Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Aller à l’essentiel

Depuis plusieurs semaines nos étudiants sous la gouverne de trois grandes associations sont en grève. Depuis peu le débat dérive vers le thème de la violence. Il y a certainement lieu de s’interroger sur cette soi-disant violence, tout comme il ne faut pas perdre de vue les raisons à la base de ce mouvement de grève. À notre avis, cette dérive risque d’occulter les véritables motivations de l’activisme étudiant. Au moment où les choses risquent de s’envenimer, il est donc temps de mettre un peu d’ordre dans tout cela pour y voir clair à nouveau.

De l’accessibilité

Au-delà d’une simple hausse de 1625$ des droits de scolarité étalée sur les 5 prochaines années, le mouvement étudiant a voulu axer le débat autour de la question de l’accessibilité. D’aucuns ont soutenu qu’une telle augmentation, somme toute modeste lorsque répartie dans le temps, n’était pas déraisonnable, mais c’est sans compter les multiples hausses des frais afférents, véritable coûts cachés de notre système d’éducation. Lorsqu’on y regarde attentivement, force est d’admettre que les droits de scolarité ne sont pas si gelés qu’il n’y paraît et qu’ils ont connus une augmentation relativement importante. Voilà un fait trop souvent passé sous silence. Au-delà de l’impact qu’aura cette nouvelle hausse sur la fréquentation universitaire des prochaines cohortes étudiantes, il n’en demeure pas moins qu’on semble avoir perdu de vue certains objectifs que la société québécoise s’était fixés au cours de la Révolution tranquille.

En effet, dans le Rapport Parent l’objectif énoncé pour les études supérieures était une éventuelle gratuité. Aujourd’hui ceux qui osent encore brandir cet objectif passent pour des idéalistes anachroniques déconnectés de la réalité. Mais qu’en est-il vraiment ? La gratuité universitaire au moment d’écrire ces lignes représente environ 1% du budget de l’État québécois. Cependant, dans les faits, il s’agit d’un choix de société et comme pour tout choix de société il convient de le faire de la façon la plus éclairée possible. D’un côté, on trouve le modèle de la gratuité qu’on peut rattacher à la pensée sociale-démocrate qui considère l’éducation comme faisant partie du bien-être commun et comme le moteur de l’enrichissement collectif, sans compter le fait qu’il s’agit d’un facteur essentiel de la mobilité sociale et donc par ricochet d’équité entre les membres de la société ; de l’autre, le modèle de la vérité des coûts issu de la pensée néolibérale qui transforme l’éducation en une commodité comme les autres où l’usager doit assurer la grande partie des coûts, voire la totalité. Face à cette dichotomie, le maintien le plus bas possible des droits de scolarité tente de se coller à l’idéal de la gratuité. Si l’on délaisse le modèle social-démocrate, il y a fort à parier qu’on pave la voie à d’autres hausses éventuelles. Bien sûr, on est encore loin du modèle américain, mais, à l’heure des choix, il est clair que l’on s’inscrit certainement dans une logique qui pourrait nous en rapprocher lentement. Il est donc important de recentrer le débat autour des vrais enjeux et de percer l’écran de fumée que répand notre gouvernement depuis le début du conflit en affirmant que chacun, y compris les étudiants, doit faire sa juste part (sic), alors que d’autres solutions sont connues et pourraient être envisagées.

De la nature des universités

À notre avis ce conflit cache une autre question cruciale dont on parle moins, mais toute aussi importante, à savoir le rôle que doit jouer l’université dans notre société. L’université telle qu’on la connaît se définit comme un lieu où l’on doit favoriser le savoir sous toutes ses formes et où l’on met de l’avant la libre recherche et collaboration des étudiants et des professeurs dont l’objectif est l’avancement du savoir. Toutefois, ce modèle est aussi mis à mal par la pensée néolibérale. Désormais, nos dirigeants veulent une université arrimée au besoin du marché et au service des entreprises. Pour s’en convaincre on n’a qu’à consulter le plus récent budget fédéral, de même que les propos de certains recteurs de nos universités. Il s’agit d’une transformation profonde et fondamentale du rôle que sont appelées à jouer nos universités. Il va sans dire qu’avec une telle orientation certaines disciplines ont du mal à justifier ont du mal à tirer leur épingle du jeu.
Ce changement de vocation de nos universités est supporté par un discours alléguant le sous financement des universités. Loin de vouloir minimiser ce problème qui est probablement réel, il nous semble que l’ensemble des solutions n’a pas été envisagé avec sérieux ou du moins, s’il a été fait, n’a pas été soumis de façon claire et explicite à l’ensemble de la population. D’ailleurs, à vue de nez, il semble que d’autres avenues que celle de la hausse des droits de scolarité peuvent et doivent être envisagées. Encore une fois, il s’agit d’un choix de société, mais pour faire ce choix encore faut-il disposer de l’ensemble des éléments du dossier. À cet effet, les associations étudiantes ont fait part de certaines pistes que le gouvernement rejette de façon cavalière sans les considérer avec le sérieux qu’elles méritent et sans les soumettre à l’ensemble de la population. À notre avis, des états généraux sur le financement devraient constituer, en plus d’une d’être une approche raisonnable et démocratique, une première étape dont on ne saurait faire l’économie.

D’un écran de fumée à l’autre

Depuis le début du conflit, le gouvernement en place nous sert une rhétorique qui évite le fond du problème et qui ne fait que contribuer à l’enlisement de la situation. Au départ, on nous a servi la rhétorique de la juste part. Sous prétexte que chacun dans la société doit faire la part qui lui revient, le gouvernement a tenté avec un certain succès de faire avaler à l’opinion publique que les étudiants n’étaient rien d’autre que des enfants gâtés qui veulent le beurre et l’argent du beurre. Or, ne soyons pas dupes, les étudiants n’ont pas, au moment d’étudier, à faire un tel sacrifice et il existe d’autres moyens pour aller chercher leur juste contribution, en l’occurrence par l’entremise d’un impôt progressif.

Puis, suite au refus de dialoguer avec les étudiants et leurs représentants sur les questions de fond, l’impatience justifiée des militants étudiants s’est accrue au point d’être maintenant exacerbée pour faire place à certains gestes d’éclats. Depuis lors, le gouvernement a ajusté sa rhétorique et parle désormais de la violence de la part des étudiants et de sa nécessaire condamnation par ses différents leaders. La stratégie du gouvernement est claire et demeure la même : éviter les questions de fond et jeter le discrédit sur le mouvement étudiant. Malheureusement pour lui, plusieurs ne sont pas dupes. En fait, on passe d’un écran de fumée à l’autre espérant en bout de ligne casser le mouvement et le mettre à genou. Une telle stratégie relève du mépris et doit être dénoncée. Bien que les autorités en place parlent d’une violence inacceptable de la part des étudiants, il convient de pondérer (n’oublions pas que dans de tels cas la violence de la proie est souvent dénoncée par son prédateur). De tels gestes, quoique dans une certaine mesure répréhensibles, ne sont, au demeurant, rien d’autre que des gestes d’éclats qui reflètent un état de frustration légitime de la part de militants qui sacrifient depuis plus de neuf semaines leurs études au profit d’une cause qu’ils considèrent à juste titre noble. Le temps est venu, croyons-nous, pour le gouvernement de s’asseoir avec les représentants de toutes les associations étudiantes et ce, sans condition, pour écouter ce qu’ils ont à dire, afin que l’on sorte de cette crise.

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