C’est ce à quoi ce dossier est consacré. Quelques mots tout d’abord sur la campagne des primaires qui s’est achevée en juin et s’est avérée très intéressante mais aussi préoccupante. Commençons par la face sombre de ces primaires, c’est-à-dire l’émergence de Donald Trump dans le camp républicain. Les déclarations racistes, xénophobes, antimusulmanes comme antimexicaines du candidat sont connues et largement rapportées par les médias, qui bénéficient d’un surcroît d’audience avec un candidat démagogue qui ne respecte pas les règles élémentaires de la civilité lors des débats. Ce candidat qui fut autrefois un démocrate qui soutenait le droit à l’avortement est devenu un histrion misogyne opposé à l’avortement. Il a passé les années Obama à mettre en doute la nationalité du premier président noir des États-Unis dont le père
était kenyan.
Trump est un milliardaire qui se vante de sa richesse dont il exagère l’étendue mais ses partisans sont majoritairement issus des classes défavorisées chez les Blancs. Il a moins dépendu des financements extérieurs lors de la campagne des primaires car il avait sa fortune personnelle et les médias lui ont fait de la publicité gratuite en lui consacrant des heures d’émission, alors que dans le même temps, Bernie Sanders, le seul candidat progressiste des deux grands partis, était quasiment ignoré par les grands médias dominants1.
Trump est le candidat républicain mais il a poussé le parti républicain vers la désintégration, l’appareil du parti soit ne le soutient pas, soit le soutient du bout des lèvres. Ses déclarations contradictoires et insultantes ne sont qu’une partie du problème. Il se démarque des républicains de l’ère Bush en dénonçant la guerre en Irak et en affirmant qu’il pourrait s’entendre avec Poutine. Il dénonce les traités de libre-échange et les délocalisations dont souffrent principalement les classes moyennes et ouvrières.
Trump mêle un discours xénophobe et un discours antimondialisation qui est souvent tenu à gauche. Il est typique des mouvements d’extrême droite que l’on voir fleurir un peu partout dans le monde dit occidental, ce qui montre que là-dessus il n’y a pas d’exceptionnalisme américain. Il a porté le discours xénophobe et incendiaire des républicains jusqu’à une limite extrême et s’est emparé, de façon peu sérieuse, de thèmes porteurs à gauche. Son succès auprès des exclus ou des groupes craignant de faire les frais de la mondialisation signale, de façon paradoxale, le retour de la question sociale. Le côté plus lumineux des primaires américaines est bien évidemment l’émergence de Bernie Sanders qui, en dépit de l’opposition des médias dominants, de l’appareil du parti démocrate et du monde des affaires, a réussi a faire presque jeu égal avec la candidate officielle des démocrates, Hillary Clinton. Sanders a réussi à lever des fonds sans passer par les milliardaires qui financent et contrôlent les deux grands partis américains. La moyenne des contributions à la campagne Sanders est de 27 dollars par personne. Sanders a donc montré qu’il était possible de lutter contre les puissances d’argent tout en tenant un discours ouvertement socialiste. Son thème central est celui de l’inégalité, inégalité qui ne cesse de croître entre les 1 % ou plutôt même les 0,1 % les plus riches et les 99 ou 90 % restants. Là aussi la question sociale fait son retour. Les jeunes, notamment les étudiants surendettés, ont soutenu Sanders et fait de sa campagne un événement dynamique et prometteur.
Sanders a aussi pris ses distances avec le discours traditionnel en matière de politique étrangère, notamment en ce qui concerne Israël. Sanders fait partie des juifs de gauche américains qui sont internationalistes et donc opposés au soutien inconditionnel d’un régime d’extrême droite en Israël. Les médias ont aussi bien mieux soutenu Clinton que Sanders qui n’a pas réussi à renverser la table chez les démocrates2. Néanmoins la campagne de Sanders ne s’arrête pas à l’élection présidentielle de novembre, l’enthousiasme soulevé par cet homme de 74 ans n’est que le signe des profonds mécontentements et aspirations non satisfaites qui sont l’héritage des années Obama. Les espoirs placés dans la personnalité d’Obama ne pouvaient qu’être déçus car il ne suffit pas d’élire un homme pour changer un système.
Que cet homme soit le premier Afro-Américain à la MaisonBlanche est un marqueur historique d’une grande importance symbolique mais cela ne suffit pas pour améliorer la situation des Noirs américains dans leur ensemble. L’émergence de l’organisation Black Lives Matter montre que le chemin à parcourir reste long pour transcender l’héritage de l’esclavage, de la ségrégation et du racisme. Obama ne s’était pas présenté comme très progressiste durant sa campagne et il a surtout bénéficié d’être le candidat qui différait de Bush, tant sur le plan de la politique étrangère qu’en matière de justice sociale. Ce président anti-Bush a, sur de nombreux plans, soit suivi une ligne proche de celle de son prédécesseur soit légèrement différente. Il a expulsé plus de migrants dits clandestins que Bush, traqué plus de lanceurs d’alerte, tué plus de supposés terroristes et d’innocents par l’utilisation de drones que Bush. Il a aussi plus hésité à intervenir militairement au sol, notamment en Syrie après l’épisode peu glorieux de l’intervention en Libye voulue par la France. On peut considérer que l’accord sur le nucléaire iranien et la reprise des relations avec Cuba sont des succès diplomatiques importants. Sur le plan intérieur, l’assurance santé, connue sous le nom d’Obamacare, est aussi un succès même si cette assurance est encore loin d’être universelle et aussi favorable à toute la population que ses équivalences en Europe ou au Canada.
Si la présidence Obama n’a pas constitué un tournant progressiste majeur, elle a quand même marqué une inflexion par rapport aux années Bush, inflexion qui risque de ne pas être confirmée par celle qui prendra probablement sa succession et qui est une néolibérale interventionniste en politique étrangère, c’est-à-dire un faucon. Il faut prendre en compte tout le système politique américain pour faire le bilan des années Obama. En effet, sur tous les plans, le président a dû compter avec non seulement l’opposition acharnée des républicains, opposition dont le racisme n’était pas toujours absent, mais aussi avec la puissance de l’État profond, c’est-à-dire du complexe militaro-industriel et de l’establishment dominé par les banques et les grands secteurs industriels.
Obama n’a pas eu la confiance immédiate du Pentagone qui a cherché, avec succès, à le contourner, comme le monde des affaires l’a également fait. Il n’a pas créé de rapport de force avec l’État profond et son pragmatisme l’a conduit à faire avec les forces en place. Obama n’a pas été un grand président transformateur comme Franklin Roosevelt mais il a fait bouger certaines lignes sans véritablement défier l’État profond. Ceci explique le succès à la fois de Sanders sur le flanc progressiste que de Trump du côté des démagogues qui utilisent les souffrances réelles des exclus3. Durant les années de néolibéralisme branché sur le complexe militaro-industriel, la question sociale, qui est négligée depuis quatre décennies, a refait surface et aujourd’hui les États-Unis, comme d’autres pays occidentaux, sont à la croisée des chemins. Le mouvement impulsé par Sanders, qui prend la suite du mouvement Occupy Wall Street, ne va pas disparaître avec l’élection d’une candidate néolibérale et militariste4, mais il continuera à pousser pour des réformes socio-économiques et ethnoraciales plus justes.
C’est la seule voie viable pour défaire la démagogie d’extrême droite cachée dans des rhétoriques trompeuses. En ce sens les États-Unis sont un laboratoire des évolutions politiques possibles.
1 <https://theintercept.com/2015/12/17...> . Voir également, sur le cynisme des médias dominants : <http://www.politico.com/> .
2 <http://www.truth-out.org/news/item/...> .
3 <http://www.huffingtonpost.fr/pierre...> . 4 On peut lire une critique de gauche sans concession de la dérive droitière du parti démocrate dans Thomas Frank, Listen, Liberal, Or, What Ever Happened to the Party of the People ?, Metropolitan Books, 2016.