12,7 points), avec des énergies fossiles qui restent toutefois dominantes (seule la France est à 50 % grâce au nucléaire), malgré les multiples engagements pris depuis la conférence de Kyoto en 1997. Les débats de la COP28 visaient en pratique à progresser vingt fois plus vite vers la décarbonation d’ici 2050 que durant les trente années passées, ce qui soulève un sérieux problème de faisabilité.

L’OPEP était cette fois-ci au premier rang de la résistance au changement. Car si la COP27 s’était concentrée sur une seule énergie fossile qui était le charbon, la COP28 étend le champ de la transition énergétique au pétrole et au gaz. Or la quasi-totalité du mix énergétique du Moyen-Orient repose sur le gaz (52 %) et le pétrole (46 %). L’Asie-Pacifique vient en seconde ligne car son mix énergétique inclut d’abord le charbon (47 %), loin devant le pétrole (25 %) et le gaz (12 %). Les pays asiatiques ont pu s’abriter derrière la résistance des pays du Moyen-Orient pour éviter des formulations trop contraignantes dans le texte final de la Conférence.

La Chine avance à pas comptés

La Chine s’est voulue « constructive » dans la phase de préparation de la COP28 comme dans son déroulement. La déclaration conjointe avec les États-Unis du 15 novembre dernier – appelée « Sunnylands statement » – convient qu’il faut poursuivre les efforts en vue de tripler les capacités de production d’énergies renouvelables d’ici 2030. Pour autant, la Chine n’a pas rejoint l’engagement global sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique signé par 120 pays en marge de la COP28, dont l’UE et les États-Unis. Cet engagement porte précisément sur un triplement des capacités installées d’énergie renouvelable et sur un doublement de l’efficacité énergétique d’ici 2030. La Chine ne l’a sans doute pas signé car il va au-delà des objectifs du 14ème plan chinois en matière d’efficacité énergétique (qui ne seront probablement pas atteints). Surtout, il fait mention d’une « suppression progressive » du charbon, avec l’engagement d’un arrêt des nouvelles centrales à charbon.

La Chine est en 2023 le principal responsable de la hausse des émissions de CO2 dans le monde, avec une progression de 4 % de ses propres émissions. Elle planifie toujours une augmentation des capacités installées de ses centrales à charbon de 250 Gigawatts d’ici 2030, ce qui dépasse le niveau total des capacités installées de l’Inde, deuxième utilisateur mondial du charbon. La seule bonne nouvelle est que l’expansion des capacités d’énergie renouvelable se poursuit à un rythme très rapide. Selon Lauri Millyvirta, un expert de l’ONG Carbon Brief, la Chine devrait commencer à réduire de façon structurelle le niveau de ses émissions de CO2 à partir de 2024 grâce à l’impact de ses investissements dans le renouvelable.

Pékin vient d’annoncer avec un an de retard un plan de réduction de ses émissions de méthane, qui faisait partie des engagements pris avec les États-Unis à la veille de la COP27. Ce plan comporte certains objectifs sectoriels – par exemple, réutiliser 85 % des émissions de méthane liées à l’élevage d’ici 2030 – mais n’inclut aucun engagement global de réduction. Pour une raison simple : plus de 40 % des émissions de méthane chinoise sont liées à l’activité des mines de charbon.

Dans les négociations, le chef de la délégation chinoise, Xie Zheng Hua, s’est opposé à tout langage trop contraignant sur la « suppression progressive » des énergies fossiles, tout en se montrant prêt à accepter différentes formules de compromis.

La Chine s’est par ailleurs gardée de participer au fond de réparation des dommages climatiques destiné aux pays les plus fragiles, qui a été rendu opérationnel le premier jour de la conférence. Une position qui soulève de plus en plus de critiques. La distinction trop simpliste entre pays développés et pays en développement qui fonde l’équilibre des engagements en matière de climat ne reflète manifestement pas la répartition par pays des émissions mondiales. La Chine, proche du seuil des pays à hauts revenus, et qui représente plus de 30 % des émissions mondiales, ne va pas pouvoir longtemps éluder ses responsabilités à l’égard de pays les plus pauvres et les plus exposés aux risques climatiques.

L’Inde s’oppose à toute contrainte sur sa politique énergétique

La délégation indienne avait imposé un affaiblissement de la déclaration de Glasgow (COP27) l’an dernier concernant le charbon. Dans le texte final de la conférence, « l’élimination progressive » du charbon avait été remplacée par « la réduction progressive » du charbon. Cette position a été réaffirmé lors de la visite de Narendra Modi à Dubaï début décembre. Son ministre des Affaires étrangères a rappelé que « le charbon est et restera une partie importante du mix énergétique indien ». En clair, l’Inde n’a pas l’intention de compromettre sa stratégie de développement économique par des engagements internationaux contraignants. Alors que Narendra Modi s’est publiquement engagé à un triplement des capacités d’énergie renouvelable du pays d’ici 2030, son pays n’a, pas plus que la Chine et pour les mêmes raisons, accepté de se joindre aux 120 pays signataires de l’engagement global sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.

Les émissions de CO2 de l’Inde ont connu une progression record en 2023 : + 8,2 % et + 10 % pour les émissions liées aux centrales à charbon. Le ministre de l’Électricité indiquait le 23 novembre dernier, lors d’une réunion avec les compagnies d’électricité du pays, qu’il faudrait ajouter 80 GW de centrales à charbon d’ici 2030 au-delà des 27GW déjà en construction, soit une progression de près de 40 % du parc installé. On est encore loin de la « réduction progressive » convenue lors de la COP27 ou de la « transition accélérée » de la COP28.

Le Japon déploie une vision « technologique » de la décarbonation

La politique du gouvernement japonais porte le nom de « Code GX » (pour « Green transformation »). Ce plan insiste sur les technologies dites de « charbon propre », qui passent notamment par la capture et le stockage du carbone (carbon capture and storage ou CCS en anglais) émis par les centrales thermiques, ou la cogénération à base d’ammoniaque et de charbon. Le Japon, avec 54GW de capacités installées, dispose du quatrième parc mondial de centrales au charbon derrière la Chine, l’Inde et les États-Unis. Il prévoit encore une augmentation limitée de ses capacités jusqu’en 2030.

Le gouvernement japonais a invité en mars dernier une dizaine de pays d’Asie-Pacifique à créer une communauté asiatique de la neutralité carbone (« Asia net zero community »). Le communiqué conjoint publié à l’issue de cette réunion fait la part belle aux solutions technologiques promues par l’industrie japonaise : hydrogène, ammoniaque, CCS…

Le débat sur la captation et le stockage du carbone a été vif lors de la COP28. Les partisans du CCS ne se limitent pas aux Japonais. Ils incluent les majors de l’industrie pétrolière américaine comme Exxon Mobil, dont le PDG Darren Woods est venu pour la première fois participer à une COP. L’Agence internationale de l’énergie considère pour sa part comme « illusoire » l’idée qu’une montée en puissance du CCS puisse constituer une solution, en raison de nombreux problèmes techniques et de coûts beaucoup plus élevés que ceux des énergies renouvelables. Le représentant américain pour le climat John Kerry est sur une ligne assez proche, même s’il essaie de prendre en compte les intérêts de l’industrie pétrolière américaine. Il a qualifié le recours exclusif au CCS comme une solution « dangereuse et inquiétante ». Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse à Dubaï a qualifié de « marginal » l’apport de la captation et du stockage de carbone à la transition énergétique. Pour lui, cette solution ne doit pas entraver l’effort international de sortie des énergies fossiles, et il serait beaucoup plus utile d’agir sur la déforestation. La campagne pour une décarbonation « technologique » lancée par le Japon est par ailleurs vue par de nombreuses ONG comme une offensive des groupes industriels japonais en vue de limiter l’effort de sortie des énergies fossiles.

L’Asie reste prudente dans ses engagements internationaux sur le nucléaire civil

À l’initiative de la France et des États-Unis, une déclaration sur le triplement des capacités nucléaires civiles à l’horizon 2050 a été adoptée en marge de la COP28. Cette déclaration a été signée par 23 pays dont neuf pays membres de l’Union européenne et trois pays d’Asie-Pacifique : le Japon, la Corée du Sud et la Mongolie. Là encore, la Chine et l’Inde n’ont pas signé cette déclaration pour le moment. La part du nucléaire est passée de 6 % du mix énergétique mondial en 1990 à 4 % seulement en 2022. La relance du secteur ne fait pas consensus (on pense notamment à l’Allemagne), mais l’idée que le nucléaire puisse contribuer à la transition énergétique gagne du terrain.

La Chine a une capacité nucléaire installée déjà comparable à celle de la France, avec vingt centrales supplémentaires en construction. Elle est probablement l’un des rares pays à être capable de tripler son parc nucléaire d’ici 2050 et prévoit déjà de le doubler avant 2035. Rien ne s’oppose donc à ce qu’elle signe l’engagement de Dubaï, si ce n’est sa réticence à prendre des engagements internationaux qui puissent constituer une contrainte pour sa politique énergétique.

L’Inde est dans une situation comparable. Son parc nucléaire actuel est assez modeste (7 GW contre 57 GW pour la Chine et 63 GW pour la France). Mais ses projets de construction en cours ou annoncés pourraient tripler les capacités nucléaires du pays d’ici 2035 ou 2040.

Le Japon n’utilise actuellement que le tiers de ses trente-trois centrales nucléaires, en raison du choc durable provoqué par l’accident nucléaire de Fukushima. Ses projets de construction sont limités, et sa participation à la déclaration de Dubaï a pour le moment une portée plus symbolique que réelle.

La Corée du Sud a des projets de construction de centrales plus actifs que le Japon, lui permettant d’augmenter d’environ 30 % ses capacités nucléaires d’ici 2035. Au total, les signataires asiatiques de la déclaration de Dubaï sur le nucléaire ne sont pas ceux qui ont une chance d’atteindre l’objectif fixé.

Globalement, la prudence des pays asiatiques dans les débats de la COP28 reflète à la fois des réflexes de souveraineté et un réalisme sur les ambitions qui tranche avec le volontarisme européen. Le texte final de la Conférence a le mérite principal de souligner le rôle central des énergies fossiles dans le réchauffement climatique. Il fixe un horizon et tente d’impulser une accélération. L’Asie-Pacifique, avec 53 % des émissions de gaz à effet de serre et 90 % de leur progression depuis 2015, sera déterminante pour faire de cet objectif une réalité.

Par Hubert Testard

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Hubert Testard

Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Hubert Testard enseigne depuis quatre ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il a publié un livre intitulé « Pandémie, le basculement du monde », paru en mars 2021 aux édition de l’Aube.

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