Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Voile islamique (bis) — Qui est l’ennemi : Le capitalisme ou la femme voilée ?

Deux de mes interlocuteurs, militants de Québec solidaire, ont très mal réagi à ma brève prise de position sur le « voile islamique »1. Pour l’un, avoir recours à l’histoire pour démêler l’affrontement des droits serait une « entourloupette intellectuelle ». Sans analyse historique resterait le dogme affirmant que le droit collectif, la laïcité, l’emporterait sur le droit individuel, la liberté d’expression, que le voile serait automatiquement un drapeau de soumission de la femme. Pour l’autre, au contraire, il faudrait plonger plus profondément dans l’histoire où on découvrirait le caractère intrinsèquement fondamentaliste de l’islam, ce qui justifierait une laïcité... islamophobe d’autant plus légitime que le prêtre se tient en embuscade derrière l’imam.

Apprendre de l’histoire mais ne pas la confondre avec la politique

Comme athée ex-croyant, je suis antipathique au fait religieux parce que c’est une démission, à la racine, de la pensée critique. Je considère les religions chrétiennes, particulièrement la catholique, comme anti-féministe et l’Église catholique dix fois plus. Pour le peu que je connaisse les religions musulmanes, je n’ai pas raison de croire que ce soit différent pour elles et encore moins pour leurs institutions. Je me souviens que les femmes québécoises des années cinquante se couvraient généralement la tête en public et obligatoirement à l’église. Étant donné leur statut légal et social d’infériorité du temps de la « grande noirceur », j’associe tête couverte et soumission. Je me souviens aussi que ces femmes se sont libérées de ce fardeau et de bien d’autres, non par suite de lois et règlements coercitifs, mais parce qu’elles ont été partie prenante d’un vaste mouvement de libération.

Par analogie, je suis porté à corréler, aujourd’hui, soumission et voile dit islamique. L’embêtant est que beaucoup de femmes aiment encore porter des couvre-chef hors hiver, et pas mal d’hommes aussi. Est-ce par soumission subliminale ? Sinon, serait-ce différent pour les femmes, qu’on présume être musulmanes, portant le voile ? Dans plusieurs pays dit orientaux le port du voile est en effet obligatoire légalement ou par pression sociale plus ou moins forte. Pas de doute que tout démocrate doit appuyer leur lutte pour leur droit d’expression vestimentaire de ne pas porter le voile et bien d’autres droits. Mais en Occident ? On ne peut exclure une pression communautaire, qu’il faut dénoncer en autant qu’on la circonscrive concrètement, mais est-elle généralisée ? Se pourrait-il que des femmes d’ici se voilent par affirmation identitaire contre des préjugés islamophobes, par réaction à une société sexistement dénudante, par libre choix religieux, par tradition ou tout simplement par goût ?

Mes faibles connaissances historiques suggèrent que le voile est plutôt une tradition orientale nettement pré-islamique aujourd’hui récupérée par des courants de pensée se réclamant de l’islam fondamentaliste. Est-ce alors un signe très ancien d’assujettissement de la femme lié au début même de la civilisation humaine née dans cette partie du monde ? Voilà un passionnant débat historique... qui doit rester à ce niveau.

À ce stade de la réflexion, la question du voile pour moi est réglée. Dans ou hors fonction publique et parapublique, je défends le droit d’expression des gens y compris par leur habillement, pendrioches et tatouage... tout en comprenant, sans nécessairement les accepter, les limites posées par les us et coutumes. Je le défends d’autant plus que comme ancien fonctionnaire fédéral j’ai eu à non seulement renoncer à m’exprimer par des pendrioches politiques, même à porter une fleur de lys, mais aussi à être obligé de prendre un congé sans solde pour être candidat. Car le refus du droit d’expression religieux entraîne le refus de celui politique. Ce refus est d’autant plus insupportable quand la signification de la chose, du voile par exemple, est laissée à l’État ou à l’employeur. À moins de penser que c’est correct de limiter ces droits pour environ 25% de la main d’œuvre québécoise2 !

Un islam fondamentaliste à la fois réactif à et utilisé par l’impérialisme

Quant à l’islam fondamentaliste, depuis le wahhabisme saoudien jusqu’au chiisme khomeiniste en passant par les Frères musulmans et tous leurs avatars djihadistes tels Al-Quaïda et l’État islamique, n’est-il pas un islam réactif à l’impérialisme occidental, souvent devenu son ennemi Frankenstein après avoir été mobilisé par lui contre les nationalistes et contre les « communistes »3 ? Cet islam a su combler le vide de ces mouvements anti-impérialistes très laïcs qui ont échoué à s’adapter aux conditions nationales sans compter leurs faiblesses inhérentes pro-capitalistes ou staliniennes. Cette marginalisation culmina dans l’échec du Printemps arabe, orphelin d’une orientation politique, où les peuples révoltés comme jamais prirent les vessies pour des lanternes ouvrant au bout du compte la voie à l’extrémisme fondamentaliste, le djihadisme4. Un drame épouvantable qui vient maintenant hanté nos « démocraties » en cognant à nos portes closes s’entrouvrant à peine.

Soyons clairs au départ à propos des fondamentalismes religieux, peu importe la religion, y compris leurs excroissances politiques. Ils relèvent du droit d’expression et de son corollaire, le droit d’organisation, malgré un malaise social dû à leur sectarisme recelant la possibilité de dérive sécuritaire. Et en se rappelant que le refoulement dans la clandestinité est la pire solution sécuritaire. Ce danger de dérive entraîne une vigilance populaire, un gros problème dans une société atomisée par l’individualisme néolibéral, pouvant aller jusqu’à une surveillance étatique qui n’a pas cependant à être policière ou uniquement policière. À cet égard, la politique d’austérité, à moins d’accepter la dérive vers l’État policier, est aussi anti-sécuritaire en ce sens qu’elle limite aussi le volet de surveillance sécuritaire de l’État social. Liberté et sécurité peuvent se conjuguer seulement si la toile sociale s’anime, y compris sa composante étatique de services publics. Autrement c’est la solution policière, remède de cheval qui tue le patient.

Le djihadisme, un fascisme suis generis... aux pieds d’argile

Le djihadisme est tout à fait autre chose. Se pose la question de ses caractéristiques fascistes, en tout cas pour ce qui relève de l’État islamique. Celui-ci est d’abord un État totalitaire écrasant toute velléité démocratique se réclamant du Printemps arabe. Cet État aux frontières floues et mouvantes a brisé l’ordre impérialiste moyen-oriental issu de la Première guerre mondiale. C’est un État guerrier de par son projet même, le Califat universel assis sur une interprétation rigoriste et tendancieuse de l’islam, imposé par la guerre dite djihad, contre la grande mais fragile et discordante coalition impérialiste sous direction des ÉU, sur la défensive depuis ses défaites irakienne et afghane.

Cet État compense sa grande faiblesse démographique, économique et en armements par une tactique terroriste habilement médiatisée ; par le zèle idéologique, jusqu’au sacrifice suicidaire des plus fanatisés, de ses fonctionnaires et surtout de ses combattants issus d’une petite bourgeoisie éduquée encadrant des éléments déclassés ; par le soutien d’une fraction fondamentaliste de la bourgeoisie moyen-orientale lui procurant financement et canaux de commercialisation ; par sa capacité à récupérer les armements de l’adversaire et surtout à les utiliser grâce à l’expertise militaire d’anciens officiers baathistes ; et par celle d’attaquer chez elle, y compris en mobilisant une cinquième colonne, son consumériste ventre mou civil.

Cet État fasciste suis generis ne doit sa force relative qu’à la faiblesse de l’adversaire impérialiste qui a dû renoncé aux troupes au sol en faveur de recours à des alliés régionaux fondamentalistes peu fiables, même jouant double jeu, et d’appui à des gouvernements sectaires devant être soutenus à bout de bras. Comme le sectarisme des uns appelle le sectarisme des autres, la dynamique fondamentaliste et ethnique s’en trouve renforcée. D’autant plus les dit dommages collatéraux de la tactique militaire centrée sur le bombardement aérien, des puissances impérialistes comme de ses alliés régionaux, rajoute à la colère populaire déjà attisée par leurs politiques néolibérales jusqu’au capitalisme des copains (crony capitalism).

Le plus cocasse de cette macabre comédie des erreurs est que la coalition hétéroclite contre l’État islamique arrive malgré tout à le faire reculer quand elle combine bombardements et attaques au sol des forces armées irakiennes, syriennes et kurdes même sectaires. Encore plus quand elle le fait avec celles kurdes non sectaires appuyées par les faibles forces syriennes anti régime Assad. Celles-ci ont été les premières à remporter une victoire décisive à Kobané contre l’État islamique. Comme quoi l’État islamique est un pseudo géant aux pieds d’argile.

Une politique d’unité populaire contre le sectarisme et contre le pétrole et l’austérité

Cette lutte contre l’État islamique et tutti quanti doit bien sûr aussi se mener contre sa cinquième colonne au sein de nos pays. Cette lutte implique certes un volet sécuritaire le plus populaire et social possible, le moins policier possible. Toutefois, elle implique au centuple un volet proprement démocratique et socio-économique, y compris vis-à-vis les peuples du Moyen-Orient contre qui l’impérialisme est un débiteur net queue par-dessus tête découlant tant de son pillage séculaire de ses ressources surtout pétrolières et de son humanité que de la dévastation guerrière de la région, pour fin de contrôle stratégique de l’arme pétrolière, qui remonte bien avant 1990. En plus d’une aide conséquente aux camps de réfugiés, il est impératif de soutenir humanitairement et en armes les zones libres de groupes djihadistes et de gouvernements sectaires.

Chez nous, il y a urgence à cesser toute discrimination tant vis-à-vis le droit d’expression, y compris vestimentaire, et d’organisation que vis-à-vis les droits à l’emploi et au logement des populations issues de l’immigration. Il est particulièrement cynique d’opposer le réfugié syrien à celui haïtien et du Zimbabwe en ce qui concerne la politique d’accueil, d’opposer le réfugié à la population pauvre citoyenne en ce qui concerne l’accès aux logements sociaux. Non seulement le patronat compte profiter de cette main d’œuvre plus facilement exploitable parce que plus fragile mais il s’en sert dès maintenant pour créer des divisions au sein du prolétariat.

La réponse de gauche à cette contradiction créée de toutes pièces par le néolibéralisme consiste à lutter contre l’austérité d’où découle en contrepartie une hausse des dépenses d’accueil et d’intégration de l’immigration, dont sa francisation, la promotion d’« une politique de plein emploi » et « la construction écologique de 50 000 nouveaux logements sociaux en cinq ans... » le tout financé par le « rétabli[ssement d’]un système d’impôt plus juste »5. Dommage que la direction Solidaire ne profite pas du débat sur l’accueil des réfugiés syriens, soit dit en passant un très petit nombre otage d’un exercice nauséabond de relations publiques, pour sortir des boules à mite ces points forts de sa politique.

Marc Bonhomme, 12 décembre 2015

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

1Voir mon site, Débat Québec solidaire : « Port de signes religieux »... ou voile islamique, 15/11/15

2Calcul pour l’année 2012 selon les séries CANSIM 183-0002 (total le secteur public au Québec) et 281-0024 (total des employés dans toutes les « industries » (secteurs d’emploi))

3Nabil Mouline, Genèse du djihadisme, Monde diplomatique, décembre 2015, par ESSF, 1/12/15

4Adam Hanieh, Middle East : A Brief History of the Islamic State (ISIS), Jacobin, 3/12/15 par ESSF, 3/12/15

5Programme de Québec solidaire et communiqué de presse du 18/03/14

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