Le dénombrement tente de circonscrire à l’aide d’un simple chiffre toute la complexité du phénomène de l’itinérance. Polaroid imparfait de la réalité d’un soir, l’exercice de dénombrement ne permet de rejoindre que les personnes qui se trouvaient à ce moment dans la rue ou dans une ressource offrant de l’hébergement d’urgence. De 3016 personnes comptées en 2015, ce sont 3149 personnes en situation d’itinérance qui auraient été comptées en avril 2018 à Montréal.
« La légère hausse de l’itinérance qu’indique le 2e dénombrement reflète mal l’ampleur du phénomène, de même que son aggravation. Tant dans les ressources que dans la rue, et ce dans un nombre croissant de quartiers, l’itinérance est à la hausse à Montréal, ce que ne démontre pas le dénombrement », fait valoir Pierre Gaudreau, directeur du RAPSIM.
Les visages oubliés de l’itinérance
De nombreuses personnes vivent de l’itinérance cachée à Montréal, c’est-à-dire qu’elles sont logées dans un lieu inadéquat qui n’offre aucune sécurité d’occupation (en « couchsurfing », dans un logement insalubre ou surpeuplé, une chambre de motel, une voiture, chez un client, etc.).
En négligeant de prendre en compte les réalités de ce large segment de la population itinérante, les données dévoilées aujourd’hui ne fournissent qu’une vue partielle de l’ampleur du phénomène.
Les femmes sont parmi les plus susceptibles d’échapper à l’exercice d’un dénombrement, alors qu’elles sont bien souvent en situation d’itinérance invisible. En 2015, seulement 25 % des personnes itinérantes comptées étaient des femmes. Le deuxième dénombrement de l’itinérance parvient lui aussi à des résultats similaires. Il s’agit d’une sérieuse sous-estimation, comme l’indiquent plusieurs autres indicateurs fiables. Statistiques Canada, dans une étude sur l’itinérance cachée, révélait par exemple en 2016 que les femmes étaient presque aussi nombreuses à avoir vécu une telle situation que les hommes.
Un indicateur très limité
La petite hausse du nombre de personnes itinérantes comptées par rapport aux résultats du 1er dénombrement ne permet d’inférer aucune conclusion quant à l’évolution de l’itinérance à Montréal, et ce, même si l’on s’intéresse uniquement à sa dimension visible. Il est impossible d’établir un portrait de la situation globale de l’itinérance en n’analysant qu’un soir de l’année.
À savoir si l’itinérance est en progression ou en déclin à Montréal, d’autres indicateurs permettent de se faire une idée plus juste de la question. En 2018, les refuges pour hommes ont offert plus de de 230 000 nuitées, une hausse de 10%, et l’unité de débordement d’urgence ouverte cet hiver à l’hôpital Royal-Victoria accueille en moyenne près de 65 hommes chaque nuit.
La Rue des Femmes a accueilli plus de 300 nouvelles femmes à la Maison Jacqueline dans la dernière année et le Refuge des jeunes de Montréal aide plus de 600 jeunes hommes différents par an, autant de données qui démontrent une hausse de l’itinérance sur une base annuelle plutôt que ponctuelle.
Un mauvais guide
Pour le RAPSIM, le dénombrement est un indicateur parmi d’autres et, par conséquent, ses résultats ne doivent pas servir de seul guide pour l’orientation des investissements en itinérance.
Pour pouvoir efficacement lutter contre le phénomène et arriver à contrer son aggravation, les fonds doivent être orientés vers des actions qui visent la sortie de rue autant que la prévention, et ce, sur plusieurs axes (pauvreté, logement, insertion sociale, santé et judiciarisation).
« Les investissements dans la lutte à l’itinérance doivent certes permettre de répondre aux besoins des personnes comptées, mais aussi aux situations de celles moins visibles, notamment des femmes, mais également des hommes, des jeunes et des personnes âgées, des Autochtones et des personnes immigrantes », conclut Alice Lepetit, organisatrice communautaire au RAPSIM.
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