Mais si beaucoup ont tenté d’apporter des explications crédibles à son geste, peu se sont attardés sur ce qu’il pouvait signifier en termes politiques, et en quoi il était révélateur de dérives particulièrement inquiétantes au sein du PQ lui-même.
Il est vrai que –question de popularité— les sondages n’étaient guère encourageants pour lui. Tout indiquait même que dans l’état actuel des choses il ne pouvait même pas espérer une seconde place. Lui qui ministre sous Pauline Marois, rêvait d’un premier rôle, il se trouvait avec l’arrivée de Pierre Karl Péladeau au Parti québécois (très largement en avance dans les sondages) soudainement reléguer aux oubliettes, juste bon à jouer les troubles fêtes. D’où d’ailleurs les interrogations de beaucoup d’observateurs sur les possibles maladresses qu’il aurait commises et qui auraient jeté de l’ombre sur les analyses pourtant très justes qu’il avait faites à propos de l’arrivée d’un magnat de la presse comme Pierre Karl Péladeau à la tête du Parti québécois.
Il faut cependant aller plus loin, car si Jean-François Lisée trouve actuellement si peu grâce auprès des membres du PQ ou même du grand public, ce n’est pas seulement –comme tant de journalistes l’affirment— à cause de sa superbe mal placée ou de son côté de prof. de l’UDM donneur de leçons. Ou encore à cause de son art de soulever le scandale à mauvais escient, n’ayant pas, comme l’avançait Francine Pelletier dans une récente chronique du Devoir, la capacité « de savoir quand il faut parler et quand il faut se taire ».
Non, ce qui fait problème est ailleurs. Et ne se trouve ni dans ses dénonciations à l’emporte-pièce de cette « bombe à retardement » que représente en termes de conflits d’intérêts la présence de Pierre Karl Peladeau à la tête d’un parti comme le Parti québécois. Ni non plus dans ses considérations sur les dangers de la concentration de la presse. Ce qui fait problème c’est de ne pas en avoir tiré les conséquences pratiques, de ne pas avoir agi en conséquences. Comme si son opposition à l’arrivée du président de Québécor au sein du PQ ressortait plus d’une rivalité d’ordre personnel que de différenciations politiques majeures.
De la manière la plus opportuniste qui soit
Car si l’on juge que c’est un véritable danger qu’un magnat de la presse -possédant à lui seul près de 50% de tous les médias du Québec— et connu pour ses menées anti-syndicales et autoritaires répétées puisse un jour se trouver à la tête du Parti québécois, un parti dont on prétend par ailleurs qu’il garde encore une orientation social-démocrate, on en tirera les leçons et on agira en conséquence. Non pas en se retirant avant que la course ne commence et en couronnant à l’avance son adversaire. Non pas non plus en se positionnant comme un observateur désengagé prêt à la fin à reprendre du service, pensant ainsi sauver malgré tout la mise, de la manière la plus opportuniste qui soit.
On agira en conséquences en cherchant à organiser à l’intérieur du parti, contre ce consensus nationaliste sans rivage qui est en train de s’installer au P.Q., une véritable opposition de type social-démocrate. Et pour ce faire, si l’on réalise –via les sondages— que sa propre candidature n’est pas suffisamment porteuse, on cherchera à se rallier à d’autres pour bâtir par exemple une sorte de front avec Martine Ouellet, Pierre Cérée ou d’autres, seule manière de ne pas disperser des forces et de s’opposer de manière durable à ce qui est effectivement en train de devenir une véritable bombe à retardement. Mais dans un sens tout autre peut-être que ne l’entendait Jean François Lisée.
Car s’il y a aujourd’hui un danger passablement inquiétant, c’est bien celui-là : qu’un leader connu pour son autoritarisme et ses pratiques ouvertement néolibérales, se trouve à ce point adulé de par sa position économique et sa fortune personnelle, qu’il parvienne en surfant sur une fibre nationaliste exacerbée, à s’imposer politiquement, tant à la tête du PQ que de la province. Et cela, sans l’ombre d’un débat de fond l’obligeant à rendre –ne serait-ce que minimalement— des comptes.
Qu’on se le dise : on a beau être au Québec en ce début de 21 ième siècle, les ombres de Berlusconi et de Duplessis continuent à planer de manière bien préoccupante sur notre devenir.
Québec, le 27 janvier 2015
Pierre Mouterde
Sociologue essayiste