Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats

La grande transition 21

Les axes du colloque

Si la crise de 2007-08 n’a pas mis fin aux politiques néolibérales, elle a néanmoins débouché sur une crise de légitimité du néolibéralisme. Ainsi, de nouvelles forces de contestation ont émergé : on peut penser au mouvement des places (Printemps arabe, Indignados, Occupy Wall Street), à #Moiaussi, à Black Lives Matter, à la lutte pour le 15$/h, aux vagues de grèves générales, sans oublier la montée de nouveaux partis de gauche. Toutefois, malgré un rejet clair des politiques néolibérales et certaines percées et avancées en ce sens, force est de constater que la crise n’a guère mis en déroute les élites politiques et économiques ; rien n’indique que les rapports de pouvoir sont en train de basculer durablement en faveur de la gauche ou vers un dépassement du néolibéralisme, et encore moins du capitalisme. La gauche vit même des ressacs importants dans plusieurs régions du monde, comme le montre clairement la montée des droites et de l’extrême-droite (ex : Trump, Bolsonaro, Modi, Le Pen).

« tiré » du site de la grande transition
https://lagrandetransition.net

Une des leçons politiques les plus profondes de la conjoncture actuelle est de mettre en lumière la crise de la gauche radicale. L’usage des termes « anti-racisme », « anti-capitalisme », « changer le système (pas le climat !) » ou « un autre monde est possible » exprime dans tous les cas une impulsion politique négative qui illustre la difficulté à formuler un projet positif, à la fois désirable, viable et possible. Lorsqu’on ose encore faire appel à la révolution, celle-ci apparaît dans le meilleur des cas comme un signifiant vide, et dans le pire des cas comme un référent hanté par le spectre de la violence étatique du « socialisme réellement inexistant ».

C’est pourquoi une tâches urgente de la gauche au 21e siècle est de s’atteler au travail de refondation d’une alternative à un monde plus que jamais façonné par des rapports sociaux patriarcaux, capitalistes et racistes. Les théories récentes en sciences sociales nous ont fourni des armes qui nous permettent de critiquer le système, mais qui nous laissent avec peu de repères politiques pour le remplacer. S’il est vrai qu’il y a eu, parallèlement à ce travail critique, des propositions de nouveaux modèles couplées à un renouveau des débats stratégiques, il n’en reste pas moins que ces propositions sont souvent trop peu connues et débattues.

Afin de passer des multiples résistances à une offensive convergente, il est impératif d’élaborer un véritable projet de transition hors du capitalisme en s’appuyant sur les savoirs critiques produits tant à l’université que dans les mouvements sociaux. La conférence internationale La Grande transition : Construire l’utopie invite donc les citoyens-nes de divers horizons, qu’ils et elles soient activistes, syndicalistes, membres actifs d’un parti politique, étudiant-e-s ou travailleurs-ses à réfléchir au renouvellement des débats de stratégie et à imaginer de nouveaux futurs, à partir de six axes :

  • Une économie pour tout le monde
  • Transformer notre rapport à la nature
  • L’anti-impérialisme dans un monde turbulent
  • Repenser la démocratie et le pouvoir
  • Décoloniser les savoirs
  • Lutter contre les oppressions

L’heure n’est plus aux bilans. Le monde en crise exige de nous un travail de construction d’utopies. La conférence a trois grands objectifs : (1) promouvoir les alternatives au capitalisme et aux différents systèmes d’oppression, (2) outiller les mouvements sociaux et les initiatives transformatrices en partageant des expériences et des savoirs et (3) renforcer les liens entre les milieux universitaires critiques et les organisations militantes, ainsi qu’entre les milieux francophones et anglophones.

***

Une économie pour tout le monde

Stratégies pour une réappropriation collective de l’économie : leçons des expériences passées et présentes

Plus de 10 ans après la crise de 2007-08, l’opposition au néolibéralisme persiste. Au-delà des stratégies de résistance, quelles sont les expériences (ex : production, logement, espaces urbains) qui préfigurent le développement d’une base économique autonome vis-à-vis du capital ? Quelles leçons tirer des coopératives ou nationalisations stratégiques autant récentes que passées, que ce soit sur le plan de l’autogestion, de la coordination à plus large échelle ou des limites structurelles rencontrées ?

Modèles alternatifs au capitalisme : démocratiser l’économie

Afin de contribuer à la formulation d’une alternative globale au système, cet axe vise à recenser et mettre en débat divers modèles (ex : socialisme démocratique, économie participaliste, écosocialisme, décroissance, municipalisme libertaire, « communs ») visant à rompre avec la double impasse de la social-démocratie et du socialisme bureaucratique et productiviste hérités du 20e siècle.

Quelles institutions et mécanismes permettraient une planification démocratique de l’économie ? Quels rôles subordonnés les marchés, la monnaie et la finance auraient-ils ? La socialisation des tâches domestiques serait-elle suffisante pour mettre un terme à une division du travail sexiste et raciste ? Si non, par quels mécanismes pourrait-on assurer un partage égalitaire des tâches effectuées nécessaires à la reproduction sociale, et comment serait-il possible de dépasser la ségrégation sexuelle et les ghettos d’emplois féminins/masculins qui structurent actuellement le marché du travail ?

Qu’est-ce qui devrait être décidé et pris en charge par les ménages, les lieux de travail, les quartiers, les municipalités, les régions, les espaces nationaux et internationaux ? Comment les richesses produites collectivement seraient-elles redistribuées afin d’enrayer les inégalités structurelles « Nord-Sud », et le racisme et la domination coloniale qui les accompagnent ? Quelles limites quantitatives et qualitatives devrait-on établir sur la production et la croissance afin de rendre écologiquement soutenable une économie alternative, et comment pourrait-on s’assurer que ces limites soient respectées ?

Transformer notre rapport à la nature

Stratégies pour la transition écologique

À l’opposé des fausses solutions marchandes et technologiques à la crise écologique, plusieurs communautés et groupes de personnes s’organisent pour défendre l’environnement et proposer de nouvelles façons d’habiter le territoire. Quelles leçons peut-on tirer des campagnes et actions passées ? La transition peut-elle favoriser une véritable convergence entre les mouvements syndicaux, écologistes, féministes, étudiants et autochtones ? Quelles sont les expériences en matière d’énergies renouvelables, de reconversion industrielle et de nouvelles formes d’habitation qui préfigurent une justice climatique ? Comment s’assurer qu’elles mènent à une transition juste, sans créer seulement des emplois verts “typiquement masculins” ni faire porter le fardeau de l’empreinte écologique aux pays de la périphérie ?

Modèles de communautés écologiques et soutenables

Plusieurs projets ont été conçus et réalisés pour répondre à la crise écologique. On pense par exemple aux réseaux de coopératives locales, aux réappropriations d’espaces et aux écovillages. Peut-on éviter que des dynamiques d’oppression soient reproduites dans ces espaces ? Comment inscrire ces projets locaux dans une perspective globale de dépassement du capitalisme ? Quels sont les points de convergence et de divergence entre les différents modèles (écosocialisme, écoféminisme, décroissance, etc.) mis de l’avant pour rompre avec le productivisme ? Quels apports ces courants peuvent-ils apporter à l’élaboration d’un mouvement démocratique de masse en faveur d’un “Green New Deal” ? À quoi ressemblerait une société réellement soutenable, écologique et juste ?

L’anti-impérialisme dans un monde turbulent

Stratégies pour combattre les impérialismes

L’impérialisme états-unien s’appuie encore aujourd’hui sur une supériorité militaire indéniable, mais aussi sur les outils-clés du capitalisme financiarisé.. Dans ce contexte, la gauche doit identifier les maillons faibles de l’empire et, de là, trouver des stratégies pour le combattre avec succès. Quelles sont les méthodes les plus efficaces pour s’opposer à l’impérialisme américain aujourd’hui ? Comment contribuer à l’émergence de grandes coalitions anti-impérialistes populaires et progressistes ?

L’impérialisme états-unien, secondé par ses alliés-subalternes (l’Union européenne, le Canada, le Japon) n’est plus le maître incontesté de la scène géopolitique. Des puissances dites “émergentes”, notamment la Chine, entrent en scène. Les stratégies anti-impérialistes actuelles doivent bien sûr éviter d’être instrumentalisées dans cette compétition inter-impérialiste. Comment appuyer les luttes qui confrontent ces “néo” impérialistes ? Comment éviter le piège qui consiste à penser que “l’ennemi de mon ennemi est mon ami” ?

Modèles alternatifs à l’impérialisme : construire l’internationalisme

Comment appuyer les luttes pour la paix, la démilitarisation, la dénucléarisation ? Comment repenser l’action humanitaire et la coopération internationale ? Comment combattre le dispositif militaro-industriel qui contamine l’économie ? Comment sortir de l’OTAN et reconstruire des alliances érigées sur les principes de la paix, de la coopération et de la solidarité ?

Enfin, comment soutenir les populations du Sud global qui luttent contre les pratiques prédatrices du capitalisme canadien, notamment dans l’industrie minière ? Comment s’attaquer à l’image progressiste dont jouit encore le Canada dans le monde, alors que le gouvernement canadien se fait complice de l’impérialisme, de la dépossession des territoires autochtones et de l’exploitation des sables bitumineux ?

Repenser la démocratie et le pouvoir

Stratégies de rupture démocratique

L’État capitaliste libéral limite la portée de la démocratie dans nos sociétés. Malgré des gains politiques importants, ce type d’État reste relativement étanche aux initiatives populaires en plus d’être dépendant du pouvoir économique de la classe capitaliste. Face aux politiques d’austérité et à la restructuration du capital, comment démocratiser nos mouvements et partis afin qu’ils stimulent des formes d’auto-organisation qui favorisent une radicalisation de la démocratie ?

Face à la montée des droites et extrêmes-droites qui menace ce qui reste des protections libérales-démocratiques, quelles stratégies sont employées et doivent être adoptées pour défendre et surtout approfondir les droits et libertés ? Quelles stratégies adopter pour passer d’un État bureaucratique et disciplinaire à un État réellement démocratique, ouvert aux demandes populaires et qui facilite l’autogestion des communautés et des lieux de travail ? Quels sont les défis d’une telle rupture démocratique ? Quelles sont les expériences qui ont le mieux jeté les bases d’une future planification démocratique de l’économie et de la société ?

Modèles alternatifs d’exercice du pouvoir

Qu’est-ce qui distingue les projets de démocratie radicale, participative et socialiste ? Quel héritage nous lèguent les traditions conseillistes, libertaires et communistes pour repenser la démocratie ? Quelles sont les propositions innovantes à cet égard ? Comment favoriser une démocratie inclusive qui évite de reproduire la marginalisation des groupes historiquement exclus ou sous-représentés dans les instances décisionnelles ? Comment repenser la représentation politique, de la réforme des modes de scrutin au tirage au sort, en passant par la révocation des élu.es ? Comment imaginer des formes de délégation suffisamment fermes pour assurer un respect des mandats attribués (ex : mandats impératifs), mais suffisamment souples pour permettre une pleine participation au processus de délibération ?

Décoloniser les savoirs

Stratégies de luttes autochtones et décolonisation

Les peuples autochtones sont bien souvent sur la ligne de front en ce qui concerne la résistance aux impacts du capitalisme et de l’économie extractiviste. Qu’il s’agisse de contester le passage d’oléoducs, la fracturation hydraulique, ou encore de protéger les cours d’eau (avec le mouvement des Water protectors), ils ont une importante expérience de défense du territoire et des entités qui l’habitent. Ces luttes s’inscrivent dans une perspective de décolonisation des territoires, des savoirs et des formes d’organisation sociale. Quelles solidarités sont à construire et de quelles façons ? Quels rapports, tendus et féconds, ces luttes ont-elles avec d’autres courants socialistes tiers-mondistes et anti-racistes à travers le monde ?

Modèles alternatifs : vers un monde post-colonial et post-capitaliste

Le colonialisme s’est construit à travers la marginalisation des savoirs et des formes de vie sociale non-occidentales. Or, les pratiques et les systèmes de pensée aujourd’hui mis de côté pourraient jouer un rôle de premier plan dans la construction d’un monde post-colonial et post-capitaliste. On peut penser par exemple au Sumak Kawsay en Équateur. En quoi les systèmes économiques, politiques et légaux qu’ont développés divers peuples autochtones peuvent-ils contribuer à l’élaboration d’alternatives au système actuel ?

Bien que le colonialisme et le capitalisme partagent certaines dynamiques, ils se distinguent également par leurs particularités. Jusqu’à quel point les luttes contre ces deux systèmes se recoupent-elles et peuvent-elles être solidaires ? Afin d’inspirer les luttes contre le capitalisme, est-il possible d’apprendre des projets décoloniaux sans tomber dans l’appropriation de ces projets ?

Lutter contre les oppressions

Stratégies multiples face à la multiplicité des oppressions

Notre monde est façonné par la co-constitution de multiples rapports d’oppression et d’exploitation. Afin de les déconstruire et de les dépasser, on constate la croissance d’un ensemble de pratiques qui contestent l’ordre colonial, sexiste et raciste dont le capitalisme est tributaire jusqu’à aujourd’hui. Devant l’augmentation des violences sexuelles, les nostalgies coloniales décomplexées ou les taux disproportionnés d’incarcération affligeant les communautés racisées, des résistances locales et transnationales se multiplient.

Quelles stratégies sont mises en place et quels outils sont mobilisés pour faire face à l’arrivée au pouvoir de gouvernements ouvertement xénophobes et souvent misogynes, homophobes et transphobes ? Quels bilans tirer des vagues récentes de luttes féministes (ex. #MeToo, Google Walk-Outs, grève internationale des femmes, mouvements pour légaliser l’avortement en Amérique du Sud et ailleurs) et de luttes anti-racistes (ex. Black Lives Matter, Abolish ICE, lutte contre l’appropriation culturelle au Québec) ? Peut-on s’inspirer des gains récents des mouvements de défense des droits des personnes trans et non binaires ? Quelles sont les perspectives de convergence, notamment avec d’autres mouvements (ex. Fight for 15$) ? Quelle posture la gauche doit-elle adopter pour lutter efficacement contre la militarisation des frontières, les déportations et les politiques migratoires inhumaines ? Quelles stratégies peut-on envisager pour en finir avec les violences sexuelles subies par les femmes et les personnes marginalisées ou vulnérables ? Comment soutenir les luttes basées sur l’auto-organisation et l’auto-émancipation des différents groupes opprimés ?

Modèles alternatifs : construire des sociétés libérées de l’oppression

À quels futurs se réfèrent les différentes luttes féministes, LGBTQ+ et antiracistes menées dans le présent ? Quelles expériences et initiatives mettent en pratique et préfigurent une réelle compréhension de la différence ? Comment imaginer les relations humaines dans une société libérée des contraintes du patriarcat et de l’hétéronormativité ? Quelles transformations apporter à notre système de justice, pour en finir avec les fondements sexistes et racistes de l’État de droit ? Quelle serait une politique migratoire progressiste respectant la liberté de circulation et le le principe “Personne n’est illégal” ? Comment construire une sexualité libérée de la contrainte sexuelle, des stéréotypes et des pratiques sexistes, racistes, homophobes et transphobes ? Et comment repenser les contours de la communauté sur des bases inclusives et internationalistes ?

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