Édition du 17 décembre 2024

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Amérique latine

Entretien avec Jose Correia Leite

Brésil. La candidature de Marina Silva représente « une troisième voie dans le système »

Depuis le décès – le 13 août 2014 – du candidat du Parti socialiste brésilien à la présidence du Brésil, Eduardo Campos, la candidate à la vice-présidence, Marina Silva, a été placée la tête de la liste du PSB (voir sur ce site l’article publié en date du 18 août 2014).

Suite au premier débat télévisé national du 26 août 2014, la presse a souligné la « pole position », selon les sondages, de Marina Silva, lors du plus que probable second tour des élections le 26 octobre. Le premier tour se déroulera le 5 octobre. Ainsi, l’AFP affirmait. « Portée par deux sondages consécutifs qui la donnent contre toute attente victorieuse en cas de second tour face à la présidente-candidate de gauche, Dilma Rousseff, cette femme noire de 56 ans (Marina Silva), écologiste, fervente chrétienne évangélique hostile à l’avortement, est apparue très à l’aise durant les trois heures de ce débat. Se posant au-dessus de la mêlée, elle a promis une « nouvelle politique » conciliant stabilité économique et justice sociale, renvoyant dos à dos les deux formations qui dirigent le Brésil depuis 20 ans, le Parti des travailleurs de Dilma Rousseff (PT, gauche) et le Parti social-démocrate brésilien (PSDB, centre-droit) du candidat Aecio Neves. » « Ce premier débat télévisé de la campagne, organisé à 40 jours du premier tour du 5 octobre, est intervenu quelques heures après la publication d’un second sondage en quelques jours donnant Marina Silva victorieuse au second tour, mais cette fois avec une forte avance de neuf points (45% contre 36% des intentions de vote). Ces chiffres ont fait l’effet d’une bombe dans les états-majors politiques et les médias brésiliens. »

Le 20 août 2014, après des négociations dans le PSB – portant entre autres sur les alliances locales diverses du PSB avec le PSDB et le PT – Marina Silva a été choisie, officiellement, comme candidate à la présidence. Dans la foulée, elle a enregistré la présence à ses côtés de Beto Albuquerque en tant que candidat à la vice-présidence. Député PSB de l’Etat de Rio Grande do Sul, ce politicien a été secrétaire aux infrastructures et transports dans le gouvernement PT local. Il a de nombreux liens avec l’agro-industrie. Le quotidien financier français Les Echos (21 août 2014) affirmait : « Candidate de la troisième voie, elle tente une nouvelle fois de s’interposer entre les ténors du Parti des travailleurs (PT) de la présidente Dilma Rousseff et du parti social-démocrate (PSDB) de l’opposant Aécio Neves. » Le quotidien économique Valor Econômico du 28 août 2014 souligne que « les investisseurs ont acheté l’idée que la gestion macroéconomique sera plus favorable avec Marina Silva ». Ce jugement s’appuie entre autres sur les options du principal conseiller économique de Marina Silva : Eduardo Giannetti. Ce dernier est favorable à une politique de change qui soit plus favorable au secteur exportateur. Pour le reste, ces milieux pronostiquent la possibilité, dans le cas de figure d’une victoire de Marina Silva, d’une gestion flexible de ses options dans le domaine de l’environnement. En outre, les contraintes propres aux relations qu’une telle hypothétique présidente devrait établir avec le système législatif sont assez lourdes pour tranquilliser les forces socio-économiques ayant le plus de poids au Brésil.

Dans cet entretien avec le Correio da Cidadania, Jose Correia Leite précise le sens de cette « troisième voie », une formule marketing qui possède une attraction électorale. (Rédaction A l’Encontre)

(Traduction A l’Encontre ; entretien publié sur Correio da Cidadania, le 21 août 2014)

Marina Silva est maintenant la grande « nouveauté » de l’élection. Que pensez-vous du fait que ce soit elle qui ait été choisie comme candidate présidentielle du PSB [Parti socialiste brésilien] en remplacement d’Eduardo Campos, alors que sa candidature n’a pas été retenue par son propre parti, le Réseau du Développement durable (REDE) ?

José Correil Leite : Nous devons analyser l’impact que Marina Silva provoque sur la conjoncture politique et analyser trois éléments. Le premier élément, qui marque la conjoncture politique depuis un certain temps déjà et qui est le résultat de la perte de légitimité de Dilma Rousseff (dans le monde de la grande entreprise, mais pas auprès des masses populaires), est la difficulté dans laquelle se trouve l’économie brésilienne.

Le Brésil a fait un bond en avant lors du boom des commodities (produits primaires) sous les gouvernements Lula [2003-2011], mais aujourd’hui, dans une conjoncture internationale défavorable, de faible croissance depuis 2008, l’économie brésilienne est fortement touchée. Cette dernière dépend beaucoup de la Chine et le prix des commodities n’a pas augmenté comme auparavant. Cela est un élément.

Le second élément conjoncturel, que je pense être fort du point de vue politique, c’est l’entrée même en scène de Marina Silva. Pour avoir une idée de l’ampleur de ce phénomène, une étude est sortie cette semaine disant que la banque d’investissement BBH (Brown Brothers Harriman) évaluait que la chance de victoire de Marina à l’élection était de plus de 50%. Clairement, après vingt ans qu’elle a passés parmi les tucanos [les socio-démocrates du type Cardoso] et les pétistes du gouvernement, elle a un impact fort.

Le troisième élément conjoncturel, qui constitue le fond même du processus électoral, c’est le mécontentement à l’égard du système politique, mécontentement qui a été clairement exprimé dans les manifestations du mois de juin 2013. La population dénonce une polarisation PT/PSDB [Parti des travailleurs/Parti de la social-démocratie brésilienne] et on assiste à une forte perte de légitimité générale, principalement des organes législatifs et de leurs élu·e·s, avec cette idée que tout parlementaire est un voleur…

Tous ces éléments de discrédit du système politique sont fortement associés, avec d’un côté celui de la fonction parlementaire et de l’autre celui des gouvernements du PT et du PSDB. Nous comprenons donc pourquoi Marina est entrée avec tant de force dans la bataille électorale. La recherche du Datafolha [institut de sondage du groupe de presse Folha] la place au-dessus de Dilma au second tour, avec des intentions de vote entre 47% et 43%. Marina attire un électorat diffus, qui était éloigné du processus électoral. C’était les votes blancs, les bulletins nuls et les indécis. Par rapport à Eduardo Campos [candidat à la présidence décédé lors d’un accident d’avion le 13 août 2014], elle est passée de 8% à 21%.

Pour cet électorat diffus, Marina est présentée par les analystes comme la candidate qui représente le mieux les Journées de juin 2013, la clameur des rues. Cela ne semble être que partiellement vrai parce que si Marina parvient à attirer un électorat diffus, elle est aussi une leader politique intégrée au système, qui présente de nombreuses contradictions quant au modèle économique et de développement notamment.

Nous avons donc un élément fort et nouveau dans la conjoncture, mais assez contradictoire.

Et tout ce potentiel de Marina sera-t-il activé de manière importante par l’élément émotionnel causé par la mort de Campos ?

José Correoa Leite : Marina a obtenu 20% des votes lors de la dernière élection [en 2010]. Le choc de la mort d’Eduardo Campos comporte deux éléments. D’un côté, cette mort a permis que Marina soit candidate ; de l’autre, elle lui a donné un parti politique en situation régulière [le PSB qui dispose donc de ressources financières] permettant de lui offrir une candidature. Mais je pense que cela n’explique pas les taux d’adhésion électorale à la candidature de Marina.

Ce qui explique son audience dans les sondages, c’est qu’elle avait déjà auprès de la population l’image d’une leader politique forte, charismatique, ayant des contradictions et des conflits avec le système politique. Mais je dirais que si elle avait été candidate depuis le début, elle pourrait être maintenant dans la même situation, si c’était avec l’appui du PSB bien sûr. Si elle n’avait pas un tel appui, le choc de la mort d’Eduardo Campos pourrait faire qu’elle passe de 12, à 15 puis à 20%, mais ce n’est pas simplement l’élément émotionnel qui génère l’audience « sondagière » de Marina.

Existe-t-il, d’une certaine manière, un projet politique et de gouvernement Marina Silva, qui prenne en compte non seulement son domaine de plus grande activité, l’environnement, mais également les aspects économiques, sociaux et politiques ? Si oui, quel est ce projet et que signifie-t-il ?

José Correo Leite : Marina est une candidate du système tel qu’il est établi aujourd’hui. C’est une personne qui a été sénatrice pendant deux mandats, c’est-à-dire seize ans. Sur ces seize ans, elle a été pendant cinq ans et demi ministre de l’environnement sous les gouvernements Lula. Et elle a toujours dit, elle a même insisté là-dessus lors du processus de formation du REDE : « Ma politique économique constitue le lien entre les politiques économiques de Fernando Henrique Cardoso[1995-2003] et de Lula ».

Son projet se situe à l’intérieur du cadre de non-questionnement du néolibéralisme. Mais c’est un projet qui a un fort accent environnemental et c’est ce qui la différencie. Elle met l’accent sur les questions de durabilité, mais elle le fait avec l’appui d’une partie de l’entreprenariat qui, s’il est certes progressiste par rapport à la partie hégémonique de ce secteur, représente tout de même clairement le grand capital. Il n’est pas question ici de « nature », ce ne sont que des secteurs du grand capital qui cherchent à moderniser le capitalisme brésilien, comme on le voit au sein du CEBDS (Conseil entrepreneurial brésilien pour le développement durable), où siègent des compagnies telles que Vale [une transnationale minière de première importance] ou la Fibria [une firme de première importance dans la production de pulpe de papier…qui soigne son image « écologique »]… Tout ce monde tourné vers l’industrie d’exportation n’est préoccupé que par le risque de boycott qui pèse sur les exportations brésiliennes en raison de clauses environnementales.

Ces gens ne constituent pas la base de soutien populaire électoral de Marina, mais c’est sa base de soutien politique depuis 2010 déjà. Maintenant, la situation est devenue beaucoup plus compliquée, parce que la base de soutien d’Eduardo Campos inclut aussi des secteurs importants de l’agronégoce [voir à ce propos l’article publié sur ce site, le 18 août 2014 : « Les agro-élections de 2014 »]

Ses bars de levier – mêrme si elle ne le veut pas forcément – vont être du côté d’Alckmin à São Paulo [candidat malheureux du PSDB en 2006] ou de Beto Richa dans l’Etat du Paraná [dont il est le gouverneur, PSDB également] … Oui, c’est une candidate du système. Et je pense que sa candidature est plus viable que celle de Eduardo Campos, avec plus de chance électorale, comme les prévisions le montrent déjà. Il se peut que cela varie en fonction des attaques pendant la dernière phase de la campagne. Mais en tant qu’alternative à Dilma, la candidature de Marina est d’un point de vue électoral plus viable que celle d’Aécio [Aécio Neves est le candidat PSDB à la présidentielle].

La question environnementale, certes respectable, ne constitue donc qu’un élément parmi d’autres et n’est en tout cas pas centrale.

Y a-t-il une quelconque possibilité de prendre l’ensemble des idées représentées par Marina pour en faire une sorte de troisième voie, une alternative aux forces politiques dominantes dans le cadre actuel ?

José Correio Leite : C’est une troisième voie à l’intérieur du système. Mais elle aussi est hégémonique, si nous considérons qu’Eduardo Campos était gouverneur de Pernambuco, qu’elle va bénéficier de l’appui d’une partie importante de l’agronégoce, du capital financier, de la grande industrie…

Comme nous l’avons déjà dit, ce n’est un secret pour personne que Marina traîne derrière elle des ambiguïtés : alors qu’elle dialogue avec des secteurs progressistes et avance sur certains thèmes environnementaux, elle compose en même temps avec la politique ancienne tout en versant dans le messianisme et le fondamentalisme religieux. Cela ne peut-il provoquer le trouble et porter préjudice à sa campagne ?

José Corria Leite : Sa base de soutien politique c’est le grand capital, avec les schémas les plus classiques de la politique brésilienne, mais avec une « fusion » assez dangereuse maintenant, celle d’une parcelle des ruralistes et des évangéliques.

Il y a une distinction entre sa base de soutien politique et sa base de soutien électoral. Je ne peux pas la quantifier, je pense que personne ne le peut, mais c’est une sorte de jonction entre une grande partie de l’électorat évangélique, qui est conservateur, et une grande partie de l’électorat écologiste urbain, plus progressiste. C’est dans tous les cas une candidature avec un potentiel d’attraction de votes très ample.

Et cette base électorale progressiste n’est pas très consciente du caractère conservateur évangélique. Il y a comme une dissonance et une « scission » dans la perception des deux choses, très bien menées par Marina lors de la campagne de 2010, qui se trouvait déjà à l’époque avec un électorat conservateur et un électorat progressiste. L’entrepreneur vote lui avec l’argent. Ce n’est pas important numériquement. C’est significatif politiquement, parce qu’il finance la candidature.

Ce réseau électoral contradictoire ne risque-t-il pas de diminuer l’appui apporté à la candidature de Marina par le grand capital ?

José Correia Leite : Pas du tout, et surtout pas celui apporté par le secteur du capital qui a des préoccupations environnementales. Maintenant, il y a effectivement un conflit, puisque dans la mesure où elle se porte candidate pour le PSB, elle a l’appui de secteurs importants de l’agronégoce, ce qui rend difficile la construction d’une image acceptable face à certains secteurs. C’est clair, ni Aécio ni Dilma ne vont l’attaquer sur cela, mais c’est une contradiction.

C’est vrai, sa candidature présente différentes contradictions, rendant difficile sa volonté de faire écho au mouvement diffus que nous avons eu en juin 2013. D’un côté, elle est originaire du mouvement rural de l’Acre [Etat amazonien du nord], elle n’a pas été formée dans les grandes villes et dans le dialogue avec les masses urbaines. A ce point de vue, elle est très différente de Lula qui se sentait à la maison dans de telles ambiances. Marina non.

D’un autre côté, elle porte la contradiction d’être évangélique, de posture religieuse conservatrice par rapport à toute une série de questions de libertés, modes de vie et droits. Et un des éléments importants des protestations de juin fut le « Fora Feliciano » (« Feliciano, dégage ») [Feliciano est un pasteur évangélique, président de la Commission des droits de l’homme et des minorités de la Chambre des députés brésilienne, qui a tenu récemment des propos « fracassants » sur les Africains, les Indiens, les homosexuels].

De plus, Marina n’est pas quelqu’un qui connaît la rue. Elle a passé seize années au sénat, dont cinq en tant que ministre.

Elle a du charisme, mais aussi beaucoup de difficulté à entraîner sa base de soutien dans un projet de parti. La difficulté de légalisation de la REDE n’a pas seulement été le fait d’un problème de délai. Avec son genre de leadership un peu messianique, Marina avait de la difficulté à diriger une structure partidaire plus traditionnelle.

Je dirais que ces contradictions dans la trajectoire personnelle de Marina vont maintenant gagner de l’importance et aider à définir le caractère de la campagne et d’un éventuel gouvernement qu’elle formerait. Mais j’insiste sur le fait que Marina aborde le problème de la durabilité en le « détachant » de la question du modèle de développement. Marina n’envisage pas un autre modèle de développement. Elle a avalé des couleuvres lors de la séparation de l’IBAMA [Agence environnementale brésilienne] des autres institutions, comme la fondation Chico Mendes par exemple, mais elle ne s’est pas opposée à Belo Monte [barrage géant dont la construction a été très controversée]. Elle s’est opposée sur certains aspects des compensations environnementales et sociales. Mais ce n’est que là-dessus que portaient ses critiques à l’égard du projet.

Dans sa tête, il n’y a pas de projet alternatif au niveau national, ni d’autre modèle de développement. Alors que nous voyons certains pays s’emparer des thèmes de l’écologie et de la durabilité pour développer des projets nationaux sur d’autres bases. Même dans le cadre du néolibéralisme. L’Allemagne est en train d’abandonner la production d’énergie de combustibles fossiles et nucléaires, pour parier sur l’énergie renouvelable, éolienne, solaire, etc. La Chine y compris – malgré son énorme investissement dans les centrales à charbon– est un pays-continent où se développe une production d’énergie solaire et éolienne. Nous avons la possibilité, même au sein du système, d’accélérer la rupture avec le modèle de développement que nous pouvons appeler « fossiliste ». Et nous ne voyons rien de cela dans aucune des réflexions de Marina.

Le Brésil a aujourd’hui une économie principalement connectée avec le marché mondial, calquée sur la production et la vente de soja, de canne à sucre, de viande, d’eucalyptus, de minerai de fer et de pétrole. L’unique secteur économico-industriel qui possède une dynamique est l’industrie automobile, non durable également. Un autre modèle de développement devrait aussi se confronter à l’agronégoce, à l’industrie extractive (Vale, Petrobras) et à l’industrie automobile, les trois piliers de notre économie. Cela pour pouvoir penser à un autre modèle de ville, une agriculture durable, à un autre type de production d’énergie…

En passant, j’aimerais mentionner le Forum Social thématique d’énergie (qui a eu lieu du 7 au 10 août à Brasilia), qui a réuni tous les mouvements luttant sur des questions liées à l’énergie et à la durabilité, dans le but de discuter sur la manière d’implanter les éoliennes, les centrales nucléaires, etc. De cela a surgi une campagne appelée « Une énergie pour la vie » dont le but est de dialoguer avec ce qui constitue aujourd’hui une « pointe » du capitalisme. […] Cela signifie, par exemple, que des milliers de maisons du programme « Ma Maison, Ma Vie » [au Brésil] pourraient générer de l’énergie, ce qui fournirait aussi un revenu à ceux qui en vendraient l’excédent. […] Nous avons la possibilité d’un autre modèle de production d’énergie, mais cela passerait par la confrontation avec tout le secteur électrique établi aujourd’hui, avec la Petrobras, les sociétés minières, avec le type de modèle productif et exportateur de l’Amazonie.

Marina va apporter un brin de tension, mais elle ne va pas établir de changements substantiels en relation à l’agronégoce, aux exportateurs, à l’industrie pétrolière, ou même aux entreprises de montage de voitures. Or, sans remettre en question le modèle du transport, il n’est pas possible d’améliorer la condition de vie dans les grandes villes. Marina ne parvient pas à proposer un modèle de développement au-delà de celui que nous avons aujourd’hui. Principalement parce que cela impliquerait des confrontations qu’elle estime peut-être impossibles à gagner. Cela étant, elle représente une réforme à l’intérieur du modèle.

Pour terminer, en fonction de tout ce que vous venez de décrire, et d’un scénario électoral qui est en train de se reconfigurer, comment pensez-vous que les partis politiques et les forces populaires les plus progressistes pourraient et devraient agir ?

José Correio Leite : C’est le même problème qui est posé pour Marina. Pour aller plus loin que le seul fait de galvaniser le mécontentement à travers une initiative électorale momentanée, il est nécessaire d’avoir un projet pour le pays. Il me semble d’ailleurs qu’il n’existe pas non plus au sein du PSTU [Parti socialiste des travailleurs unifiés] ou du PCB [Parti communiste brésilien] une rupture claire avec le développementalisme (désarrollisme).

La candidature de Luciana Genro [candidate du PSOL, le Parti socialisme et liberté, à la présidence] a plus d’ouverture, mais elle se meut également avec difficulté dans la question du « développementalisme ». Elle a toutefois une plus grande ouverture sur la question de la lutte pour les droits ou la question des libertés, et cela lui permet de bien discuter sur les questions qui ont surgi à l’agenda du mois de juin de l’année passée.

Mais pour galvaniser un projet de nation capable de dessiner un horizon futur pour le Brésil, une proposition de restructuration de l’économie et de la société est nécessaire, une proposition de changement de modèle énergétique, de changement de modèle dans l’organisation des transports, de réorientation des priorités dans différents secteurs économiques, de repositionnement de l’agriculture, de changement de cap dans l’agronégoce pour aller vers une agriculture organique et familiale…

Tout cela aurait besoin d’initiatives fortes prises par le gouvernement. L’élection est l’occasion de construire cela. Il est nécessaire d’avoir des projets sur l’énergie, sur la réforme urbaine, sur un autre modèle économique.

La gauche est encore prisonnière d’un vieux « développementalisme ». Même le PSOL, où il y a pourtant beaucoup d’éléments positifs, a passablement de difficulté pour transiter vers un imaginaire qui rompe avec l’actuel « développementalisme », pour aller vers une société durable, autogérée et structurée sur un autre modèle de vie.


Gabriel Brito est journaliste. Valéria Nader est journaliste et économiste. Elle est éditrice du Correio da Cidadania. Jose Correia Leite est professeur auprès de l’Université de São Paulo (USP), « spécialisé », entre autres, en science politique et écologie.

Gabriel Brito

Gabriel Brito est membre de la rédaction de Correio da Cidadania, Bresil.

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