Édition du 17 décembre 2024

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Québec

CDPQ et le REM, un projet qui démantèle le réseau de transport en commun de Montréal

Le Réseau électrique métropolitain (REM) et la nouvelle filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, CDPQ Infra, font couler beaucoup d’encre. Le mégaprojet de REM est un train électrique qui reliera la Rive-Sud de Montréal, l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, le centre-ville de Montréal, l’ouest de l’île et Deux-Montagnes ; il sera financé non par le gouvernement ou par un consortium privé, mais par une filiale privée de la Caisse, un investisseur institutionnel au Québec. Pour certain·e·s, il s’agit de la mise en place d’un mode de financement d’infrastructures publiques qui ouvrira des horizons pour le Québec. Pour d’autres, ce n’est rien de plus qu’une forme de partenariat public-privé.

Tiré du site de l’IRIS.

Pour lire l’intégral du rapport.

Récemment, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) s’est montré très critique face au projet de la CDPQ en le qualifiant d’incomplet (1), notamment sur les questions économiques. Il a dit que le REM ferait peu pour atteindre les objectifs de déplacement propres au transport en commun à Montréal. De plus, l’indépendance de CDPQ Infra nuirait à la planification du transport en commun dans le grand Montréal (2). Face à ces conclusions, plusieurs acteurs des milieux politiques dont le maire de Montréal (3) et le premier ministre du Québec (4) se sont portés à la défense du projet de REM.

Dans cette note socioéconomique, l’IRIS étudiera le modèle de financement de CDPQ Infra, puis les différents aspects du projet de REM. Nous verrons dès lors qu’il ne s’agit ici ni d’un partenariat public-privé (PPP), ni d’un projet de transport public efficace, mais bien d’une brèche ouvrant la porte à la privatisation du transport en commun au Québec. De plus, nous démontrerons que tel qu’il a été présenté au BAPE, le projet de REM ne reflète pas une bonne politique de gestion publique.

Le 13 janvier 2015, la CDPQ a annoncé conjointement avec le gouvernement du Québec la signature d’une entente permettant de mettre en oeuvre un nouveau mode de financement des infrastructures (5) . Pour ce faire, la CDPQ a créé une filiale nommée CDPQ Infra. Un peu plus d’un an plus tard, CDPQ Infra annonçait son premier grand projet d’investissement, le Réseau électrique métropolitain (REM). Ce projet de transport en commun intégré doit lier le centre-ville de Montréal avec la Rive-Sud, la Rive-Nord, l’aéroport Pierre-Eliott Trudeau et l’ouest de l’île au moyen d’un système léger sur rail (SLR) (6) . À ce jour, le projet est évalué à 5,9 G$, dont près de la moitié serait financée par des subventions des divers paliers de gouvernement (7). Pour parler du REM et de son mode de financement, Michael Sabia, le PDG de la CDPQ, a créé l’expression de « partenariat public-public (8) », qu’il oppose aux partenariats public-privé. Plusieurs questions se posent alors. Qu’est-ce qui distingue cette formule des PPP ? Est-ce une bonne idée de voir CDPQ Infra se substituer au gouvernement dans le financement d’infrastructures publiques ? Le REM, tel que présenté, est-il un projet souhaitable pour la population québécoise ? Cette note socioéconomique cherchera à répondre à ces questions.

Un nouveau type de partenariat ?

La première chose qu’il nous importe de faire ici est de bien comprendre ce qu’est la CDPQ. Il s’agit d’un investisseur institutionnel, dont la mise sur pied date de 1965. La CDPQ a été créée avec une mission double : faire fructifier l’argent de ses déposant·e·s et développer le Québec économiquement. Les fonds de la Caisse sont investis en vue d’un rendement maximal tout en soutenant le développement économique du Québec. En tant qu’investisseur institutionnel, elle participe financièrement dans les marchés boursiers, les entreprises privées, l’immobilier et, dans le cas qui nous intéresse, dans les projets d’infrastructures.

La CDPQ est donc mue par un double mandat lié à son rendement financier et au développement économique du Québec. C’est justement en vertu de ce double mandat qu’est née la filiale CDPQ Infra. La création de cette entité avait comme raison d’être de financer, planifier, construire et exploiter des projets d’infrastructures, tels le REM, à la requête du gouvernement, tout en générant du profit pour les fonds de la Caisse.

(…)

D’où l’idée de mettre sur pied une entité dont la mission est « la réalisation performante et efficace de projets majeurs d’infrastructures publiques (13) ».

(…)

CDPQ Infra et la Banque de l’infrastructure du Canada sont de nouveaux modèles de financement et de gestion d’infrastructures. Cela dit, CDPQ Infra possède un facteur particulier : elle est perçue comme une entreprise publique au même titre que la Société des alcools du Québec ou Hydro-Québec. Dans les faits, la réalité est plus complexe que cela : une recherche dans le registre des entreprises du Québec (18) nous fait rapidement comprendre que CDPQ Infra est légalement une société par actions. Son premier actionnaire, qui est aussi majoritaire, est la Caisse de dépôt. Autrement dit, CDPQ Infra est une entreprise privée qui appartient essentiellement à la Caisse.

(…)

Selon la Banque du Canada, un projet d’infrastructures publiques doit avoir pour objet « le maintien, l’amélioration, le remplacement, l’ajout ou la démolition d’un immeuble ou d’un ouvrage de génie civil appartenant à un organisme public ou utilisé pour la prestation des services publics de l’État (19) ». La finalité des infrastructures publiques est, en ce sens, intimement liée à la finalité du service public qu’il doit permettre de mettre en oeuvre.

(…)

Bref, sans être orientée dans ses opérations par une mission qui dépasse la recherche du profit dans une optique de bien public, une infrastructure ne peut être considérée comme publique.

Transport public ou privé ?

En matière de financement des infrastructures, les pouvoirs publics ont tendance à chercher des moyens de partager la facture des investissements en infrastructures avec l’entreprise privée. Un exemple de financement d’infrastructures publiques typiquement néolibéral est celui des partenariats public-privé, auquel on a souvent comparé le modèle de CDPQ Infra.

Qu’est-ce qu’un PPP ?

(…)

Les PPP sont alors présentés comme une nouvelle manière de procurer à la population des biens et services que l’État ne pourrait assumer lui-même.

(…)

Le problème de cette formule pour le public, c’est qu’à long terme, elle s’avère plus coûteuse pour les contribuables.

(…)

Contrairement à des projets d’infrastructure qui sont entièrement financés par le public et qui ne cherchent pas à dégager de marge de profit, les contrats et les PPP doivent être négociés avec une marge de profit équitable qui prend en compte un taux de risque (souvent démesuré, comme on peut le constater avec les taux d’actualisation trop élevés dans bon nombre de projets en PPP (24) ). De plus, le privé ne peut pas, la plupart du temps, bénéficier des taux d’intérêt avantageux consentis au secteur public.

(…)

On note toutefois certaines différences importantes entre les PPP et une formule comme celle de CDPQ Infra. Si au terme du contrat, une infrastructure financée en PPP revient à l’État, la réalité est tout autre pour les infrastructures qui seraient financées en partenariat avec CDPQ Infra. Par exemple, dans le cas du REM, il n’y a pas de clause dans l’entente entre le gouvernement et la CDPQ qui stipule que l’infrastructure appartiendra un jour à l’État.

(…)

N’étant pas considérés comme des organismes publics de transport, CDPQ Infra et le consortium responsable de l’exploitation du REM ne seraient pas assujettis au nouveau régime de gouvernance instauré par la Loi modifiant principalement l’organisation et la gouvernance du transport collectif dans la région métropolitaine de Montréal (28).

(...)

Considérant la finalité de la CDPQ, la profitabilité doit être au rendez-vous. Les tarifs pour les usagers et usagères vont être déterminés par la rentabilité des opérations, et la revente des actifs devient une possibilité à la lumière de cet impératif.

(…)

En somme, le projet de REM ne peut pas être qualifié de PPP puisque, en plus d’être une entente entre le gouvernement et une institution parapublique, ce qui sera construit ne deviendra jamais propriété publique. On ne peut pas non plus qualifier le projet de partenariat « public-public », puisque l’intérêt principal du constructeur et propriétaire est de faire des profits et non de répondre aux besoins de la population.

(…)

Étude de cas du REM : À qui est-ce profitable ?

… le nouveau trajet rejoint des zones moins densément peuplées à l’ouest de l’île plutôt que des zones ayant d’importants besoins au nord-est de Montréal (47) . En ce sens, le projet de CDPQ Infra ne permet pas de répondre au besoin le plus criant en transport en commun.

(…)

En somme, on constate que la mise en place du REM contribue à une forme de démantèlement du réseau public de transport en commun de la grande région de Montréal et va affecter sa performance actuelle. De plus, le manque de planification intégrée qu’aurait permis une réelle politique de transport en commun entraîne un gaspillage de fonds publics.

(…)

Rappelons que, pour le moment, les besoins en rendement financier de CDPQ Infra n’ont pas été rendus publics et que le promoteur entretient un flou sur ses attentes à cet égard, et ce, malgré que le projet soit devant le BAPE qui doit évaluer l’intérêt du projet pour les Québécois·es. Ainsi, la CDPQ ne s’est pas prononcée publiquement sur le taux de rendement espéré. Cette information est pourtant essentielle dans le débat public, puisqu’elle sera une des principales données servant à déterminer le prix des passages afin d’atteindre la rentabilité du projet.

(…)

Pour y voir clair, nous avons fait une demande d’accès à l’information. En réponse à celle-ci, la CDPQ nous informe qu’elle vise un rendement qui se situerait entre 10 % et 11 % sur 5 ans (56) .

(…)

Au-delà du fait de s’interroger sur les besoins de profitabilité de la Caisse de dépôt, il est évident que si l’objectif était réellement de favoriser le transport en commun, on se demanderait plutôt comment rendre le projet réalisable au plus bas coût pour les usagers et les usagères. En effet, considérant les limites physiques de l’achalandage du projet de REM, plus le taux de rendement est élevé, plus le besoin de profits de CDPQ Infra sera grand et donc plus les tarifs pour les usagers seront élevés.

(…)

D’autre part, considérant que si le projet mené par CDPQ Infra tourne mal et que le gouvernement tente de le racheter au prix du marché tel que le prévoit l’entente entre le gouvernement du Québec et CDPQ Infra, rien n’indique que les milliards de subventions versées seront récupérés, d’où un impact éventuel du projet sur la dette du Québec.

(…)

Cette situation, où les tarifs seront plus élevés que ceux du réseau actuel, mène à deux possibilités. La première est que les coûts du REM feront augmenter les tarifs pour l’ensemble des usagers et usagères du transport en commun dans la région métropolitaine, afin d’absorber la dépense du REM. La seconde est que si le réseau entier absorbe mal cette hausse de tarifs, cela pourrait réduire l’achalandage du transport en commun, en raison du choix plus économique pour certaines personnes de prendre leur voiture.

(…)

Est-ce que le service offert sera amélioré ?

En fait, présentement, tout porte à croire que le projet de REM sera en quête d’un rendement élevé pour un nombre limité d’actionnaires au détriment de la population québécoise en offrant un service moins intéressant pour les usagers et usagères. De plus, la CDPQ s’accaparera des actifs publics d’importance tels que le tunnel Mont-Royal, ce qui met en péril le projet de train à grande vitesse entre Montréal et Québec. Enfin, les avantages écologiques s’annoncent de faible importance.

Conclusions

Nous avons vu dans cette note que le modèle de financement d’infrastructures publiques promu par CDPQ Infra ne contribue pas à la pérennité des services publics. Au contraire, il s’inscrit dans une logique qui bénéficie à la CDPQ plutôt qu’aux Montréalais·es et aux usagers et usagères du transport en commun. De plus, la proposition de CDPQ Infra contribue à la dépossession d’actifs publics, tel que le tunnel Mont-Royal.

En effet, le REM, n’ayant pas pour finalité de base de fournir aux Montréalais·es un transport public de qualité et accessible, contribue plutôt à démanteler le réseau public par le biais d’un fonds dont le principal objectif est de faire fructifier le capital de ses épargnants, alors que l’État québécois serait en mesure d’investir dans le transport en commun en payant moins d’intérêt que CDPQ Infra ne demande de rendement. En ce sens, pour l’État, l’instauration du REM via CDPQ Infra, en plus de lui enlever des actifs, semble principalement motivée par une volonté de ne pas inscrire à son bilan un achat d’infrastructure de transport en commun.

En somme, la logique qui sous-tend ce projet et ce mode de financement va complètement à l’encontre d’une politique publique ; elle ne reflète que l’intérêt de la CDPQ qui, tout en étant un investisseur institutionnel, ne peut certainement pas être considéré comme un partenaire public.

Notes

1- BUREAU D’AUDIENCES PUBLIQUES SUR L’ENVIRONNEMENT (BAPE), Rapport 331 : Projet de réseau électrique métropolitain de transport collectif, Gouvernement du Québec, décembre 2016, p. 75.

2- Ibid., p. 63.

3- Hugo DUCHAINE, « Le BAPE, ce n’est pas le pape », Le Journal de Montréal, 27 janvier 2017, www.journaldemontreal. com/2017/01/27/le-bape-ce-nest-pas-le-pape.

4- Jeanne CORRIVEAU et Alexandre SHIELDS, « Le REM : Le projet ira de l’avant, affirme Couillard », Le Devoir, 21 janvier 2017, www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-lenvironnement/489738/train-de-la-caisse-de-depot-le-baperefuse-de-donner-le-feu-vert-au-rem.

13- « Le modèle », CDPQ Infra, www.cdpqinfra.com/fr/le-modele.

18- « Rechercher une entreprise au registre : CDPQ Infra », Registraire des entreprises du Québec, www.registreentreprises.gouv.qc.ca.

19- LÉGISQUÉBEC, I-8.3 - Loi sur les infrastructures publiques, Publications Québec, legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/I-8.3.

24 - Minh NGUYEN et Guillaume HÉBERT, Devrait-on racheter les PPP du CHUM et du CUSM ?, IRIS, octobre 2014, 12 p., iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/CHU-PPP-WEB-02.pdf ;

28- BUREAU D’AUDIENCES PUBLIQUES SUR L’ENVIRONNEMENT (BAPE), Rapport 331 : Projet de réseau électrique métropolitain de transport collectif, Gouvernement du Québec, décembre 2016, p. ix.

47- Bruno BISSON, « Transports en commun : »Il y a un élan, mais pas de direction«  », La Presse+, 6 février 2017, www.lapresse. ca/actualites/national/201702/06/01-5066687-transports-encommun- il-y-a-un-elan-mais-pas-de-direction.php.

56- CDPQ INFRA, Note : Pourcentage et rendement des projets ferroviaires dans le portefeuille de CDPQ Infra, BAPE, pièce DA79, www.bape.gouv.qc.ca/sections/mandats/Reseau_electrique_métropolitain/documents/DA79.pdf.

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