Édition du 17 décembre 2024

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Europe

BYE, BYE le Royaume-Uni

Tariq Ali est historien, écrivain et commentateur de la vie politique britannique. Il est d’origine pakistanaise.

Tiré de counterpunch.org, 8-10 mai 2015,

Traduction, Alexandra Cyr

La récente élection générale britannique fut passionnante. La démission des trois chefs perdants, M. Miliband des Travaillistes, M. Clegg des Libéraux-démocrates et Farage de UKIP, le parti de droite, raciste et populiste, n’en est que l’événement superficiel. Ils ont tous démissionné le lendemain de la victoire conservatrice. Plus fondamentalement, c’est le fait que le Scottish National Party ait raflé 56 des 59 sièges en Écosse, aux dépends des Travaillistes qu’il a pour ainsi dire laminé dans cette région, qui constitue l’événement important. Le Parti travailliste y dominait depuis plus de cent ans. Il y a été fondé. L’Écosse a donné aux Travaillistes son premier chef et premier Premier ministre. La culture de la classe ouvrière écossaise était la plupart du temps plus radicale que son équivalent anglais.

C’est la victoire des Travaillistes en1945 qui a renvoyé les velléités d’indépendance et de réunification des catholiques de l’Irlande du nord avec l’Irlande au niveau de l’abstraction. Le triomphe de Margaret Thatcher en 1979 a planté le premier clou sur le cercueil du Royaume uni. Non pas qu’elle ait stigmatisé les Écossais comme certains de ses successeurs l’ont fait, mais parce que la majorité des Écossais l’ont massivement rejetée avec tout ce qu’elle défendait. Elle a milité ardemment pour le retour de « Grande » Bretagne sans se rendre compte que ses politiques mèneraient au démantèlement du pays. Tom Nairn avait déjà invoqué cette situation dans son livre, avant même son élection triomphale.

Une large partie des Écossais n’a jamais voté pour elle. Ils ont atteint le point de rupture durant la mandature du New Labour sous Tony Blair. Ce sont les politiques effrontément thatchériennes de T. Blair, de son ministre des finances G. Brown et de leurs quelques alliés flagorneurs écossais qui ont accéléré la montée du nationalisme et le transfert des voix du Parti travailliste vers le Scottish Nationalist Party (SNP). Ce parti s’est vite rendu compte que la seule façon de battre les « conservateurs blairistes » étaient de se situer résolument à la gauche des Travaillistes sur les enjeux majeurs : il s’est opposé à la guerre en Irak, a défendu l’État providence et exigé le retrait des armes nucléaires du sol écossais. Il a ainsi, tranquillement, développé ses appuis. Le Parti travailliste à continué dans la négation du changement dans la situation politique. Les premiers signes ont été ignorés. Les plaques tectoniques ont bougé la semaine dernière et ont laminé les Travaillistes. Ça sera long, mais l’indépendance de l’Écosse deviendra une réalité et ce sera une diable de bonne chose. Elle va affaiblir les prétentions néo impériales et militaires du Royaume Uni. Elle pourrait aussi susciter un véritable débat en Angleterre (pas le genre de comédie qu’on voit sur la BBC et les autres réseaux de télévision) qui mènerait à des réformes constitutionnelles. Il faudrait arriver à une constitution écrite, à un système électoral démocratique et à l’émergence d’une alliance radicale en Angleterre, une force de révoltés-es qui puisse en finir avec le Travaillisme décadent qui a affaibli la gauche depuis un siècle en commençant par le Parti communiste officiel et plus tard l’avancée trotskyste.

J’ai exposé extensivement dans mon livre, The Extreme Centre : A Warning, comment ce phénomène s’étend à toute l’Europe. Il n’existe pas de différence fondamentale entre le centre droit et le centre gauche où que ce soit. Dans certaines parties de l’Europe catholique, (Espagne et France), le mariage gay soulève la division. Pas tellement en Grande Bretagne. L’idée qu’un gouvernement travailliste à Westminster aurait pu renverser le cours néo libéral du capitalisme est une aberration. Il aurait peut-être pu le rendre plus tolérable en jouant sur les statistiques et en usant d’un discours très modéré, mais pas plus. Donc ceux et celles de la gauche qui sont accrochés-es aux Travaillistes, incapables de s’en séparer doivent se réjouir, leurs illusions ne seront pas trahies.

Les tâches auxquelles font face les Écossais-es et les Anglais-es sont très différentes. En Écosse, les jeunes qui ont dominé la Radical Independence Campaing (RIC) ont joué un rôle exemplaire dans le référendum et dans les dernières élections. Ils et elles ont l’esprit largement ouvert, ne sont pas sectaires et se sont rendu compte que ce qui comptait c’était de mettre toutes leurs énergies à défaire les adversaires communs. Les résultats ont rendu justice à leur approche. Il leur faut maintenant rassembler toutes les forces qui veulent une Écosse radicale pour les représenter au parlement écossais lors des élections de 2016. On parle ici d’une opposition de gauche constructive qui garde les traditions du RIC mais cette fois au parlement en préparation d’une Écosse qui soit à la fois indépendante et différente.

En Angleterre, le troisième parti, en termes de nombre de voix, est UKIP. Il a gagné des voix à la fois chez les conservateurs et les Travaillistes. Mais, ses 4 millions de votes, soit 12,6% du total ne lui a accordé qu’un seul siège au parlement. Les Verts, avec un peu plus de un million n’ont au également qu’un siège. C’est l’absurdité du système électoral qui donne aux Conservateurs une majorité absolue avec 331 sièges et 36,9% des voix exprimées. Les Travaillistes récoltent 232 sièges avec 30,4% du vote. Les autres partis anglais sont réduits à rien. C’est un système largement dépassé et depuis longtemps. Il nous faut une sérieuse campagne pour un système proportionnel. Le système majoritaire à un tour qui donne tout au gagnant du plus grand nombre de sièges est un cancer destructeur qui doit être extirpé du corps politique.

Qu’en est-il du radicalisme anglais ? Ce n’est pas par accident qu’un parti comme UKIP soit devenu la troisième force politique de ce pays. La collaboration entre le Parti travailliste et les syndicats signifiait la construction de mouvements sociaux capables de s’opposer aux privatisations, d’exiger la propriété publique des services publics, plus de logements sociaux, de démocratie locale et la renationalisation des chemins de fer. Ça a été mis de côté. Aucune autre force n’était capable d’organiser la base extra-parlementaire pour rejeter et renverser les politiques d’extrême centre. C’est le défi auquel sont confrontés-es ceux et celles qui veulent en finir avec le consensus Thatcher-Blair en Angleterre. Ce n’est pas une mince tâche. Mais c’est possible. Il faudra des forces sur le terrain qui aident à créer un nouveau mouvement qui parle au nom des opprimés-es et des exploités-es.

La gauche ne peut compter sur la direction du Parti travailliste. Les noms auxquels on peut penser sont nuisibles pour les meilleurs d’entre eux. Ce qui aiderait le plus serait que la poignée d’élus-es dès leur arrivée au parlement, rompe effectivement avec le Parti et établisse un nouveau caucus radical qui se mette en lien avec les forces extérieures. Je doute que ça arrive. La sainte tradition veut qu’on s’installe au niveau du plus petit dénominateur commun, qu’on devienne inoffensifs. Cet attachement au Parti travailliste alors qu’il rompait avec son propre passé social-démocrate et optait pour le plein épanouissement du capitalisme était mal inspiré et a mené à une impasse. Ken Levingstone a été candidat indépendant et a battu Tony Blair dans une élection à la mairie de Londres. Il a été mis au banc du parti. Il a ensuite fait la paix avec le 10 Downing Street et est retourné au bercail. En cours de route il a défendu la City of London et Scotland Yard lors de l’exécution publique de l’électricien brésilien, Jean Menezes qui a été pris pour un musulman. Livingstone était un des quelques dirigeants-es populaires issu du Parti Travailliste qui aurait pu jouer dans la construction de quelque chose de neuf.

Nous avons besoin d’une alliance de toutes les forces radicales pour bâtir un mouvement anticapitaliste en Angleterre. Il nous faut un nouveau mouvement qui soit capable de se servir du passé comme exemple : la Grand Remonstrance [1] du 17ième siècle, le mouvement de rébellion chartiste [2] du 19ième siècle. Les plus récents développements en Amérique du sud, en Grèce et en Espagne qui peuvent également servir d’exemple. Quant au Parti travailliste, je pense qu’il faut le laisser mourir. La voie écossaise représente l’espoir.


[1Liste de griefs adressée au roi Charles Premier par le parlement anglais le premier décembre 1641. Elle avait été adoptée en novembre 1641. Cette opposition du parlement au roi d’Angleterre a mené à une guerre civile. N.d.t.

[2Lutte ouvrière en Angleterre qui réclamait l’établissement d’une charte pour la classe ouvrière. N.d.t.

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