Publié le 1 février 2017
La collusion entre un certain féminisme et la violence sexuelle
Dans un bureau de la banlieue de Canberra, Susan1 regarde solennellement vers le tapis. À quelques pieds, son conseiller matrimonial pose ses yeux sur elle. Susan explique et plaide que l’utilisation de pornographie de son mari la bouleverse.
Et cela dépasse son utilisation. Ces derniers temps, il s’attend à obtenir ce qu’il voit dans les films porno. Il est non seulement douloureux émotionnellement d’être confrontée à l’utilisation du porno de son mari, mais c’est aussi à la limite de la douleur physique pour elle.
Nécessaire depuis longtemps, le débat sur la pornographie est aujourd’hui en progression. Des articles récents ont évalué ses impacts sur les consommateurs et sur l’ensemble de la société. Cela arrive à un moment critique où la violence sexuelle, comme les violences conjugales, sont en hausse en Australie où rien que cette année, 48 femmes ont déjà été assassinées2. Le lien entre la pornographie et la violence conjugale a été brièvement abordé, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Les jeunes filles consultent leurs médecins généralistes pour des blessures sexuelles et fissures anales, en grande partie parce que leurs petits amis s’attendent à vivre l’expérience des vedettes du porno. En réalité, le fait de penser avoir droit à certaines expériences sexuelles demeure prépondérant chez les jeunes hommes. Malheureusement, ce conditionnement culturel se traduit par une augmentation des crimes sexuels sur les jeunes enfants (filles) perpétrés par d’autres enfants (garçons).
Ces questions ont conduit à une série de discussions à propos de la violence sexuelle. À cet effet, le manque de soutien de la part du gouvernement a été soulevé, ainsi que le rôle de l’éducation, des médias, des parents et de normes sociales problématiques.
Naturellement, la pornographie est également examinée, car elle est devenue une dimension de la vie quotidienne. Des sites tels que Brazzers et RedTube sont couramment consultés par des enfants âgés d’aussi peu que onze ans et par des adultes, de la chambre à coucher à la salle de classe ou au bureau, et sont même recommandés par certains thérapeutes. Les effets sont marqués sur les jeunes et plusieurs adultes déclarent que leur partenaire utilise voir exige ce qu’il y voit.
De retour dans le bureau du thérapeute à Canberra, Susan, qui m’a écrit son histoire après avoir lu un de mes articles, sent que sa demande de validation a été minée, non seulement par son mari, mais aussi par son conseiller. Son thérapeute fait écho à son mari, « Pourquoi ne pas vous défaire de ces inhibitions, Susan ? Il y a aussi de la bonne pornographie. Peut-être pourriez-vous l’apprécier si vous en regardiez. »
Avec la complexité des problèmes entourant la contrainte sexuelle et la violence, plusieurs sont à la recherche de solutions. Et si nous offrions une meilleure éducation sexuelle ? Et si nous redonnions de l’autonomie aux femmes en leur procurant plus de plaisir sexuel ? Et si nous faisions de la pornographie féministe ?
En dépit des preuves des dommages causés par la pornographie, le déni se poursuit. Les statistiques démontrent que près de 90 % des films pornographiques populaires contiennent de la violence faite aux femmes. De plus, une méta-analyse montre que l’exposition à la pornographie provoque une augmentation des attitudes d’acceptation de la violence et du viol. Bien que la recherche sur les dommages de la pornographie soit rejetée avec ferveur, paradoxalement, il y a beaucoup d’engouement à propos de l’influence positive de la pornographie dite « féministe ». Apparemment, c’est ce que recommande le conseiller de Susan.
La pornographie féministe, nous chante le refrain, est une question d’égalité, de plaisir et d’autonomisation. Les autres définitions qui en sont données utilisent l’objectif du capitalisme conscient : selon le pornographe « féministe » Tristan Taromino, la porno féministe est « biologique et de commerce équitable ».
La définition de Taromino marque un point. Les produits biologiques et de commerce équitable sont inaccessibles à la grande majorité, qui a besoin d’un pouvoir d’achat élevé, d’éducation et de motivation pour y accéder. En outre, Taromino note que la pornographie n’est pas uniquement un produit, mais aussi un échange commercial. En effet, l’industrie exerce un grand pouvoir de pression et détient un poids politique considérable.
Les pornographes et leurs partisans ne sont pas les premiers à croire qu’une industrie nuisible de plusieurs milliards de dollars puisse être rendue éthique avec la modification de quelques détails en interne. Il existe depuis longtemps une tendance à faire paraître les industries non éthiques comme étant éthiques.
L’industrie de la beauté n’a qu’à financer des initiatives « d’acceptation de son corps » inspirantes s’adressant aux femmes pour que celles-ci aient l’impression de se sentir bien et achètent leurs produits. Les compagnies pétrolières n’ont qu’à ironiquement peindre en rose leurs perceuses d’extraction de gaz de charbon pour prétendre combattre le cancer du sein. Et ainsi, tout ce dont a besoin l’industrie du porno c’est de proposer des genres ‘divers’ pour contrer les dommages causés aux consommateurs et à leurs partenaires, et rendre invisible l’exploitation qui sous-tend la réussite du secteur.
Le problème avec les initiatives de « changements de l’intérieur », comme celle de la porno « féministe », c’est que des modifications mineures ne font rien pour régler l’impact total de l’industrie. L’ancien professeur de Yale, William Deresiewicz, disait en ces mots : « Ce qui commence aux confins reste aux confins… Contre l’immense puissance de la richesse organisée des Walmart, Goldman Sachs, frères Koch et autres, le modèle de la petite entreprise a bien peu de poids. Nous n’allons pas résoudre les problèmes du monde par plus de vente. »
La génération « Tout se vend » soutient qu’avec chaque problème vient une solution commerciale. L’argument du porno féministe suppose que l’accomplissement sexuel repose sur un produit de consommation. Elle reflète toutefois le peu de progrès réalisé en matière de sexualité au cours des dernières décennies. Il semble que la révolution sexuelle ait propulsé l’industrie du sexe, mais bien peu d’autres choses. Bien que la pornographie constitue plus du quart de toutes les recherches sur internet, et que le sexe soit le métalangage derrière une grande partie des médias, les comportements sexuels n’ont guère évolué.
Malgré la colère des féministes, la discussion sur la violence masculine est souvent détournée par le commentaire « tous les hommes ne sont pas ainsi ! Qu’en est-il des hommes qui sont gentils ? », pourtant, nombre de féministes utilisent le même genre d’argument pour défendre la pornographie. « Qu’en est-il de la bonne pornographie ? », tout comme « mais qu’en est-il des hommes gentils ? », ne fait que miner les questions que les femmes et les jeunes filles tentent de soulever.
Il existe évidemment une diversité de porno, avec les millions de films produits, la diversité est inévitable. Et en effet, certaines femmes apprécient la pornographie. La plupart des gens prennent plaisir dans des habitudes nuisibles pour eux, tels que l’alcool, le tabac ou la drogue. Les femmes n’ont pas l’impératif moral de soutenir seulement les industries qui servent le féminisme.
Si l’objectif des progressistes est d’augmenter le positivisme sexuel, alors une condition préalable essentielle est de mettre fin à la contrainte sexuelle et à la violence. Pourtant, la contrainte sexuelle et la violence sont ce qui rend la pornographie si attrayante et excitante pour ses consommateurs.
En tant que neuroscientifique, Ogi Olgas dit concernant la pornographie féministe : « Ce qui est fascinant, c’est que beaucoup de femmes font la promotion de l’idée de la porno féministe et socialement veulent y croire. Les militantes affirment qu’il y a un besoin pour davantage de cette forme de porno, des femmes la soutiennent en public… Par contre, quand elles se retrouvent dans leur intimité, ce n’est pas ce qu’elles ont envie de regarder. »
En effet, les femmes, les hommes et les enfants sont attirés par des types de pornographie moins ‘consciencieux’. Selon Pornhub 2014, ‘adolescentes’, ‘MILF’ (mères que je voudrais baiser/mothers I’d like to fuck), ‘anal’ et ‘brutalité’ sont parmi les catégories les plus recherchées par les femmes, de façon similaire à ce que recherchent les utilisateurs masculins.
Une industrie commerciale ne peut de façon réaliste mettre fin à des pratiques nuisibles lorsque ces pratiques sont nécessaires pour faire des profits. Plutôt que de changer l’industrie en mieux, des concessions symboliques, telles que la porno « féministe », sont utilisées pour légitimer l’absence d’éthique dans l’ensemble de l’industrie. En outre, ces concessions servent à faire taire le débat sur les impacts plus fondamentaux. Il s’agit d’une forme de blanchiment utilisé pour masquer et maintenir les dommages.
L’industrie du tabac n’a pas l’intention de mettre fin à la dépendance au tabac, l’industrie pétrolière a grand intérêt dans la dépendance aux combustibles fossiles, le secteur de la beauté se nourrit de l’insécurité des femmes, et l’industrie de la pornographie a besoin de l’insatisfaction sexuelle, de la déconnexion et de l’exploitation afin d’augmenter ses revenus. En bout de ligne, cette industrie opère par une doctrine commerciale, et non morale ou sociale.
Susan a partagé son histoire après avoir lu sur les conséquences de la pornographie ; elle souhaitait que d’autres femmes se sentent moins seules : « Je suis dans la quarantaine et j’ai été encouragée par un professionnel de la santé à croire que je devais me conformer aux désirs de mon mari, que sinon je risquais de le perdre. »
Dans les décennies à venir, les professionnels de la santé réévalueront probablement les conseils encourageant la consommation de pornographie de la même manière que les médecins regardent maintenant d’un œil critique la façon dont le tabac était autrefois prescrit. Tout comme encourager un fumeur secondaire à fumer lui-même ne fait aucun sens, il est absurde qu’une personne souffrant d’exposition secondaire au porno soit encouragée à en consommer elle-même.
L’industrie du tabac a longtemps fonctionné sur le déni, comme le fait l’industrie de la pornographie aujourd’hui. Si la société pouvait acheter du positivisme sexuel avec quelques clics de souris sur Pornhub, nous vivrions dans une utopie libre de crimes sexuels. Non seulement sommes-nous plus loin que jamais de cet objectif, mais l’évidence semble continuer à échapper aux nombreux professionnel-le-s et militant-e-s. Des millions de personnes comme Susan continuent à être ignorées et tues. En fait, le débat est à peine entamé.
Laura McNally
Publié le 7 juillet 2015 sur The Drum
Laura McNally est psychologue, consultante, auteure et candidate au doctorat. Sa recherche porte sur la théorie féministe et critique. Elle a également contribué au livre The Freedom Fallacy : Limits of Liberal Feminism.
TRADUCTION : Claudine G. pour RESSOURCES PROSTITUTION
1 Le nom a été changé.