Antoine Larrache – Peux-tu revenir sur la grève du 9 novembre et la manifestation du 11 ?
Andreu Coll – La grève a été très faible dans les entreprises, mais plus forte dans le secteur public, en particulier dans l’éducation (autour de 40 %) et, dans une moindre mesure, dans les transports. Beaucoup d’enseignants se sont sentis concernés par l’inculpation de 8 enseignants pour « endoctrinement » et « haine » pour avoir discuté de la question de la violence policière le jour du référendum devant leurs élèves, suite à la plainte de parents travaillant dans la Guardia Civil. Societat Civil Catalana (qui a organisé les manifestations unionistes, avec un rôle clé d’éléments d’extrême droite) mène une campagne pour que d’autres plaintes soient déposées afin de renforcer le climat d’intimidation des enseignants.
En général, les classes populaires et la classe ouvrière restent très en retrait, à part dans le secteur public. L’élément dynamique principal de la semaine est l’action des Comités de défense de la république (CDR), qui ont joué un grand rôle. Un journaliste conservateur mais lucide les compare avec la dynamique de Lotta continua dans les années 1970 en Italie, soulignant le dynamisme des groupes locaux et leurs capacités d’action. Les CDR restent très hétérogènes sur le fond, mais ils se développent. Ils sont aujourd’hui presque 300, répartis sur le territoire, rappelant la dynamique du 15M. Les CDR ont coupé des rues, des autoroutes et des TGV, avec des centaines de personnes, et les flics ont eu beaucoup de mal à intervenir.
La mobilisation contre la répression va durer. La prochaine étape, ce sera les procédures contre plus de 700 maires.
Et du côté des organisations politiques et des élections du 21 décembre ?
Puigdemont a affirmé sa demande de compromis dans le cadre d’un État espagnol plus souple, avec un modus vivendi sans indépendance. Au sein de PDCAT [parti de Puigdemont], les débats sont très tendus. Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) sera la première force lors des élections. Ils se prononcent maintenant pour un bloc républicain, pas indépendantiste, une formule très ambiguë.
Les indépendantistes se sentent trahis par le fait que les partis au pouvoir changent de discours : c’est ridicule de voir Puigdemont dire qu’il n’est plus pour l’indépendance après tout ce qui s’est passé ! ERC explique que l’affrontement n’était pas possible, qu’il fallait maintenir une action pacifique. Le camp indépendantiste est maintenant en difficulté pour avoir vendu une solution irréaliste…
Dans Podem, le désordre est très grand à la suite du départ de Albano Dante Fachín. Madrid a négocié directement avec Catalunya en Comú [CeC,dirigé par la maire de Barcelone Ada Colau] et imposé les candidats en passant au-dessus de l’organisation catalane. L’approche de CeC est très électoraliste, leur logique est grosso modo de gagner la base du PS car la chute de celui-ci libère un espace pour une sociale-démocratie de gauche… L’orientation des militants d’Anticapitalistes dans Podem est de soutenir l’acord avec CeC malgré leur oposition aux métodes autoritaires de la direction de Podemos, mais aussi d’une ouverture vers la CUP, mais cette proposition reste très minoritaire à Podem et à Catalunya en Comú.
La CUP a modifié son projet de construction d’un groupe indépendantiste vers un bloc « rupturiste », ce qui est plutôt juste. Elle a proposé sur cette base un accord à Albano Dante Fachin pour une liste de rupture. C’est une proposition intelligente et une avancée, même si l’ouverture reste limitée à des indépendants, de petits noyaux militants, mais pas à d’autres groupes politiques organisés.
Comment voit-on la suite du mouvement ? Comment poser, dans les élections et au-delà, la question de la participation des classes populaires ?
La campagne électorale freine de fait la dynamique pour un processus constituant. Pour l’instant, les revendications restent centrées sur les questions démocratiques. L’ANC et Omnium ont fait pression pour une liste unitaire, mais c’est maintenant du passé car ERC et la CUP iront seules. L’ANC et Omnium sont apparus comme un soutien à Puigdemont, soutenant jusqu’au bout la liste unitaire.
Dans les CDR, la discussion ne fait que commencer. Ce cadre est plus sensible aux évolutions, aux discussions et aux expériences. Nous essayons, mais cela reste difficile, d’avancer sur les revendications sociales, car la dynamique de rejet de la répression reste l’élément central. La mobilisation continue au niveau local, des gens se mobilisent chaque jour, il y a des assemblées de débat régulières, comme pendant le mouvement des indignés.
C’est dans les CDR que se mélangent les secteurs indépendantistes, ceux hérités du 15M et les couches populaires, donc c’est là que nous intervenons principalement.
Propos recueillis, le 14 novembre, par Antoine Larrache
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