Le front du pétrole...
L’événement de l’année n’est pas le double attentat terroriste de Richelieu et d’Ottawa, ni l’affaire Ghomeshi, c’est la prise du pouvoir au Québec par les Libéraux de Philippe Couillard. On ne l’avait pas vu venir, mais il s’agit de bien plus qu’une simple alternance des partis traditionnels au pouvoir et qu’un désaveu du Parti québécois et de la souveraineté.
L’offensive des NéoLibéraux
Tout se passe en fait tel que prévu. L’objectif des NéoLibéraux, ici comme ailleurs, est clair : c’est la mainmise de grandes entreprises intégrées sur l’ensemble des ressources et la concentration de la richesse entre les mains d’un groupe de plus en plus restreint de joueurs.
Pendant des années, les NéoLibéraux ont mis en place tous les outils pour y parvenir : le contrôle de la monnaie par les banques privées, l’endettement des États et des particuliers, les agences de notation, la spéculation boursière, les outils de contrôle économique internationaux (OMC, BM, FMI, G8 et G20, ententes de libre-échange), la légalisation de l’évasion fiscale, les baisses d’impôt pour les entreprises, la rémunération des dirigeants exempte d’impôt, le contrôle des richesses naturelles, l’or noir et les pétrodollars, le blocage des protocoles de réduction des gaz à effet de serre, l’encerclement de la Russie par l’OTAN, la guerre contre le terrorisme, le contrôle des médias de communication et des partis politiques dans le but de contrôler les élections et les gouvernements, etc.
Les NéoLibéraux sont maintenant parvenus à la « solution finale » : le démantèlement de l’État providence ou redistributeur de la richesse, de l’État social, au profit d’un État purement contrôleur au service des intérêts économiques. On s’attaque donc aux dépenses de l’État, et par le fait même, aux services qu’il dispense, de façon à ramener ces services le plus possible dans la sphère marchande de l’entreprise privée.
Le mantra est simple : nous n’avons plus les moyens de nous payer collectivement tous ces services. Nous n’avons pas le choix de réduire les dépenses et la taille de l’État, de couper dans les emplois, les salaires et les services, d’exiger des utilisateurs une plus grande contribution, de préserver l’économie avant l’environnement. C’est la loi de la juste part, le principe de l’utilisateur-payeur, l’arme de la tarification, l’éloge de la privatisation, le dogme de la primauté absolue des intérêts économiques. La plupart des économistes et analystes se font les prédicateurs de cette nouvelle religion des chiffres désormais bien implantée dans les médias et les écoles supérieures. Ils appellent ça l’austérité ou la rigueur budgétaire. En fait, à travers l’État, c’est le peuple qui est visé, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de pouvoir si ce n’est celui de travailler pour ces grands patrons et de consommer leur camelote. La vérité, c’est que la richesse produite se concentre de plus en plus entre les mains de quelques-uns et que ce sont précisément ces riches qui ont appauvri l’État et qui veulent maintenant appauvrir et endetter encore davantage les citoyens de tous niveaux. Et nous livrer tous sans défense aux conséquences inestimables du réchauffement de la planète et de la destruction des ressources indispensables à la survie de notre espèce.
Cette « solution finale » est à l’oeuvre déjà depuis quelques années en Europe, où des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et même la France sont soumis aux politiques dévastatrices de l’austérité. Au Québec, les Libéraux ont toujours été les porteurs du projet néolibéral, mais le gouvernement Couillard, qui a pris le pouvoir en 2014, marque un tournant décisif. Avec Couillard, Coiteux, Leitao, Daoust, Barrette, Bolduc, nous avons affaire au jeu de puissance : on est loin de nos petits libéraux maison, indigènes et magouilleurs, les Normandeau, Beauchamp, Fournier, Moreau et même Charest, qui font figure désormais de valets de service. Les nouveaux maîtres sont riches, indépendants de fortune, banquiers, insensibles, ambitieux, arrogants, apatrides, ils sont issus des lignes majeures de la finance et ont peu de choses en commun avec le peuple québécois : ils sont en mission commandée, pour les banques, pour les pétrolières, pour les intégrateurs, mondiaux ou fédéraux, pour les lobbies, pour les riches. Ils sont dangereux, psychopathes même. En quelques mois, ils ont fait des dommages considérables à l’État et au peuple québécois, à notre système de santé, d’éducation, de garderies, à notre fonction publique et à nos institutions culturelles, aux familles, aux régions, aux retraités, à notre volonté collective de favoriser une société distincte par sa culture française, sa solidarité sociale et son souci de préserver son territoire, particulièrement son fleuve. Et ce n’est que le début, car s’ils ont un cœur, ils ne l’ont pas à la même place que nous.
La réponse du peuple québécois
Dans un premier temps, il est normal que la majorité des Québécois se soit montrée favorable à des mesures pour éliminer la bureaucratie, le gaspillage, la corruption et le conservatisme qui ne cessent d’alourdir les charges qu’on impose aux contribuables. Tout le monde convient que des mises à jour importantes s’imposent un peu partout mais convient également qu’il faut réformer et non détruire. Des signes évidents sont apparus au cours des derniers mois qui indiquent que la guerre déclarée au peuple par le gouvernement Couillard risque fort de mal tourner. À mesure qu’ils sont atteints dans leur vie concrète, les citoyens, les réseaux, les institutions, les régions se mobilisent, s’insurgent : pompiers, cols bleus, centrales syndicales, médecins, professeurs, fonctionnaires, garderies, municipalités, régions, groupes communautaires et comités de citoyens, conservatoires de musique, revues scientifiques, couples infertiles, etc. À peine 16% des Québécois croient encore que les Libéraux atteindront l’équilibre budgétaire et plus de la moitié ne croient plus à la « nécessité absolue » d’accorder le droit de passage au pétrole des sables bitumineux. Le retournement imprévisible de l’opinion publique qui s’est produit dans le dossier du pétrole, des oléoducs, du port de Cacouna, des gaz de schiste est un signe avant-coureur de la résistance en profondeur d’un peuple issu, on a tendance à l’oublier, de la Révolution tranquille. La réponse des citoyens à la mise de Gabriel en témoigne : c’est un événement marquant de l’année selon moi.
Et tout porte à croire que la colère ne fera qu’augmenter. Les coupures annoncées ne sont pas encore faites et risquent de rapporter beaucoup moins que prévu au gouvernement. Par contre, les pertes d’emplois, les coupures de salaire et de services, les hausses de tarifs, s’ils font l’affaire des patrons dans l’immédiat, vont infailliblement affecter le pouvoir d’achat des consommateurs et donc la croissance économique. L’endettement est à son plafond et, sans argent pour acheter la production, l’économie s’effondre. La crise sociale, économique et finalement politique est inévitable. La résurgence, ici et ailleurs, d’un djihad extrême, est à sa façon une manifestation violente de ce désespoir vis-à-vis cette guerre néolibérale contre le peuple, bien plus qu’une conversion religieuse au Coran. À nous de prendre l’initiative d’une vraie solution, celle de l’espoir et non du désespoir.
Les voies de sortie de crise
Les petits despotes comme ceux qui nous gouvernent en ce moment ne savent pas reculer : ils ont perdu la tête et vont s’entêter dans leurs certitudes : leur chef, Philippe Couillard, ne les contrôle déjà plus. L’affrontement est inévitable. À Ottawa, les conservateurs de Harper, qui sont les néo-libéraux de service, risquent fort d’être réélus, grâce à la division et à la faiblesse de l’opposition. La course au pétrole sale continuera des plus belles, en dépit des surplus de pétrole en ce moment, et nous risquons fort d’en subir les conséquences.
Au Québec, la seule inconnue politique est l’arrivée de Pierre Péladeau à la tête du Parti québécois, avec la souveraineté comme objectif premier. Ce nouveau joueur, dont l’appui populaire, mais aussi le statut, sont sans précédent, peut modifier la trajectoire de tous les acteurs en présence : il représente une possibilité, la dernière sans doute, de débloquer l’impasse du statut politique du Québec, sans toutefois apporter de réponse définitive à l’impasse du néolibéralisme.
Je ne vois pas d’autre voie satisfaisante de sortie de crise qu’ un recours à la souveraineté du peuple, s’exprimant par une assemblée constituante non partisane, pour permettre une réforme en profondeur de nos institutions démocratiques (économiques, sociales et politiques) et une reprise effective du pouvoir par le peuple, et pour inscrire ces nouvelles règles du jeu dans une première véritable constitution démocratique du Québec. Et cela, c’est une Révolution...tranquille espérons-le, mais c’est la seule véritable solution.
Roméo Bouchard, citoyen constituant, Saint-Germain-de-Kamouraska. 27 décembre 2014.