Le premier syndicat égyptien a été fondé au Caire en 1900, suite à une grève des rouleurs de cigarettes. Des syndicats se sont ensuite formés, notamment parmi les cheminots et traminots du Caire et d’Alexandrie. Étant donné la mainmise européenne sur le pays, syndicalisme et mouvement nationaliste ont le plus souvent été étroitement liés.
Le syndicalisme n’a été explicitement légalisé qu’en 1942, mais sous un contrôle étroit de l’État.
Les salariés et les syndicats ont activement participé aux mobilisations qui se sont succédé entre 1945 et 1952, notamment dans l’industrie textile. En janvier 1952, un congrès de fondation d’une confédération était prévu. Il n’a pas pas pu se tenir suite au déclenchement d’une vague de répression ayant suivi le grand incendie du Caire.
L’année 1952 marque une rupture décisive dans l’histoire de l’Égypte. En juillet, les « officiers libres », sous la direction de Nasser renversent la monarchie à la solde des Britanniques. Pour la première fois depuis 2 500 ans, l’Égypte est dirigée par des Égyptiens. De nombreux travailleurs soutiennent avec enthousiasme le régime militaire qui promet l’indépendance et la justice sociale. La popularité de Nasser se renforce considérablement en 1956 avec la nationalisation du canal de Suez.
Le nouveau pouvoir prend effectivement dès 1952 une série de mesures favorables aux salariés. Mais simultanément, il interdit les grèves et condamne à mort des grévistes. Il n’est pas question pour lui de tolérer un mouvement syndical indépendant et militant : « les travailleurs n’ont pas à revendiquer, c’est nous qui décidons de donner » explique Nasser. Les syndicats ne sont considérés par lui que comme des forums dans lesquels les travailleurs peuvent exprimer leurs opinions ainsi que des structures visant à stimuler la production et répartir des prestations sociales. Leur fonction n’est pas de permettre aux travailleurs de s’organiser, mais de permettre à l’État de les encadrer.
C’est dans ce cadre que voit le jour en 1957 la confédération syndicale EWF, à laquelle succède en 1961 l’ETUF. Les dirigeants de ces centrales sont nommés par le gouvernement et sont souvent simultanément des cadres du parti au pouvoir. Elles sont complètement intégrées à l’appareil d’État : de 1962 à 1986, le président de l’ETUF était en même temps ministre du travail ! Toute structure syndicale est obligatoirement affiliée à l’ETUF, qui revendiquait en 2009 plus de 4,4 millions de membres. Les mobilisations ouvrières et politiques se heurtent au syndicalisme officiel, véritable courroie de transmission du pouvoir.
Après la mort de Nasser en 1970, les droits sociaux concédés aux travailleurs ont été progressivement remis en cause sous les présidences de Sadate et Moubarak, conformément à la politique néo-libérale impulsée par le FMI et la Banque mondiale. Il en a résulté une succession de conflits sociaux.
Après avoir protesté contre certaines mesures, la direction de l’ETUF s’est rapidement rangée aux côtés du pouvoir. Deux millions de salariés ont néanmoins pris part à 3 000 grèves, sit-in et manifestations depuis 1998.
La vague de grèves qui s’est amplifiée à partir de 2004 a été un élément essentiel expliquant la chute de Moubarak. Trois luttes ont joué un rôle de premier plan :
– les travailleurs du textile de Mahalla en 2006 et 2007,
– les collecteurs d’impôts fonciers en 2007,
– l’usine de lin de Tanta en 2009.
Les tentatives de créer des réseaux syndicaux se multiplient dans cette période. Certaines ONG et plateformes informelles font un travail considérable avec des réunions, des formations, des rapports, des périodiques, comme par exemple :
– le CTUWS, fondé en 1990 et animé par Kamal Abbas, un ancien ouvrier des aciéries chassé après la grande grève de 1989,
– l’ECESR, crée en 2009 et animé par l’avocat Khaled Ali.
Voit aussi le jour, en 2000, le Comité de coordination pour les droits et libertés ouvrières et syndicales (CCTUWRL), coordination informelle réunissant chaque mois plusieurs dizaines de syndicalistes du Caire et de province, de sensibilités différentes, et qui cherche à faire émerger une voix autonome et combative. Les luttes ouvrières servent de toile de fond à l’implication d’une partie de la jeunesse : le nom même du « Mouvement de jeunesse du 6 avril » est né de la solidarité avec les grèves du textile de Mahalla qui ne se limitaient pas à des demandes catégorielles mais se confrontaient directement au syndicalisme officiel.
Deux syndicats indépendants finissent par arracher leur reconnaissance légale : en 2008, le syndicat des collecteurs d’impôts fonciers et, en 2010, celui des techniciens de la Santé.
En janvier 2011, parallèlement aux luttes impulsées par la jeunesse, le pays connaît une vague impressionnante de grèves et de protestations des travailleurs. Au départ, les motifs de ces mobilisations sont souvent économiques avec des questions de salaires, de primes, de contrats de travail pour les précaires… Mais très vite, la question de la liberté syndicale et la dénonciation du syndicalisme officiel pointent.
Depuis la chute de Moubarak les autorités militaires ont essayé, à de multiples reprises, de mettre un terme aux luttes, avec le soutien actif des Frères musulmans. Elles dénoncent les revendications des travailleurs comme « corporatistes » et contraires aux intérêts du pays. Le Conseil supérieur des forces armées utilise les media pour tenter de convaincre l’opinion publique que la poursuite de grèves et de protestations représente un danger pour la « transition démocratique ».
Les autorités tentent d’interdire les grèves et les réunions de travailleurs. Le pouvoir a mis en place, en mars 2001, une législation criminalisant la grève : elle permet d’infliger, pour incitation à la grève, un an de prison ainsi qu’ une amende équivalant à 6 ans de salaire Des travailleurs en lutte sont également traduits devant les tribunaux militaires en application de la loi antiterroriste.
Mais les mobilisations continuent, car pour les travailleurs en lutte, les revendications font partie intégrante de la révolution.
Le cadre légal dans lequel s’inscrit actuellement l’action syndicale est transitoire. Une nouvelle loi syndicale devrait voir le jour à l’automne 2011. « Le nouveau ministre du travail connaît bien les conventions en vigueur au plan international : il a en effet travaillé au Bureau international du travail. Il est possible de parvenir à un accord avec lui en ce qui concerne le respect des libertés syndicales » explique l’avocat-militant Khaled Ali.
L’ancienne centrale (ETUF) n’a pas été dissoute, mais son ancien secrétaire général est en prison et ses avoirs ont été gelés.
Dans l’immédiat, plus aucun obstacle légal n’existe à la création de syndicats indépendants : dès qu’un dossier de reconnaissance est déposé auprès du ministère, le nouveau syndicat peut commencer à fonctionner sans attendre la réponse officielle.