Édition du 5 novembre 2024

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Automobile. Comment la Chine est devenue championne du monde des batteries électriques

Les constructeurs chinois ont réussi à supplanter leurs concurrents sur le marché des batteries. Ils le doivent à l’accent mis depuis des années par le gouvernement sur la formation aux disciplines scientifiques et technologiques, ainsi qu’au triplement des dépenses consacrées à la recherche et développement, explique “The New York Times”.

23 septembre 2024 | tiré de Courrier international | Illustration : Xi Jinping. Technolo-Xi. Dessin de Joep Bertrams paru dans De Groene Amsterdammer, Pays-Bas.
https://www.courrierinternational.com/article/automobile-comment-la-chine-est-devenue-championne-du-monde-des-batteries-electriques_221381

La domination de la Chine sur les voitures électriques, qui menace de déclencher une guerre commerciale, trouve en réalité son origine dans certains laboratoires universitaires du Texas, où des chercheurs ont découvert, voilà plusieurs dizaines d’années, comment fabriquer des batteries à partir de minéraux bon marché et disponibles en abondance.

En exploitant cette trouvaille, des entreprises chinoises ont ensuite trouvé des solutions pour permettre aux batteries de tenir plus longtemps la charge et de supporter des recharges quotidiennes pendant plus de dix ans. Elles en fabriquent désormais en quantité, de manière fiable et bon marché. Elles produisent également la plupart des voitures électriques du parc mondial ainsi que de nombreux autres systèmes énergétiques propres.

En fait, les batteries ne sont qu’un exemple parmi d’autres de la capacité de la Chine à atteindre un niveau de sophistication technologique et industrielle lui permettant de rattraper – et même de dépasser – les démocraties industrielles développées. La liste des secteurs dans lesquels elle a effectué une percée est longue : des produits pharmaceutiques aux drones, en passant par les panneaux photovoltaïques ultra-performants.

Pour prendre la mesure du défi posé par Pékin à la suprématie technologique américaine depuis la Seconde Guerre mondiale, il suffit de se rendre dans des salles de cours en Chine ou de consulter les budgets des entreprises chinoises, ainsi que les directives émanant des plus hautes sphères du Parti communiste chinois (PCC).

Priorité aux filières scientifiques

Les étudiants chinois sont beaucoup plus nombreux qu’ailleurs à se spécialiser dans les sciences, les mathématiques et l’ingénierie. De plus, leur proportion continue d’augmenter alors que les inscriptions dans l’enseignement supérieur ont plus que décuplé depuis l’an 2000.

Par ailleurs, les dépenses consacrées à la recherche et développement ont explosé : ces dix dernières années, elles ont triplé, propulsant la Chine à la deuxième place mondiale derrière les États-Unis. Les chercheurs chinois occupent une place de premier plan : ils ont publié des articles très en vue au sujet de 52 des 64 technologies considérées comme essentielles, selon un décompte effectué récemment par l’Australian Strategic Policy Institute [ASPI, l’Institut australien de politique stratégique]. Et le mois dernier, les dirigeants chinois ont promis de faire franchir un nouveau palier à la recherche dans leur pays.

Lors d’une réunion des dirigeants du PCC qui se tient tous les dix ans, ceux-ci ont décrété que la formation et l’enseignement scientifiques devaient être l’une des principales priorités économiques du pays. La résolution finale adoptée à l’issue de cet événement a accordé à cet objectif une importance supérieure à celle de toutes les autres mesures, à l’exception de celle visant à renforcer le parti lui-même.

La Chine “va prendre des dispositions exceptionnelles pour les disciplines et les filières dont elle a besoin de façon urgente”, a déclaré Huai Jinpeng, le ministre de l’Éducation.

“Nous comptons mettre en œuvre une stratégie nationale pour cultiver les meilleurs talents.”

Selon le ministère de l’Éducation, la majorité des étudiants chinois de premier cycle se spécialisent en mathématiques, sciences, ingénierie ou agriculture. C’est aussi le cas de trois doctorants sur quatre. À titre de comparaison, aux États-Unis, ces disciplines n’attirent qu’un cinquième des étudiants de premier cycle et un doctorant sur deux. À noter cependant que ces chiffres se fondent sur une définition un peu plus stricte de ces spécialités aux États-Unis.

Des labos très bien équipés

L’avance de la Chine est particulièrement marquée dans le secteur des batteries. Selon l’ASPI, 65,5 % des articles scientifiques les plus cités sur la technologie des batteries sont le fait de chercheurs chinois, contre seulement 12 % pour les Américains. En outre, les deux plus grands fabricants mondiaux de batteries de voitures électriques, CATL et BYD, sont tous deux chinois.

La Chine propose près de 50 programmes d’études supérieures consacrés à la chimie ou à la métallurgie des batteries, tandis qu’aux États-Unis seuls quelques professeurs travaillent dans ce domaine. Selon Hillary Smith, professeure de physique des batteries au Swarthmore College [université de Swarthmore, près de Philadelphie], on constate aux États-Unis un intérêt croissant des étudiants de premier cycle pour la recherche sur les batteries. Mais “ils vont devoir jouer des coudes, car les places sont rares, et la plupart d’entre eux seront contraints de se réorienter”, ajoute-t-elle.

Pour découvrir les racines du succès de la Chine en matière de batteries, il faut se rendre à la Central South University de Changsha, une ville située dans le sud du pays qui est depuis longtemps un des bastions de l’industrie chimique chinoise. Cette université compte près de 60 000 étudiants de premier et second cycles, répartis sur un grand campus moderne. Son département de chimie, qui se trouvait autrefois dans un petit bâtiment en brique, a déménagé dans un édifice en béton de six étages, véritable labyrinthe de labos et de salles de classe.

Dans l’un de ces laboratoires, où brillent de nombreux voyants rouges, des centaines de batteries présentant de nouvelles compositions chimiques sont en train d’être testées. D’autres salles sont occupées par des microscopes électroniques et divers appareils de pointe. “Les équipements dont nous disposons pour réaliser des expériences sont suffisants à nos yeux pour répondre aux besoins de quiconque veut faire des tests”, explique le doctorant Zhu Fangjun.

Un enjeu géopolitique

Peng Wenjie, un professeur de l’université, a ouvert non loin d’ici un bureau d’études sur les batteries qui emploie une centaine de jeunes diplômés titulaires d’un doctorat ou d’une maîtrise, et plus de 200 assistants. Les assistants travaillent en relais avec les chercheurs. Ils peuvent donc tester de nouvelles compositions chimiques et des architectures de batterie vingt-quatre heures sur vingt-quatre. “Comme beaucoup de personnes sont présentes sur le site en même temps pour les essais, on est très efficaces”, souligne M. Peng.

L’expertise de plus en plus étendue de la Chine dans le secteur manufacturier est à l’origine d’un vif débat dans certains pays, notamment aux États-Unis : faut-il demander à des entreprises chinoises de venir construire des usines sur place ou vaut-il mieux essayer de reproduire ce que fait la Chine ?

“Si les États-Unis veulent mettre en place rapidement une chaîne d’approvisionnement, la meilleure solution pour eux est de solliciter des entreprises chinoises car elles la créeront en un rien de temps, en apportant avec elles leur technologie”, estime Feng An, fondateur du Centre d’innovation dans l’énergie et les transports, un organisme de recherche à but non lucratif implanté à Pékin et à Los Angeles.

L’industrie manufacturière représente 28 % du PIB de la Chine, contre seulement 11 % aux États-Unis. La Chine espère que ses investissements dans l’enseignement et la recherche scientifiques se traduiront par des gains d’efficacité qui contribueront à dynamiser l’ensemble de l’économie, nous confie Liu Qiao, directeur de l’École de gestion Guanghua de l’université de Pékin. Selon lui, “il est facile d’améliorer les niveaux de productivité, dès lors qu’on dispose d’un grand secteur manufacturier”.

Mais les prouesses de la Chine dans ce domaine posent problème sur le plan géopolitique. En effet, l’essor de l’industrie manufacturière étant alimenté en partie par des subventions et des mesures gouvernementales, de nombreux pays rechignent désormais à acheter des exportations chinoises.
Des usines chinoises aux États-Unis ?

Ainsi, l’Union européenne a décidé de taxer lourdement les véhicules électriques en provenance de Chine en leur imposant des droits de douane compensateurs. Les États-Unis ont fait de même pour stopper l’expansion des constructeurs chinois sur leur sol, tandis que les projets de coopération avec les fabricants chinois de batteries subissent des pressions politiques et commerciales qui les entravent.

Les fabricants chinois cherchent malgré tout des solutions pour produire aux États-Unis des batteries pour véhicules électriques. Mais construire et équiper ce genre d’usine aux États-Unis coûte six fois plus cher qu’en Chine, souligne Robin Zeng, président fondateur de CATL, et cela prend plus de temps – “trois fois plus”, selon lui.

Néanmoins, les États-Unis devancent toujours la Chine en ce qui concerne la dépense intérieure en recherche et développement (DIRD), en dollars mais aussi en pourcentage du PIB. L’année dernière, l’effort global de recherche, en hausse depuis plusieurs années, y a atteint 3,4 % du PIB, contre 2,6 % pour la Chine (en augmentation également).

“Que se passera-t-il lorsque la Chine, qui dispose déjà d’une solide assise manufacturière, dépassera les États-Unis en matière de R & D ?” s’interroge Craig Allen, le président de l’US-China Business Council, un organisme qui représente les entreprises américaines commerçant avec la Chine.

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