Juan Gonzalez : Bahrein a annoncé les procès, devant une cour martiale, de 47 membres du corps médical, 23 médecins et 24 infirmierEs. Ils sont accuséEs et ont été arrêtéEs pour avoir prodigué des soins à des manifestantEs au cours du soulèvement contre le pouvoir en place. L’acte d’accusation inclut : « avoir fait la promotion d’actions devant mener à la chute du gouvernement » et « atteinte à l’ordre public en répandant de fausses nouvelles ».
Bahrein est un allié clé des Etats-Unis dans le Proche Orient. La 5ième flotte y a sa base. Parmi les médecins accusés, se trouve le Dr Ali Al Akri, un médecin de grande réputation. Il a été arrêté à son hôpital le 17 mars, au cours d’un raid de l’armée dans la capitale Manama. Son épouse, Mme Fareeda Al-Dallal, s’est récemment exprimée sur les ondes d’Al Jazeera : « En ce moment j’ai très peur ; je n’ai aucune information à son sujet. Je ne sais même pas où il se trouve et ses avocats sont incapables de l’atteindre. Si je me fie aux coups que j’ai reçus au cours d’une seule journée d’incarcération, je suis sure qu’il a subit bien plus ; ça fait maintenant un mois et demi qu’il a été arrêté. Et je ne sais pas quelles sont ses réactions face à ses interrogateurs ».
Amy Goodman : Selon des groupes de défense des droits humains, ces arrestations font parti d’une campagne d’intimidation en infraction claire avec les conventions de Genève qui garantissent les soins médicaux aux blesséEs durant les conflits. L’Independant de Londres rapporte qu’un spécialiste des soins intensifs a été arrêté après qu’on l’ait repéré sur une photo, pleurant sur le cadavre d’un manifestant. Un chirurgien a été capturé alors qu’il pratiquait une opération.
Pour en savoir plus nous nous tournons vers Richard Sollom de Physicians for Human Rights. (…) Il revient tout juste de Bahrein où il a fait enquête sur la situation. Il est le co-auteur d’un rapport intitulé : Do no harm : A Call for Bahrein to End Systematic Attacks on Doctors and Patients.
(…) dites-nous ce que vous avez constaté là-bas.
Richard Sollom : La délégation de Physicians for Human Rights est revenue de Bahrein il y a quelques semaines. Elle a enquêté sur des allégations d’atteintes aux droits humains et sur l’indépendance des médecins dans les circonstances. Ce que nous avons observé est profondément dérangeant. Nous avons interviewé environ 50 témoins oculaires : des patientEs de l’hôpital Salmaniya, des médecins, des infirmièrEs, des personnes affectées aux soins personnels, des technicienNEs de rayons X, des ambulanciers etc. Il en est ressortit, et nous avons conclut que les autorités visent systématiquement le personnel médical qui exerce ses responsabilités éthiques et indifférenciées en donnant des soins aux contestataires qui ont été blesséEs par ces mêmes autorités au cours des manifestations depuis quelques mois maintenant.
J.G. : (…) vous avez soulevez des questions sur la possibilité qu’il y ait ici des violations des traités internationaux et des Conventions de Genève….
R.S. : Oui, nous avons qualifié ces actes de : « violation de la neutralité médicale ». Ce concept prend sa source dans les conventions de Genève, les lois sur la guerre autant que dans les lois sur les droits humains et le code d’éthique du corps médical, par exemple les principes stipulés par le World Medical Association. Le gouvernement de Bahrein a signé tous les principaux traités sur les droits humains. Il doit tenir ses engagements. Mais l’état d’urgence a été déclaré et certains droits sont donc suspendus. Ceci ne met pourtant pas fin aux droits inaliénables tels que celui à la vie et de ne pas être soumis à la torture.
Nous avons pu établir des preuves légales de décès en prison liés à la torture. Nous avons aussi attesté d’abus graves dont la torture de patientEs dans les hôpitaux même. Nous appelons ces actes « torture » parce que, en plus de subir de sévères abus physiques et mentaux, ces patientEs ont été forcéEs de faire de fausses confessions ; par exemple qu’ils avaient dirigés par le gouvernement iranien pour mener la protestation qui leur disait aussi de porter des armes et qu’ils avaient reçu de l’entrainement militaire en Iran.i Ce type de confessions qui a apparemment été enregistré sur vidéo par les forces de sécurité, sur place à l’hôpital, pourrait bien apparaître sur nos écrans un jour ou l’autre ; je n’en serais pas surpris.
A.G. (…) avez-vous déjà été témoin d’arrestations de médecins et d’infirmierEs ? Vous nous parlez d’un pays qui a contribué à l’effort de guerre en Irak et en Afghanistan, à côté des États-Unis ; qui y a envoyé des troupes ; a signé un traité de libre échange avec ces mêmes Etats-Unis, qui en est un allié proche à tous les niveaux. Comment le gouvernement de Bahrein se justifie-t-il ? Qu’est-ce que le gouvernement américain dit de tout ça ?
R.S. Premièrement, le gouvernement de Bahrein ne se justifie pas. Il s’oppose vigoureusement aux allégations des organisations comme la nôtre, comme Human Right Watch et Amnesty International. Au cours des derniers mois, nous avons tous rapporté le fait que ce gouvernement s’attaque systématiquement au personnel médical et aux leaders de la société civile.
Cela fait maintenant vingt ans que j’enquête sur des allégations de bris de l’indépendance médicale et sur les manquements au respect des droits humains en temps de guerre. Je n’avais encore jamais vu une telle attaque systématique contre le corps médical ni une violation si spectaculaire de son statut éthique. Je suis allé à Bangkok l’an dernier durant le soulèvement des chemises rouges où un hôpital a été pris d’assaut. J’ai couvert la situation au Sri Lanka, à la fin de la guerre civile. Même chose lors de l’effondrement du système de soins de santé au Zimbabwe en 2008. Je n’y ai rien vu de comparable à ce qui se passe au Bahrein. Le gouvernement américain doit absolument se prononcer sur les atrocités commises par son allié.
J.G. Au cours de votre séjour avez-vous eu l’impression que les choses se calmaient avec l’arrivée des troupes d’Arabie Saoudite ou au contraire ? Et avez-vous quelque indication que ce soit que le gouvernement américain va soulever ce sujet avec son allié ?
R.S. De fait les attaques contre les médecins et les autres membres du corps médical aussi bien que les autres violations des droits humains ont augmenté depuis l’arrivée des troupes saoudiennes. Nous recevons des informations quotidiennes, par courriels ou par téléphone, de familles de médecins qui sont disparus. La semaine dernière deux autres centres de soins primaires à l’extérieur de la capitale Manama, ont été attaqués par les forces de Bahrein. Ils ont été encerclés par des voitures de police et le personnel a été arrêté et détenu. Malheureusement nous observons en ce moment même la poursuite et la montée de ce genre d’action et de violation des droits.
A.G. Que demandez-vous, Richard Sollom ?
R.S. Premièrement nous demandons que le gouvernement américain s’élève avec force contre ces terribles exactions. Il doit mettre fin a sa relation avec le Bahrein. Si j’ai bien compris, le président Obama a appelé personnellement le roi Hamad vendredi dernier. Je trouve ça rassurant, en tout cas bienvenu. Mais, avec la Secrétaire d’État, Mme. Clinton, il doit absolument déclarer publiquement qu’ils sont contre ce genre de spectaculaires violations des droits humains.
Deuxièmement, le Comité des droits humains de l’ONU, qui se réunit à Genève cet été doit aussi soulever ce problème de la neutralité du milieu médical qui est mis à mal à Bahrein mais aussi en Syrie et en Lybie.
A.G. Finalement, est-ce que l’American Medical Association se prononce sur cette affaire ?
R.S. L’AMA autant que la World Medical Association ont vigoureusement demandé au gouvernement de Bahrein de respecter l’éthique médicale et laisser les médecins et autres membres des équipes de soin traiter les malades et les blessés, ce qui est leur plus stricte responsabilité.
A.G. Merci Richard Sollom.