Qu’est-ce qui pousse une police à violenter un homme qui n’avait commis comme seule faute, selon les témoignages, d’avoir circulé en sens inverse ? En attendant l’enquête biaisé de la police sur la police, attardons-nous sur les causes qu’elle ne mentionnera jamais.
Il convient donc de réfléchir sur l’hystérie anticycliste qui s’est propagée dans certains médias au cours des dernières années. À Québec, certains animateurs de radio agitent leur clientèle automobiliste contre le vélo urbain. Les tribunes en ondes et les réseaux sociaux ont attisé un défoulement collectif contre les cyclistes en les associant à des délinquants, des marginaux ou des profiteurs (ils entravent une route qu’il ne paye pas !). On supplie la police de discipliner ces dangereux abrutis. Cette obsession contre le vélo est apparue d’autant plus absurde le 3 septembre, car la police a démontré que c’est l’auto qui est, au sens strict, une arme létale.
Il faut aussi s’attarder sur la gentrification de Saint-Roch souhaitée par les autorités politiques et les gens d’affaires. Le développement économique de la basse-ville s’est appuyé sur le remplacement progressif des personnes pauvres ou défavorisées par des citadins disciplinés qui consomment, habitent et travaillent selon les paramètres bourgeois. Le phénomène a touché les quartiers centraux de Québec et de Montréal, au cours des dernières décennies. Les moins nantis des quartiers populaires y ont-ils encore une place ?
Au cours des deux dernières décennies, Saint-Roch a été « embelli », son économie « revitalisée » et sa communauté « démarginalisée ». Les grosses poches n’aiment pas les poqués ! De manière lente et insidieuse, les soubassements de la basse-ville, jeunes décrocheurs, prostituées et itinérants se font tasser, piétiner, museler et criminaliser. La mort tragique de Guy Blouin n’est qu’un épisode d’une longue série d’attaques, de harcèlements et de répression contre les subordonné-es du centre-ville. Ça fait des années qu’on s’inquiète du climat de méfiance entre la police et les résidents de Saint-Roch. Les accrochages entre police et citoyens ont une longue histoire invisible et anonyme.
Nous devrons méditer sur le sort de la basse-ville. La laideur de Québec s’est fait extirper et se fait remplacer par une minorité très visible, mieux éduquée et plus nantie. Avec le changement de décor, l’investissement privé déroule et les constructions neuves pullulent, hébergeant les condos et les beaux restos. Pendant ce temps, les logements sociaux et abordables se construisent au compte-goutte, obtenus par la lutte incessante d’une poignée de militantes et militants, qui ont encaissé eux aussi leur lot de matraques. Du reste, la tendance est de voir les logements sociaux de plus en plus souvent construits hors des quartiers centraux. L’ouvrier, la monoparentale, le chômeur ou la serveuse, bref la majorité populaire de Saint-Roch, cherche en vain l’appart pas cher qui n’existe plus ou attend sur la liste interminable le HLM qui n’arrive jamais.
Rôder aux alentours de la rue Saint-Joseph et du boulevard Charest est sans doute plus convivial qu’il y a vingt ans. La vie culturelle et artistique, par ailleurs expulsée de la trappe à touristes qu’est devenu le Vieux-Québec, anime un « nouvo » quartier qu’autrefois on dénigrait pour ses cinémas crasseux. Mais la conversion a aussi fait disparaitre plusieurs rêves communautaires comme l’Îlot fleuri, tandis que Radio Basse-Ville mange ses bas pour survivre.
Dans les recoins, on trouve encore des indésirables indécrottables... Que la police s’en charge ! Sus aux BS et aux chômeurs qui pourrissent sans honte leur journée sur la place publique ! Disparaissez itinérants, junkies ou crottés, bêtes noires des commerçants ! Écrasez cet ouvrier qui passe trop de temps à perdre son temps.
Antoine Casgrain
L’auteur est originaire de Québec. Il fait un doctorat en études urbaines à l’Université catholique du Chili et est membre du réseau de recherche Contested Cities.