Tiré de À l’encontre.
La réouverture des universités est tombée à plat
Les universités de tout le pays ont officiellement repris les cours le 5 mai, mais la réouverture forcée n’a apparemment pas eu lieu, n’attirant que peu d’étudiants. Ce résultat était prévisible étant donné que tout ce que fait la junte est considéré comme toxique par l’écrasante majorité de la population. De nombreux responsables du secteur de l’éducation et des enseignants restent en grève, alors que le sentiment de nombreux parents et étudiants est que la participation aux cours pourrait légitimer un gouvernement illégitime.
L’Ayeyarwady Times a rapporté l’accueil peu chaleureux réservé aux étudiants de l’université de Yangon Est, qui, comme d’autres universités, est fermée depuis plus d’un an (vous vous souvenez de la crise du Covid-19 ? Les temps étaient plus simples). Selon l’un des rares étudiants présents hier, il n’y a pas eu de distanciation sociale malgré les promesses de la junte, et des soldats et des policiers ont été déployés sur le campus universitaire, fouillant les affaires des étudiants. La source d’information a également déclaré que les déplacements des étudiants à l’intérieur du campus étaient strictement limités aux salles de classe. On ne peut pas dire que la junte ait eu l’impression que tout allait bien.
La tentative de réouverture rappelle également que nombre des manifestant·e·s en première ligne étaient des étudiant·e·s. En conséquence, les étudiant·e·s représentent une proportion élevée des victimes et des prisonniers politiques. Ils sont susceptibles d’éprouver un ressentiment particulièrement fort à l’égard des militaires. Un étudiant en dernière année de l’université d’économie de Yangon a déclaré à Myanmar Now que lui et ses amis avaient décidé de ne pas assister aux cours, déclarant que leur école buissonnière était une version du mouvement de désobéissance civile. « Le sang de nos amis n’est pas encore séché », a déclaré l’étudiant. Il a dit que certains de ses amis ont été tués lors de la répression brutale des manifestations. Une autre étudiante a déclaré qu’elle « ne peut pas recevoir une éducation d’esclave sous la dictature militaire » alors que ses amis restent derrière les barreaux. « Je ne retournerai en classe que lorsque le gouvernement du peuple sera aux commandes », a-t-elle déclaré.
Se joignant à leurs élèves, les professeurs de nombreuses universités refusent également de retourner dans les salles de classe. Un membre de la Fédération des enseignants du Myanmar a déclaré à Myanmar Now que seuls environ 20% des enseignants retournaient sur le campus, et que la plupart d’entre eux avaient un lien personnel avec les militaires. « Je vais absolument continuer à participer au Mouvement de désobéissance civile (CDM : Civil Disobedience Movement) jusqu’à ce que nous gagnions. Je ne cesserai jamais de boycotter un système éducatif dirigé par les militaires », a déclaré à Frontier un enseignant en grève, depuis sa cachette.
Les parents semblent également soutenir largement le boycott. C’est une des rares fois où ils sont heureux de voir leurs enfants manquer l’école, à la fois pour défier la junte et pour des raisons de sécurité. « Il n’y a aucune garantie que les étudiants·e·s ne seront pas arrêtés ou abattus, ou que les étudiantes ne seront pas harcelées sexuellement par des soldats », a déclaré une mère à Frontier.
La junte a poursuivi ses efforts pour contraindre les responsables de l’éducation à la soumission, en inculpant chaque jour de la semaine 10 personnes en vertu de l’article 505A du Code pénal. La liste comprend un grand nombre de directeurs et directrices d’école, notamment ceux qui supervisent les écoles secondaires d’éducation de base du district de Thazi à Mandalay, du district de Taungoo à Bago [ville située à 80 km au nord-est de Yagon] et du district de Kantbalu à Sagaing [ville à 20 km de Mandalay, c’est un centre religieux], ainsi que les écoles secondaires d’éducation de base du district de Mindon à Magway [centre de la Birmanie], des districts de Shwebo et de Salingyi à Sagaing et du district de Kyaukkyi à Bago. Le généralissime Min Aung Hlaing a déclaré que les enseignants devaient « servir consciencieusement l’État » et a averti que « des mesures dissuasives seraient prises contre quiconque porterait atteinte à l’appareil administratif de l’État ».
Le Parti national arakan cherche à quitter le navire
Le Parti national arakan (PNA) a annoncé qu’il allait probablement suspendre sa coopération avec le régime militaire, affirmant que ce dernier n’a pas répondu aux demandes formulées par le parti le 4 février, quelques jours seulement après le coup d’État. Le président Thar Tun Hla s’est exprimé sur la question lors d’une conférence de presse au siège du parti mercredi 5 mai, ajoutant que le PNA convoquera bientôt une réunion du comité exécutif pour discuter plus avant de ses projets.
On ignore ce qu’il adviendra du vice-président du parti, Aye Nu Sein, qui a accepté un poste au sein du Conseil d’administration de l’Etat de la junte peu après le coup d’État. Thar Tun Hla a déclaré qu’il s’agissait d’une « décision personnelle » qui « n’avait rien à voir avec le parti ». Ce n’est pas une explication particulièrement convaincante étant donné que sa nomination semblait coïncider avec d’autres coopérations du PNA avec le régime. Et alors que d’autres partis ethniques ont expulsé les membres qui ont pris ces postes sans l’approbation du parti, Aye Nu Sein continue d’occuper son poste au sein du PNA.
Alors, de quoi le PNA est-il exactement mécontent ? Le parti a déclaré avoir formulé sept revendications en échange de sa coopération le 4 février : libérer le président du Parlement de l’État de Rakhine, San Hla Kyaw ; nommer deux membres du PNA au Conseil d’administration de l’Etat de Rakhine (dont l’un en tant que président) ; nommer une majorité de membres du PNA au cabinet de l’État ; nommer des membres du PNA aux conseils d’administration régionaux de Yangon et d’Ayeyarwady ; supprimer la désignation de terroriste de l’Armée d’Arakan ; libérer d’autres prisonniers politiques rakhines et abandonner les pratiques de contre-terrorisme contre les Rakhines.
Thar Tun Hla a affirmé que le régime n’avait accédé qu’à deux demandes, la libération de San Hla Kyaw et la suppression de la désignation terroriste de l’AA. (La junte a également libéré certains autres prisonniers politiques rakhines, comme le Dr Aye Maung, et semble être en train d’abandonner les actions de contre-terrorisme.)
Nous n’avons jamais pensé que l’alliance entre le PNA et la junte durerait éternellement. Il semblait quelque peu inévitable que le régime se heurte aux exigences du parti. Il s’agit d’institutions fondamentalement incompatibles, puisque le PNA souhaite une plus grande autonomie dans le Rakhine et que la junte a pour instinct de centraliser le pouvoir et de diriger le pays depuis une salle de guerre à Naypyidaw [la capitale]. La grande question est de savoir comment cette rupture pourrait affecter les relations de la Tatmadaw [forces armées de la junte] avec l’AA (Arakan Army).
La junte semble toutefois se préparer à une éventuelle reprise du conflit dans l’État de Rakhine. Selon le média local Narinjara, elle a ordonné à ses nouveaux administrateurs de villages de recruter des villageois pour créer une milice dans le district de Munaung, dans l’État de Rakhine. Un administrateur a déclaré au média qu’on lui avait dit qu’il devait recruter 30 résidents de chaque village et quartier de la commune. Un autre administrateur a déclaré que l’idée était « très impopulaire » au sein de la communauté. Il a même dit à ses supérieurs que « personne ne voulait s’engager ». Pe Than, un membre senior du PNA, a déclaré qu’il s’agissait d’une « démarche étrange » étant donné que la Tatmadaw et l’AA observent actuellement un cessez-le-feu informel. Il a déclaré que ces développements « devraient être surveillés ».
Les affrontements violents se poursuivent
La junte devrait se méfier tout particulièrement de toute nouvelle violence à Rakhine, étant donné qu’elle a déjà fort à faire avec des affrontements majeurs dans les États de Kayin et de Kachin, et avec des soulèvements civils armés dans l’État de Chin et dans les régions de Sagaing et de Magway.
Dans le Kachin, l’Armée de l’indépendance du Kachin a abattu mardi un hélicoptère de la Tatmadaw dans le district de Momauk, tuant un capitaine, un major et un sergent. Cette semaine, des civils ont pris les armes dans la région isolée de Magway, dans l’ouest du pays. Il s’agit du premier incident de ce type dans cette région jusqu’à présent, et quatre soldats auraient été tués dans le canton de Tilin. De nouveaux affrontements ont également eu lieu dans le district de Hakha, dans l’État Chin, où les habitants auraient tué neuf soldats de la Tatmadaw. Dans le district de Sintgaing à Mandalay, une bande armée de 20 personnes aurait attaqué un avant-poste de police qui gardait un oléoduc et un gazoduc chinois, tuant trois des six policiers qui s’y trouvaient. Enfin, des affrontements majeurs ont éclaté mardi 4 et mercredi 5 mai entre la Tatmadaw et l’Armée de libération nationale Ta’ang et l’Armée de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar dans le canton de Kutkai, dans le nord de l’État de Shan. Il s’agit peut-être des combats les plus violents depuis le coup d’État.
Cette situation pourrait être particulièrement préoccupante pour la Tatmadaw, étant donné que l’État de Shan n’a connu qu’une violence limitée depuis la prise de pouvoir par les militaires et que ces derniers souhaitent probablement contenir la violence pour faire face aux menaces croissantes dans les États de Kachin et de Kayin. L’Etat de Shan pourrait également exercer une pression accrue sur l’AA pour qu’elle adopte une position plus ferme à l’égard de la junte, étant donné qu’il est étroitement lié à la TNLA (Tang National Liberation Army) et au MNDAA (Myanmar National Democratic Alliance Army Alliance nationale démocratique du Myanmar, active dans la région de Kokang)
Le Gouvernement d’unité nationale [NUG, parallèle, formellement constitué le 16 avril 2021] a annoncé la création d’une force de défense populaire, ce qui est à suivre. Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure le gouvernement en exil peut réellement influencer les combats sur le terrain, pour le moment.
La LND divisée et ambiguë sur les droits des Rohingyas
Lors d’une audition à la Chambre des représentants des États-Unis, l’ambassadeur du Myanmar auprès des Nations unies à New York – Kyaw Moe Tun – qui a continué à représenter le gouvernement civil, a exhorté les Etats-Unis à faire davantage pression sur la junte. « Nous avons besoin que les Etats-Unis jouent un rôle de leader décisif pour aider à résoudre la crise du Myanmar », a-t-il déclaré, appelant à des sanctions contre la Myawady Bank, détenue par les militaires, et la Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), détenue par l’État. Cette dernière est la plus grande source de devises étrangères de la junte dans l’économie formelle. Son appel à des sanctions contre MOGE fait écho à celui des organisations de défense des droits de l’homme et de certains sénateurs américains influents.
Mais les messages contradictoires sur la crise des Rohingyas continuent de poser problème pour le NUG, sapant ainsi le message du mouvement pro-démocratique. Le représentant Ted Lieu a déclaré qu’il bloquerait les efforts visant à reconnaître le Gouvernement d’unité nationale comme le gouvernement légitime du Myanmar jusqu’à ce qu’il intègre une représentation des Rohingyas. Le représentant Brad Sherman a également exprimé sa déception quant à l’exclusion des Rohingyas. Il a interrogé Kyaw Moe Tun à plusieurs reprises pour savoir si le NUG accorderait la citoyenneté aux Rohingyas s’il prenait le pouvoir. Kyaw Moe Tun a donné une réponse peu engageante, voire décousue, qui ne répondait pas explicitement à la question, ce que Brad Sherman a ensuite qualifié de « décevant ». Brad Sherman a déclaré qu’il ne doutait pas que le NUG serait un gouvernement plus humain que la junte, mais qu’il s’agissait d’une « norme très, très basse ».
Deux stratégies différentes ont émergé sur la façon d’aborder la question des Rohingyas à la suite du coup d’État. Il y a ceux, comme le Dr Sasa et Susanna Hla Hla Soe, qui n’étaient pas personnellement impliqués dans la question par le passé, mais qui se sont excusés pour les échecs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND-parti d’Aung San Suu Kyi) et ont promis de faire mieux à l’avenir. D’autres, comme Kyaw Moe Tun, ont au contraire tenté de faire valoir que la LND n’avait rien fait de mal, peut-être en partie parce que cela reviendrait à contredire leurs propres déclarations publiques antérieures sur la question des Rohingyas.
Outre le fait qu’une telle orientation est indéfendable du point de vue des droits de l’homme, il devient évident que la deuxième voie est également moins efficace d’un point de vue stratégique, car les politiciens et les militants des droits de l’homme ne vont pas simplement oublier les événements des quatre dernières années.
L’incident a également suscité un débat animé sur les médias sociaux, où de nombreux utilisateurs supposés pro-démocratie et anti-Rohingya ont montré leur vrai visage. L’activiste rohingya Yasmin Ullah a qualifié cette journée de « sombre », affirmant qu’il y a toujours « tant de résistance [à] l’inclusion des Rohingyas à la table des négociations ». Mais il y a aussi eu des points positifs. La page Twitter officielle du Mouvement de désobéissance civile a déclaré qu’il voulait être « très clair » sur le fait que les « droits de citoyenneté et les droits de l’homme » des Rohingyas « doivent être pleinement respectés » et qu’ils « doivent avoir leur voix représentée au gouvernement ». Une telle prise de position de la part d’un important groupe affilié à la LND aurait été impensable avant le coup d’État.
Lettre Frontier Fridays du 7 mai 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre.
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