Édition du 18 juin 2024

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États-Unis

Bernie Sanders et Jeremy Corbyn pourraient mettre une révolution en marche

Tout comme R. Reagan et M. Tatcher ont évolué ensemble, peut-être B. Sanders et J. Corbyn en feront-ils autant

Plusieurs Démocrates se satisferaient de défaire le Président Trump en 2020 pour retourner à la « normale ». Mais, pour un nombre croissant d’électeurs.rices et de candidats.es cela ne suffit pas ; il faut décrocher un mandat pour procéder à des changements fondamentaux.

Robert L. Borosage, The Nation, 12 avril 2019
Traduction, Alexandra Cyr

Cette mission a été examinée cette semaine dans une salle du Longworth House Office Building au cour d’une réunion entre deux économistes britanniques, Mathew Lawrence et James Meadway et un groupe de conseillers.ères démocrates du Congrès, pour prendre connaissance des éléments de la politique économique en construction dans le British Labor Party et chez son chef, Jeremy Corbyn. C’est le Congressional Progressive Caucus Center and the Democracy Collaborative, un institut de recherche basé à Washington, qui a organisé cette rencontre. C’en est une, parmi les nombreuses rencontres d’intellectuels.les, de légisalteurs.trices, et de militants.es qui partagent des connaissances et des stratégies pour mettre en place une période de réformes de part et d’autre de l’Atlantique.

Au Royaume uni, Jeremy Corbyn, une version britannique de B. Sanders, a depuis des années été qualifié d’excentrique radical parce qu’il ne cessait de critiquer le virage à droite du « New Labor ». Il pourrait bien conduire son parti à la victoire lors des prochaines élections. Le Parti conservateur, actuellement au pouvoir, se désintègre sur l’enjeu du Brexit. Aux États-Unis, l’étonnante course de B. Sanders aux cours des élections présidentielles de 2016 et l’approbation qu’il reçoit en ce moment conjointement avec la Sénatrice E. Warren, laisse sa marque sur les idées démocrates pour les primaires à venir cette année et pousse le Parti démocrate à gauche. Les prochaines élections en Grande Bretagne et aux États-Unis pourraient donc être le moment de la fin des 40 ans de l’ère conservatrice, le début de celle des réformes et pas seulement le passage au pouvoir d’un Parti à un autre.

On peut avoir une idée de cette transformation en regardant l’histoire. En 1979 et 80, Margaret Thatcher et Ronald Reagan qui appartenaient à deux mouvements bien trop conservateurs pour les tenants.es du consensus de l’époque, ont été élus l’un après l’autre sur deux ans. Les deux se sont consciemment engagés à en finir avec le libéralisme de l’après-guerre et à lancer leurs pays respectifs dans des décennies de dominance conservatrice.

Durant la décennie 1990, Bill Clinton et Tony Blair sont arrivés au pouvoir à quelques années l’un de l’autre. Le néo-démocratisme de B. Clinton et le New Labor de Tony Blair ont poussé leurs Partis à s’accrocher aux vents conservateurs dominants. Les deux ont proclamé une nouvelle Troisième voie et ont mis de côté la démocratie sociale qui était une troisième voie entre le communisme et le capitalisme. Les deux ont contribué à consolider l’ordre économique mondial conçu par les multinationales et pour elles.

En ce moment, une réorganisation fondamentale (de l’ordre dominant) pourrait bien ressortir des élections parallèles qui vont avoir lieu de chaque côté de l’Océan. Le Royaume uni et les États-Unis souffrent de beaucoup de maladies semblables : les inégalités sauvages, l’économie qui ne fonctionne pas pour la majorité de leurs populations, leurs secteurs manufacturiers complètement ravagés et un contraste terrifiant entre les centres financiers et les provinces. Dans les deux pays il existe une culture corporative dominée par les intérêts des actionnaires et de la finance, caractérisée par les enjeux à court terme, le pillage et la prédation. Dans les deux pays, une génération vit dans la peur de ne pas pouvoir arriver à faire mieux que ses parents. Les deux sont écrasés par une élite démoralisée et sans idées. Le mécontentement populaire a pris dans les deux pays une tournure perverse : le Brexit en Grande Bretagne et D. Trump aux États-Unis.

Pourtant la gauche est sur une montée, guidée par des idées, par l’énergie de sa base et son authenticité. J. Corbyn a été mené à la direction du Parti travailliste par une mobilisation sans précédent et une sérieuse augmentation du nombre de membres de son Parti. B. Sanders est sorti d’une obscurité quasi absolue pour arriver au premier rang des candidatures à la nomination démocrate de l’actuelle campagne électorale (pour la présidentielle de 2020) à cause de sa performance dans les primaires de 2016. Elle avait soulevé l’énorme énergie de l’électorat jeune.

Les deux politiciens ont lancé des idées fortes et explicites qui furent centrales dans leur ascension. En 2017, le manifeste de J. Corbyn, intitulé « Pour le grand nombre, pas pour quelques uns.es » a été publié sans autorisation par ceux et celles qui étaient convancus.es que ces idées radicales torpilleraient sa campagne. Les médias conservateurs britanniques décrivaient cet appel comme une lettre pré-suicide et lui ont donné une large diffusion. Résultat ironique, le Parti travailliste a complètement contredit les sondages et fait d’étonnants gains électoraux. De même, la montée de B. Sanders n’est pas due à une campagne particulièrement avenante ni à sa personnalité télégénique, mais bien à la force de ses idées et de l’authenticité avec laquelle ils les a défendues.

Le centre des programmes de ces deux mouvements ascendants comporte d’étonnantes similarités. Les deux en appellent au retour de l’investissement public et à des politiques sociales. Les deux s’engagent à des investissements publics dans les infrastructures. Le manifeste travailliste défend l’idée de la création de banques d’investissement nationales et régionales. Ici, le « New Deal vert » a lancé des idées semblables. Les deux programmes mettent en lumière les bénéfices matériels que donneraient la gratuité scolaire au niveau supérieur, la garde gratuite des enfants par exemple, Medicare pour tous et toutes aux États-Unis et le renforcement du populaire Service de santé national en Grande Bretagne. Les deux politiciens demandent une augmentation significative du salaire minimum et des réformes pour améliorer le pouvoir des travailleurs.euses, de leurs organisations et dans leurs négociations collectives. Les deux s’appuieraient sur des augmentations des taxes et impôts aux entreprises pour lutter contre les inégalités et payer pour leurs programmes.

Les deux commencent aussi à se centrer sur des réformes structurelles dans les entreprises pour réformer et corriger les failles des marchés. Parmi les Démocrates, (la sénatrice et candidate) E. Warren est à l’origine d’une bataille pour réanimer le programme contre les trusts, le niveau d’impôt des entreprises et donner aux travailleurs.euses des sièges dans leurs conseils d’administration.

Le débat est plus avancé en Grande Bretagne et J. Corbyn et ses conseillers.ères sont à réviser son manifeste en vue des prochaines élections. Dans ce manifeste, il en appelle au renversement du dangereux programme de privatisation des chemins de fer de M. Thatcher et d’autres services publics comme les eaux, l’énergie et la poste. Il fait une large place à la création de coopératives, d’entreprises auto gérées et au soutien par l’État des petites entreprises. Il prône des efforts pour transformer les règles de direction des entreprises en fonds inclusifs de propriété comme ils les appellent. Chaque grande entreprise de plus de 250 employés.es devraient consacrer chaque année 1% de ses actions sur une période de 10 ans à une compagnie en fidéicommis qui serait dirigée par un conseil élu par les employés.es de l’entreprise. À titre d’actionnaire, la compagnie en fidéicommis recevraient des dividendes à redistribuer aux travailleurs.euses. Elle aurait aussi, à titre d’actionnaire majeur, une influence sur la direction de l’entreprise, sur sa stratégie et les décisions quant à la rémunération de ses dirigeants.es.

La semaine dernières les médias ont exposé les mises en garde de B. Obama aux jeunes leaders à Berlin de ne pas introduire les conditions de la création de l’ennemi du « bien ». La « rigidité » mène trop souvent à « à se tirer dans le pied » et fini par affaiblir tout le mouvement. La presse a compris que cet avertissement s’adressait aux progressistes qui mènent le débat à l’intérieur du Parti démocrate et critiquent les candidats.es centristes.

En fait c’est un cours d’organisation 101 qu’il a donné : intégrer les principes sur lesquels on ne se permettra pas de compromis, mettre le maximum de pression pour ce que l’on veut et s’il n’y a pas moyen de faire autrement, maintenir la pression. C’est loin de ce à quoi nous ont accoutumé les néo-démocrates, y compris Obama, soit l’introduction de compromis préalables au début du débat et ensuite des compromis supplémentaires pour arriver à ce que quelque chose soit réalisé concrètement. Les Démocrates ont moins souffert de « tirs dans le pied » que de son élite qui a démissionné devant l’obligation de procéder à des réformes fondamentales.

Il faudra des changements structurels spectaculaires pour transformer une économie politique qui n’est pas en faveur de la classe ouvrière. En Grande Bretagne, le Parti travailliste y est engagé. Les prochaines élections ne serviront pas qu’à défaire la Première ministre May et le gouvernement conservateur. Les Travaillistes vont chercher à décrocher un mandat pour procéder à ces changements majeurs.

Aux États-Unis, l’électorat démocrate va devoir faire un choix entre, par exemple l’ancien vice-président J. Biden et la Sénatrice Amy Klobuchar qui militent fondamentalement pour la défaite du Président et le retour à une situation plus correcte, et d’autres comme B. Sanders et E. Warren qui sont engagés dans un programme fort qui non seulement est vital pour le pays mais est la meilleure stratégie pour finalement défaire D. Trump. Mais pas de telle réussite sans la pression des progressistes pour que le débat continue.

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