Édition du 17 décembre 2024

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COP22

Business du climat - De la COP21 à la COP22, les grandes entreprises continuent à peser lourdement sur les négociations climatiques

Tout comme la COP21 il y a un an à Paris, la 22e Conférence internationale sur le climat sur le point de s’achever au Maroc aura été marquée par le poids des multinationales et de leurs « solutions ». Cette présence et les débats qu’elle suscite révèlent les différences de fond et les points aveugles qui persistent derrière le consensus apparent de l’Accord de Paris. Agriculture, finance verte, business des renouvelables, influence des industries fossiles... : tour d’horizon des controverses sur le rôle des multinationales dans la COP22.

Tiré du site de l’Observatoire des multinationales.

La 22e Conférence internationale sur le climat s’achève à Marrakech. Moins médiatisée que la COP21, elle constitue un premier rendez-vous crucial pour donner corps à l’Accord international sur le climat signé à Paris un an plus tôt. Si les objectifs affichés par la communauté internationale sont relativement clairs et consensuels – maintenir le réchauffement global des températures sous la barre des 2ºC et si possible de 1,5ºC –, les moyens de les atteindre le sont beaucoup moins.

À l’occasion de la COP21, l’Observatoire des multinationales avait mis en lumière la place importante et souvent problématique des multinationales au sein de la conférence (voir en particulier nos enquêtes sur le salon Solutions COP21, le lobbying autour de la COP et les véritables politiques climatiques des entreprises françaises). Cette année encore, les grandes entreprises sont très présentes à Marrakech. Y compris les multinationales françaises, dont dépend en partie l’économie marocaine, qui considèrent le royaume chérifien comme un tremplin vers le reste de l’Afrique.

Derrière le consensus apparent

La signature de l’Accord de Paris a marqué le point d’orgue d’un mouvement sans précédent en faveur du climat, avec des effets indéniablement positifs : l’essor sans précédent des énergies renouvelables, la remise en cause du charbon et des autres énergies fossiles. Reste la face sombre. Le rôle privilégié accordé aux mécanismes de marché et au secteur privé, plutôt qu’aux pouvoirs publics, aux citoyens et à la régulation, pose question. Comme la promotion de technologies (agrocarburants, capture-séquestration du carbone, agriculture climato-intelligente, compensation carbone...) qualifiées de « fausses solutions » par la société civile. Leurs bénéfices pour le climat sont extrêmement douteux. Ces technologies vont souvent de pair avec un contrôle accru des intérêts économiques sur les ressources naturelles (terres, forêts), notamment dans les pays du Sud. Autant de sujets qui sont au cœur de la COP22 de Marrakech, et qui pourraient miner d’avance toute chance d’atteindre les objectifs fixés à Paris.

L’« élan » cristallisé par l’Accord de Paris n’est pas non plus à l’abri de reculs. L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis vient le rappeler. La bataille se joue également au sein de l’Union européenne – désormais plus intéressée à promouvoir le gaz que les renouvelables – et des Nations-unies elles-mêmes. Le blocage politique créé par l’élection de Donald Trump pourrait même renforcer la position des multinationales et de tous ceux qui pensent qu’elles sont les seules à détenir les solutions à la crise climatique. Le secrétaire d’État américain John Kerry a ainsi déclaré – après que 360 multinationales américaines aient solennellement demandé au nouveau président élu de ne pas remettre en cause l’Accord de Paris – que les « forces de marché » suffiraient à garantir la continuité de la lutte contre le changement climatique malgré Donald Trump...

La question de la place des grandes entreprises et des intérêts privés prend un relief particulier du fait que le pays hôte est le Maroc. Principal exportateur mondial de phosphates, l’État marocain entretient des liens étroits avec l’agriculture industrielle. La holding de la famille royale marocaine est aussi un acteur majeur de l’énergie dans le pays, et prévoit d’étendre ses activités dans le reste de l’Afrique. La mort récente d’un jeune pêcheur, broyé par une benne à ordures suite à une dispute avec la police, a entraîné des manifestations dans tout le pays, qui mettent en lumière les carences démocratiques du régime. Une manière de rappeler que la question du climat est aussi une question de justice et d’inégalités. Le poids des multinationales sur la politique climatique internationale doit aussi se juger à cette aune.

Tour d’horizon de quelques lignes de front de cette bataille qui se joue à plusieurs niveaux dans le cadre de la COP22 et au-delà.

L’agriculture africaine, ligne de front climatique

Beaucoup d’acteurs institutionnels ont insisté sur le fait que la COP22 serait à la fois « la COP africaine » et « la COP de l’agriculture ». De fait, Marrakech constitue une nouvelle étape dans une bataille dont dépend l’avenir de l’Afrique rurale. D’un côté, on trouve les partisans d’une industrialisation agricole, avec ses semences industrielles hybrides, ses OGM, engrais et pesticides, et d’une exploitation accrue des ressources naturelles. Selon eux, c’est la solution la plus efficace pour répondre au défi alimentaire voire énergétique via la biomasse, les agrocarburants et la compensation carbone. De l’autre, on trouve les défenseurs des droits des populations rurales et de l’agroécologie, pour qui la préservation et le développement de l’agriculture paysanne sont à la fois plus justes et plus efficaces en termes de souveraineté alimentaire et pour la préservation du climat. Pour caricaturer : d’un côté les petites exploitations paysannes et l’agroforesterie, de l’autre les grandes plantations et les réserves de biomasse gérées pour le compte des multinationales.

Les institutions internationales dédiées à l’Afrique comme la Banque africaine de développement, particulièrement présentes à Marrakech, misent résolument sur une « révolution verte » basée sur l’industrialisation et sur un usage accru des engrais chimiques. Le Maroc, principal producteur et exportateur mondial de phosphates, est directement intéressé au développement des engrais de synthèse sur le continent malgré leur impact climatique.

Du fait de ces débats, la Conférence de Marrakech, les avancées concrètes sur ce sujet seront faibles. Cela pourrait laisser le champ libre aux multiples « initiatives » portées par les multinationales et leurs partenaires – gouvernements, institutions internationales ou grandes ONG – qui font la part belle aux « solutions » technologiques des grandes entreprises : la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition lancée par le G7 [1], l’Alliance pour une agriculture climato-intelligente (voir notre enquête http://multinationales.org/Yara-ou-comment-les-multinationales-se-servent-du-climat-pour-renforcer-leur), ou l’Adaptation de l’agriculture africaine (AAA) lancée par le Maroc lui-même et soutenue notamment par le groupe Avril-Sofiprotéol du président de la FNSEA Xavier Beulin, de même que par le fonds Livelihoods lancé par Danone.

« Cette multiplication des initiatives en parallèle des négociations officielles, en plus d’en complexifier le suivi, en fait le terrain de jeu idéal pour les fausses solutions et le verdissement de pratiques pourtant nuisibles au climat, explique Anne-Laure Sablé, chargée de campagne au CCFD-Terre solidaire. Alors qu’on a assisté à des blocages dans les discussions sur l’agriculture, il est inquiétant de voir ces initiatives continuer à se développer, hors de tout cadre. »

Pire encore : les terres agricoles d’Afrique et d’ailleurs seraient menacées par l’expansion des mécanismes de compensation carbone. Déjà mis en œuvre pour les forêts, le principe contesté de la compensation sera désormais étendu aux terres, considérées comme des « puits de carbone ». Cela incitera les gros pollueurs à prendre le contrôle de vastes surfaces dans les pays du Sud, particulièrement celles dont les utilisateurs traditionnels sont vulnérables, pour se dédouaner à bon compte de leur responsabilité climatique. Une coalition de 50 ONG et mouvements paysans a lancé un appel dénonçant un risque d’aggravation des phénomènes d’accaparement des terres.

Le secteur de l’eau lorgne sur la manne de la finance verte

Autre enjeu pour les grands groupes agro-industriels à Marrakech : attirer les financements publics et privés dédiés à l’adaptation au changement climatique. Sans garde-fous appropriés, cette notion élastique d’« adaptation » peut servir aussi bien à protéger les populations et leurs moyens de subsistance qu’à financer l’industrialisation agricole et les solutions technologiques promues par les multinationales. Selon une analyse (http://www.bastamag.net/Cop-22-a-Marrakech-Le-royaume-du-buisiness) publiée par Attac Maroc et le CADTM, le lancement de l’initiative AAA a pour objectif de « capter l’argent du Fonds Vert Climat ».

Lagro-industrie n’est pas la seule à tenter de se ménager une part du gâteau. Les géants français Suez et Veolia espèrent aussi attirer une partie de ces financements, en mettant en avant leurs solutions de gestion des ressources en eau. Coïncidence, les dirigeants de Suez ont réalisé plusieurs entretiens dans la presse française à l’occasion de la conférence. « Nos technologies, comme le dessalement, qui permet d’obtenir de l’eau douce avec l’eau de mer, peuvent en effet résoudre une partie des problèmes liés au réchauffement climatique », n’a pas hésité à déclarer Jean-Louis Chaussade, le DG de Suez, dans l’un de ces entretiens. Ces technologies sont aussi coûteuses, d’où la proposition de réserver une partie des 100 milliards de dollars du Fonds vert à la question de l’eau.

Au-delà de leur cœur de métier traditionnel d’approvisionnement urbain et d’assainissement, les géants français de l’eau cherchent à se positionner sur le marché de la gestion des ressources en eau à grande échelle et pour les acteurs industriels et agro-industriels. Une manière de trouver dans la crise climatique de nouvelles opportunités de « croissance », alors qu’une approche basée sur la prévention et la conservation des ressources serait sans doute moins coûteuse et plus efficace. Pour Suez et Veolia, c’est aussi une occasion de re-légitimer la gestion privée de l’eau à un moment où elle est battue en brèche, y compris au Maroc. Les deux firmes y assurent la gestion déléguée des services de l’eau et de l’électricité dans plusieurs grandes villes – Casablanca pour Suez, Tanger-Tétouan et Rabat-Salé pour Veolia – et y essuient les critiques des citoyens marocains ainsi que de la Cour des comptes (lire nos articles ici, ici).

Engie, partenaire commercial de la royauté marocaine

S’agissant du Maroc et de son gouvernement, difficile de distinguer ce qui relève de l’intérêt général et des intérêts économiques privés, car le roi Mohammed VI baigne en plein conflit d’intérêt. La Société national d’investissement (SNI), holding de la famille royale, joue ainsi un rôle central dans l’économie du pays, et en particulier dans l’énergie. À l’occasion de la COP22, le Maroc n’a pas manqué de vanter ses nombreux projets dans le secteur des énergies solaire et éolienne. Des projets qui sont quasi systématiquement mis en œuvre par une entreprise privée, Nareva, filiale de la SNI... Comme le souligne un article d’Orient XXI, le roi Mohammed VI – dont la fortune est désormais estimée à 5 milliards de dollars – intervient donc à la fois en tant que chef de l’État, responsable de la nomination des agences chargées de superviser le secteur des renouvelables, et en tant que chef d’entreprise remportant presque immanquablement, en partenariat avec des industriels étrangers, des appels d’offres passés par ces mêmes agences…

Côté français, Engie qa noué les relations les plus étroites avec la holding de la famille royale. Elle s’est notamment associée à Nareva pour construire le parc éolien de Tarfaya, présenté comme le plus important d’Afrique avec une capacité de 300 MW. Mais aussi – en contradiction avec les déclarations d’Engie sur sa conversion à la transition énergétique – pour construire une nouvelle centrale électrique au charbon à Safi, une ville portuaire éloignée des circuits touristiques qui souffre déjà de l’impact de l’industrie des phosphates et du ciment. En plus de ses émissions de CO2, la centrale de Safi utilisera des quantités massives d’eau de mer pour son refroidissement. Elle risque de porter le coup de grâce aux écosystèmes marins qui faisaient naguère de Safi le premier port de pêche du pays.

Ces derniers mois, Engie a multiplié les annonces et les initiatives au Maroc, comme celle d’un programme d’amélioration de l’efficacité énergétique de mosquées ou encore le projet d’une « ville durable » au milieu du désert [2]. Et, surtout, Engie a noué une alliance stratégique avec Nareva pour développer de nouveaux projets énergétiques au Maroc et, à terme, dans le reste du continent africain (Égypte, Côte d’Ivoire, Sénégal, Ghana et Cameroun, selon leur communiqué de presse conjoint).

Le Maroc a également lancé un vaste programme solaire , avec tout d’abord la centrale Noor 1 à Ouarzazate, inaugurée en février 2016. Sur une superficie de 460 hectares, cette centrale produit actuellement 160 MW et devrait atteindre 580 MW à terme. Bien qu’elle ait été unanimement saluée par la presse comme un succès sans nuance, cette centrale soulève néanmoins de nombreuses questions sur les droits des populations locales (qui n’ont reçu qu’une compensation minimale pour les terres dont elles ont été privées, sous prétexte qu’il s’agissait de désert alors qu’elles étaient en fait utilisées comme pâturage) et sur l’utilisation massive d’eau qu’elle implique dans une région semi-aride [3].

D’autres centrales solaires ou parcs éoliens géants sont projetées sur le territoire marocain - y compris plusieurs dans le territoire du Sahara occidental occupé par le Maroc depuis les années 1970. Selon l’ONG de soutien au peuple Sahraoui Western Sahara Resource Watch, les projets menés au Sahara occidental représentent au moins un quart du programme d’investissement marocain dans les renouvelables. Selon l’ONG, ces projets énergétiques « verts » ont pour objectif d’alimenter en électricité les mines et autres installations industrielles destinées à « piller » les ressources naturelles du Sahara occidental, alors même que la souveraineté du Maroc sur ce territoire n’est pas reconnue par l’ONU.

Pour atteindre ses objectifs ambitieux en matière de développement des renouvelables, le Maroc mise donc sur des projets industriels à très grande échelle et fortement capitalisés. Soutenus à bout de bras par les institutions financières internationales, ils bénéficient principalement à une entreprise contrôlée par la famille royale. Parallèlement, le royaume continue par ailleurs à développer toutes les énergies fossiles, comme en témoigne la construction de la centrale charbon de Safi et le « plan gaz » annoncé il y a deux ans. Le gouvernement marocain envisage même, à terme, de se lancer dans le nucléaire. L’essor du solaire et de l’éolien dans le royaume tient donc beaucoup à une stratégie de développement énergétique tous azimuts, avec pour perspective d’exporter une bonne partie de l’électricité produite, et non pas tant à une stratégie de transition énergétique.

Quand les géants des énergies fossiles participent aux négociations

La présence des intérêts industriels dans le cadre de la COP22 ne se réduit pas à la promotion de leurs « solutions » en marge du sommet. Leur influence s’exerce aussi à l’intérieur même de l’espace des négociations intergouvernementales. Le système des « observateurs » mis en place par les Nations-unies ménage en effet une place aux « organisations non gouvernementales » - une catégorie qui peut aussi bien inclure des associations écologistes que des institutions de recherches ou des organisations professionnelles. Les multinationales, y compris les majors du pétrole et du charbon, profitent à plein de cette ouverture. Une analyse réalisée par l’ONG américaine Corporate AccountabilityIinternational (voir l’infographie ci-dessous) montre comment ExxonMobil, Chevron, Total ou BP sont en mesure de participer indirectement à la COP via des associations professionnelles comme l’Association mondiale du charbon, le lobby européen de la chimie ou encore l’IPIECA, association mondiale du secteur pétrolier pour les questions environnementales.

Shell est même directement présente dans l’enceinte de la COP22 via le statut d’observateur reconnu à sa fondation d’entreprise. (C’est le cas aussi pour la fondation BNP Paribas, alors que la banque est l’un des principaux financeurs des énergies fossiles au niveau mondial.) Pour Corporate Accountability International, ainsi que pour plusieurs gouvernements du Sud qui ont tenté en vain de mettre de l’ordre dans ce système, cette présence relève du conflit d’intérêts : les mêmes entreprises pétrolières ou charbonnières qui sont les principales responsables de la crise climatique sont autorisés à participer aux discussions internationales, alors qu’elles ont un intérêt avéré à empêcher ou modérer toute action ambitieuse dans ce domaine. Pour mettre fin à ces abus, les militants du climat invoquent l’exemple de d’une autre convention-cadre des Nations unies, celle portant sur le contrôle du tabac, qui a mis en place des règles très strictes pour empêcher la participation de lobbyistes des industriels du tabac à leurs discussions. Une pétition appelant à appliquer le même système à la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique a été signée par plus de 500 000 personnes.

Union européenne : le gaz aux dépens des renouvelables

Et l’Europe dans tout ça ? Le temps paraît loin où elle pouvait apparaître comme un leader au niveau international en termes d’ambition climatique. La Commission européenne semble actuellement beaucoup plus préoccupée de sécurité énergétique que de climat, en raison des tensions géopolitiques avec la Russie et plus généralement des conséquences de la libéralisation du secteur de l’énergie sur le vieux continent. Et la solution qu’elle privilégie n’est pas d’accélérer la transition énergétique ou de renforcer le contrôle politique de ce secteur stratégique, mais plutôt un développement massif du gaz à travers des grandes infrastructures de gazoducs comme le « Corridor Sud » ou des terminaux méthaniers destinés à importer du gaz de schiste en provenance des États-Unis (lire notre enquête en deux parties sur cette Europe du gaz : De la mer Caspienne à la Méditerranée, un projet de gazoduc géant symbolise les reniements de l’Europe et Comment la Commission et les industriels voudraient imposer le gaz (de schiste) aux Européens).

L’une des explications de renoncement climatique tient peut-être, comme souvent à Bruxelles, aux relations étroites entretenues par la Commission européenne avec les industriels. Une analyse réalisée par l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory (https://corporateeurope.org/environment/2016/11/canete-takes-european-fossil-fuel-interests-marrakech-climate-summit) montre ainsi que depuis leur entrée en fonctions il y a deux ans, les deux commissaires européens en charge de l’énergie et du climat, l’espagnol Miguel Arias Cañete et le slovaque Maroš Šefčovič, ont consacré près de 80% de leurs rendez-vous officiels à des représentants du secteur privé, contre moins de 20% à des ONG ou des syndicats. Parmi ces représentants du secteur privé, on comptait une majorité écrasante d’entreprises ou d’associations professionnelles investies dans les énergies fossiles, à commencer par le gaz, comme les groupes énergétiques Iberdrola, BP, Shell, Engie, E.on et Statoil, ainsi que Trans Adriatic Pipeline, le consortium en charge d’une partie du gazoduc Corridor Sud, ou encore Eurelectric, le lobby européen des producteurs d’électricité. Dans ces conditions, « il n’y a rien de surprenant à voir la Commission pousser au développement de toujours plus d’infrastructures gazières », estime Pascoe Sabido du Corporate Europe Observatory. « Il ne peut pas y avoir de véritable transition tant que ceux qui sont en charge de définir les politiques climatiques fricotent avec les gros pollueurs. »

Cette orientation risque d’être encore confirmée, en cette fin d’année 2016, par le « paquet hiver » que prépare la Commission européenne, qui recule encore sur le soutien aux renouvelables et propose de réintroduire des formes de subventions aux centrales charbon via les mécanismes dits de « capacité » (consistant à financer des centrales non actives au cas où il y aurait besoin d’elles pour un pic de demande).

Doutes sur la finance verte

Pour mettre en œuvre les objectifs de l’Accord de Paris, et aider les pays du Sud à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux conséquences de la crise climatique, beaucoup mettent leurs espoirs sur la finance climatique, ou « finance verte ». Le secteur est aujourd’hui en pleine effervescence et aiguise beaucoup d’appétits. Cependant, en l’absence de critères rigoureux sur ce qui est réellement bénéfique pour le climat, la finance verte peut donner lieu à tous les abus. En témoigne le précédent de l’« obligation verte » lancée par Engie en 2014, qui aura surtout servi à boucler le financement du mégabarrage de Jirau, en Amazonie, largement critiqué pour ses impacts destructeurs et dont les bénéfices climatiques paraissent maigres (lire notre enquête http://multinationales.org/Quand-la-finance-verte-detruit-l-Amazonie). Au-delà de ce cas extrême, le site web FossilFreeFunds.org montre que la plupart des sociétés de gestion et des fonds financiers qui se réclament du climat et des investissements « décarbonés » ont en réalité une empreinte carbone équivalente ou supérieure à celle des fonds classiques. En ce qui concerne la transparence, là encore, on retrouve aussi les travers habituels de la finance. Une étude de la coalition « AdaptationWatch », réunissant ONG et institutions de recherches, a récemment sonné l’alarme sur le faible niveau de transparence des flux financiers publics et privés entre Nord et Sud mobilisés au nom du climat.

La Bourse de Paris, à travers son organisation promotionnelle Paris Europlace (présidée par Gérard Mestrallet, patron d’Engie), cherche activement à se positionner sur le créneau de la finance verte et a co-organisé avec la Bourse de Casablanca un « Climate Finance Day » quelques jours avant la COP22. Mais les banques et autres institutions financières qui lorgnent ainsi sur le filon de la finance verte ont-elles réellement rompu avec leurs habitudes de soutien aux énergies fossiles ? Les grandes banques françaises ont toutes annoncé des mesures de réduction de leur financement du charbon – la principale source mondiale de gaz à effet de serre -, voire d’exclusion de certains projets ou de certaines entreprises spécialisées dans ce secteur d’activité. Mais les organisations écologistes comme les Amis de la terre questionnent la portée réelle de ces engagements, dans la mesure où ces mêmes banques continuent de fait à financer des projets de nouvelles centrales charbon, comme le Crédit agricole en Indonésie ou la Société générale en République dominicaine (lire le récent rapport publié par Banktrack, les Amis de la terre et d’autres ONG sur l’état des engagements des grandes banques internationales dans le secteur du charbon).

Olivier Petitjean

Auteur pour Basta Mag.

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