« Les autorités nous soulignent chaque jour l’importance de soutenir les personnes en situation de précarité et remercient les travailleuses et travailleurs communautaires qui maintiennent leurs services. Il est temps de passer de la parole aux actes et de reconnaître que les mesures annoncées, qui tardent à être déployées, sont insuffisantes et ne permettront pas de faire face à la grave crise qui se dessine dans le milieu de l’itinérance », a soulevé Annie Savage, directrice par intérim du RAPSIM.
En quelques jours seulement, de nombreuses ressources ont été appelées à fermer ou à restreindre leurs services au minimum, afin de pouvoir respecter les consignes de santé publique. Tous les services sont pour l’instant affectés : l’hébergement d’urgence, le dépannage alimentaire, les sites d’injection supervisés, l’accès à des soins de santé, etc.
Les organismes communautaires, qui font des pieds et des mains pour demeurer présents auprès des personnes qui nécessitent leurs services, font face à des enjeux qui vont au-delà de ce qu’ils peuvent affronter seuls. De manière non exhaustive, les difficultés rencontrées par les organismes en itinérance comprennent :
– L’absence d’endroit où référer une personne en situation d’itinérance qui présente des symptômes du virus ;
– Le manque d’espaces d’isolement adaptés aux personnes en situation d’itinérance en attente de diagnostic et à celles qui sont touchées par le virus ;
– Des interventions policières accrues dans les lieux publics pour demander aux personnes de circuler. Les personnes en situation d’itinérance qui trouvent refuge dans des stations de métro se font systématiquement expulser ;
– Le manque d’options de transport pour déplacer les personnes en situation d’itinérance vers les unités de débordement hivernales relocalisées ;
– Des inquiétudes croissantes au sein des équipes qui interviennent sur le terrain quant à leur propre santé ;
– Un manque d’effectif, de véhicules de transport et d’équipement adapté pour opérer les services essentiels par les organismes ;
– Un achalandage accru dans les ressources qui demeurent ouvertes, ce qui complique davantage la mise en place de mesures préventives ;
– Le besoin d’îlots sanitaires temporaires composés de toilettes et de lave-mains dans des secteurs autres que le centre-ville ;
– Un manque de matériel de protection : masques, gants, produits désinfectants et gels antiseptiques ;
– Un manque d’espaces d’hébergement et de répit de jour, dans lesquels il est possible de respecter les mesures de distanciation sociale recommandées ;
– L’inquiétude que les personnes vulnérables ne puissent bientôt plus se procurer leurs biens essentiels avec l’argent comptant.
Pour faire face rapidement à ces difficultés, il sera nécessaire que les gouvernements provincial et fédéral dégagent les ressources financières, matérielles et humaines qui sont à leur disposition. Dans d’autres villes canadiennes, comme Vancouver, Calgary et Fredericton, les autorités ont mis la main sur des hôtels ou des établissements scolaires désormais vacants pour héberger les personnes en situation d’itinérance. À Montréal, aucune mesure en ce sens n’a pour l’instant été annoncée.
Il faut cesser de prétendre que les mesures de prévention recommandées sont applicables dans les organismes qui assurent des services essentiels aux personnes sans-abri. Lorsqu’il ne s’agit pas de contraintes d’espaces (comme c’est le cas pour de nombreuses ressources), ce sont les réalités mêmes du travail d’intervention qui rendent difficiles le respect de ces mesures. Comment garder une distance de deux mètres d’une personne en état de crise qui nécessite de l’intervention psychosociale ? Comment assurer les mesures de prévention lorsqu’une personne avec des symptômes se présente à la porte et qu’elle n’a nulle part où aller et rien à manger ?
À l’heure actuelle, les organismes en itinérance ont déjà usé de tous les moyens qui étaient à leur disposition pour adapter au mieux leurs installations. La plupart d’entre eux sont présentement à court de matériel de protection, comme des masques et des gels antiseptiques. Quelques-uns sont en attente des résultats des tests de dépistage effectués par certain.e.s de leurs employé.e.s et des personnes qui utilisent leurs services. Tous, sans exception, attendent avec impatience que les fonds d’urgence annoncés par les différents paliers de gouvernement et Centraide du Grand Montréal soient déployés.
« La plupart des organismes continuent à maintenir les liens avec les personnes de notre communauté grâce au travail de rue. Ce service est essentiel pour informer les personnes des mesures à prendre pour limiter la propagation du virus, distribuer du matériel de consommation, offrir du support aux jeunes et aux citoyens isolés et agir en complémentarité avec les banques alimentaires et les hébergements afin d’assurer leur sécurité. Qu’adviendra-t-il si plusieurs travailleuses et travailleurs de rue ne peuvent plus offrir ce service en raison de la pandémie ? », a alerté Martin Pagé, président du RAPSIM et directeur général de l’organisme Dopamine.
La mesure annoncée jeudi par le gouvernement du Québec visant à mailler les personnes qui souhaitent faire du bénévolat aux organismes de tous les secteurs qui ont des besoins en ce sens est certainement bienvenue. Mais il est important de noter que l’intervention auprès des personnes en situation d’itinérance exige un niveau de compétence spécifique. Cela est d’autant plus vrai pendant la crise actuelle, alors que ces personnes subissent de plein fouet les répercussions des difficultés mentionnées plus haut. Elles se retrouvent donc davantage désorganisées, ce qui demande une expertise allant au-delà des capacités d’un.e bénévole.
Nos travailleur.euse.s du milieu communautaire montréalais en itinérance s’attendent à un support bien plus grand et plus rapide de la part des gouvernements afin de réussir à absorber les effets de cette pandémie.
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