Les signataires de cet article (Bernard Rioux, Roger Rashi, Ginette Lewis, Lucie Mayer, Jessica Squires, Benoit Renaud, Hassoun Karam) sont membres de l’organisation RÉVOLUTION ÉCOSOCIALISTE
Première partie : Le plan pour une économie verte de Legault est un plan en trompe-l’œil
Le Plan pour une économie verte (PEV) est un plan en trompe-l’œil, élaboré sur mesure pour les entreprises afin de renforcer leur capacité concurrentielle avec le soutien gouvernemental. L’économie « verte » de Legault va permettre le détournement de fonds publics vers les entreprises qui auront toute la liberté de décider d’implanter des transformations de leurs procédés de production. Aucune contrainte n’est prévue par ce PEV fait sur mesure pour servir l’accumulation capitaliste.
Pas d’engagement à une véritable sortie d’une économie des hydrocarbures
Le premier ministre a réitéré lors de la présentation du PEV son soutien au projet GNL-Québec. Il a présenté le gaz naturel comme une énergie de transition. Il n’a pas fermé la porte à l’autorisation de projets d’exploitation pétrolière et gazière sur le territoire québécois. Les promoteurs des énergies fossiles ont encore leur place au pays de l’économie « verte » du gouvernement de la CAQ. Énergir a su faire les pressions nécessaires sur le bureau du premier ministre. Le plan va jusqu’à parler, en ce qui concerne les systèmes de chauffage des bâtiments, d’une « complémentarité optimale des réseaux électrique et gazier ! »
Des cibles insuffisantes qu’on s’organise pour ne pas atteindre
Le PEV refuse les cibles de réduction de gaz à effet de serre fixées par le GIEC. Ces dernières devraient dépasser les 50% pour 2030. Le plan reconduit plutôt la vieille cible fixée par le gouvernement Couillard d’une réduction de 37,5% que le premier ministre présente comme une cible ambitieuse. Il refuse même de se prononcer sur la cible du GIEC comme si cette proposition faite par les scientifiques du climat n’avait aucune crédibilité. Même plus, il convient que son plan ne puisse atteindre que la moitié d’une cible déjà insuffisante pour répondre à la crise climatique ! Il est même prévu de recourir à l’achat de permis d’émission sur le marché du carbone pour permettre au Québec de se rapprocher de sa cible. Comme le dit si bien Radio-Canada, ce n’est ni plus ni moins que de « la triche. » [1]
L’autosolo électrique au centre du PEV
Sa proposition d’interdire la vente de voitures à combustion interne neuves à partir de 2035 relève davantage d’un plan de communication que d’un plan de lutte aux changements climatiques. Cette mesure ne s’applique que dans 15 ans et ne concernera même pas l’ensemble des camions et voitures commerciales. Dans les faits, le PEV fait une place de choix au soutien à l’achat de voiture électrique : poursuite du programme Roulez vert qui prévoit une aide de 8000 $ à l’achat d’une voiture électrique. Cette priorité à l’avantage de ne rien bousculer et conduira à un nouvel élargissement et à la diversification du parc automobile avec le maintien des problèmes de congestion et d’étalement urbain à la clé. C’est une véritable manne gouvernementale aux grands de l’automobile pour faciliter leur conversion et pour le gonflement de leurs ventes. C’est une relance de la croissance et de l’exploitation des ressources de la planète à l’heure d’une nécessaire diminution de l’exploitation de ces ressources. Car on peut s’attendre au maintien par ses entreprises de la pratique de l’obsolescence planifiée et d’une publicité tonitruante pour élargir leur marché.
En plus, la fabrication de voitures électriques produit davantage de gaz à effet de serre et ce type de voiture doit rouler des années avant d’atteindre un meilleur bilan que la voiture à combustion interne en termes de GES.
Le choix est de continuer à maintenir une société articulée autour de l’autosolo avec toutes les conséquences de ce type de moyen de transport en terme de dépenses insensées de ressources naturelles et d’étalement urbain. C’est le choix de ne pas rechercher la diminution du parc automobile et de ne pas donner la priorité au transport collectif.
Pourtant, le Québec dispose d’industries de fabrication de matériel roulant qui pourraient être nationalisées et réorganisées pour répondre aux besoins de la population en matière de transport. Et l’usage des moyens de transport collectif et public électrifié pourrait être soutenu en rendant gratuit ce dernier. Métros, tramways, trains de banlieue ou interrégionaux et autobus sont les moyens de transport électrifiés qui doivent devenir les moyens de transport privilégiés. Une importante industrie québécoise nationalisée de fabrication de matériel roulant serait un immense chantier qui pourrait permettre la création de nombreux emplois verts.
Les flottes de camions électriques, une autre proposition qui conduit à rater la cible.
Le PEV s’enlise dans la même logique étroite d’une électrification bancale lorsqu’il traite du transport des marchandises : l’électrification des camions. Le passage de camions à essence vers les camions électriques n’est pas une solution à la congestion et à la destruction régulière par les camions des infrastructures routières. La technologie la plus appropriée au transport des marchandises ce sont les voies ferrées contrôlées actuellement par le fédéral et possédées par des entreprises privées. Pour diminuer radicalement l’émission de GES et économiser les ressources, il faut exproprier les entreprises ferroviaires et faire passer le transport des marchandises par les voies ferrées.
Réduire les émissions de gaz à effet de serre en augmentant la compétitivité des entreprises
Le PEV donne aux entreprises l’initiative pour faire face aux changements climatiques. Elles en sont les maîtres d’oeuvre. Et cela se fera tout en protégeant leurs capacités concurrentielles y compris en ne leur imposant pas une réglementation trop contraignante et en tenant compte de la taxation carbone ailleurs dans le monde qui pourrait leur nuire sur le marché international. Le nombre des allocations de droit de polluer gratuites va sans doute diminuer, mais des allocations gratuites vont continuer à être octroyées aux entreprises comme l’ont demandé les entreprises les plus polluantes au Québec. [2].
En fait, pour rendre les « entreprises plus sobres en carbone tout en étant plus compétitives, le gouvernement s’appuiera sur un accompagnement personnalisé auprès des grands émetteurs industriels et sur des mesures visant à stimuler l’investissement dans des projets de réduction des émissions. » [3]. La détermination des meilleurs procédés pour faire face au réchauffement climatique et à la pollution, soit la fabrication des produits de qualité répondant aux véritables besoins, est laissée aux entreprises privées sous l’aile protectrice et généreuse du gouvernement. On voit ici comme ailleurs, en ces temps de néolibéralisme, comment de telles stratégies aboutissent à rater les cibles que ces entreprises et leurs gouvernements se sont fixées. La crise du logement et la production de logements coûteux montrent bien à quels choix peuvent être amenées à faire des entreprises uniquement guidées par la logique du marché. La production de logements sociaux ne peut pas être laissée à cette logique, car la satisfaction des besoins essentiels ne sera pas au rendez-vous.
Nettoyer une agro-industrie d’exportation polluante sans poser les nécessité d’une agriculture de proximité visant la souveraineté alimentaire
Le PEV semble incapable de voir au-delà de la réduction du gaspillage et d’une meilleure gestion des matières résiduelles. Une agriculture d’élevage intensif centrée sur l’exportation et la production carnée n’est pas contestée. Pourtant, elle est responsable « de 9,8% des émissions de gaz à effet de serre du Québec en 2017 (4e secteur émetteur) » [4]. Un véritable plan de lutte aux changements climatiques se donnerait comme tâche d’accompagner l’ensemble des agriculteurs et agricultrices dans la transition vers une agriculture écologique et non de protéger un modèle agricole dévastateur sur le plan écologique et social.
Se financer par le commerce des droits de polluer
« Le financement du Plan reposera de manière importante sur les ressources provenant du marché du carbone. » (Plan pour une économie verte, p. 100) C’est là soumettre au capital financier le contrôle sur les initiatives concernant la lutte aux changements climatiques. « Le recours à des mécanismes du marché pour lutter contre les changements climatiques ne peut donc que concourir à l’assujettissement de l’activité humaine à la finance qui résulte du processus de financiarisation. Il suppose, en effet, que toute solution éventuelle aux problèmes environnementaux soit d’abord approuvée par les marchés financiers et préalablement soumise à leurs critères de certification et de rentabilité. Il devient, dans ce contexte difficile, d’envisager qu’une société puisse prendre en main son devenir sans que ses actions soient auparavant rendues conforment aux modèles financiers qui transforment les produits de l’activité humaine en titres négociables. » [5]
Beaucoup ont remarqué que compter sur le marché du carbone pour atteindre des cibles de réduction, c’est dépenser pour sauver la face mais sans changer la situation réelle en ce qui concerne les émissions de GES. C’est avec cette logique du faire semblant qu’il faut pourtant définitivement rompre.
Deuxième partie : le Québec a besoin d’un plan vert qui ouvre la voie à une transformation fondamentale.
Le Québec a besoin d’une vraie relance verte et juste qui amorcera une rupture avec le système actuel, seul moyen de conjurer les catastrophes climatiques et sociales qui nous guettent. Depuis 2015 et l’accord de Paris sur le climat, nous voyons une banalisation des notions de « transition verte » et de « plan vert » au point où n’importe quelle proposition gouvernementale, même aussi bancale que celle de Legault, se targue d’être « verte ».
Nous devons redonner sa charge radicale à la notion de transition écologique en la jumelant étroitement avec la notion de transformation systémique, en clair, avec la sortie nécessaire du système capitaliste et productiviste.
Des mesures de rupture
En tout premier lieu, il faudra briser les reins du capital fossile, le complexe financier et industriel qui continue de pousser au maximum l’exploitation des hydrocarbures (pétrole, charbon et gaz) et de freiner le développement des énergies propres. En 2018, les deux tiers des capitaux investis dans des projets de production d’énergie sont allés au pétrole, au gaz et au charbon. En 2019, les investissements dans l’exploration de ces combustibles ont augmenté de 18%. En d’autres termes, l’économie capitaliste mondiale aggrave constamment la crise climatique. La science du climat, quant à elle, est éminemment claire. Parce que tant de temps précieux et irrécupérable a été perdu, les actifs engloutis dans les énergies fossiles doivent être bloqués et, à terme, démantelés. [6]
La première étape est bien évidemment les campagnes massives de blocage des pipelines transportant le gaz naturel et le pétrole, mais une deuxième étape cruciale doit suivre et c’est celle de la prise en main de ce secteur pour sortir des énergies carbonées. Il faut nationaliser cette industrie qui tue la planète afin de programmer sa disparition et son remplacement par une industrie d’énergies propres sous contrôle public. Il faut cesser de traiter les sources d’énergie comme des biens privés, appartenant à une poignée de multinationales ou princes du pétrole, et faire d’elles un bien commun appartenant à l’humanité.
La socialisation des banques et de l’industrie financière est une nécessité absolue si l’on veut effectuer des investissements massifs dans la transition écologique, les énergies renouvelables et les infrastructures propres. Le contrôle privé de la finance bloque simultanément la transition énergétique et aggrave les distorsions climatiques. La financiarisation extrême poussée par le néolibéralisme et la mondialisation des marchés a abouti à une économie casino produisant une concentration inouïe de la richesse ainsi que des inégalités sociales monstrueuses.
Les banques centrales américaines, canadiennes et européennes ont injecté des milliers de milliards dans l’économie afin de passer à travers la crise du COVID-19. Bien que ces sommes faramineuses aident à financer les programmes d’urgence, il ne faut pas oublier qu’elles offrent des taux d’intérêt imbattables et une aide directe à ceux et celles qui ont les moyens d’investir dans l’immobilier et de spéculer dans les marchés boursiers. Nous savons tous et toutes que, dès l’urgence passée, le balancier reviendra vers l’austérité budgétaire et le remboursement des dettes. Néanmoins, la crise actuelle offre l’occasion historique de s’engager dans une autre logique : couper le cordon entre le financement de l’économie et la propriété privée du capital. Il faut briser une fois pour toutes cette alliance sacrée du capital financier et du capital fossile en instaurant le contrôle public du crédit ainsi qu’une réforme radicale de la fiscalité.
La planification écologique démocratique ainsi que la création d’un chantier massif d’emplois verts de bonne qualité s’imposent, car il faut privilégier la satisfaction des besoins réels et contrer la tendance innée des marchés à favoriser l’accumulation sans fin du capital. L’investissement dans la transition devra être assujetti à un contrôle démocratique à tous les échelons de la prise de décision. Idem pour la réorganisation/conversion de l’appareil productif, sa décroissance planifiée alliée à l’expansion des services et besoins publics essentiels tels que la santé, l’éducation, les transports en commun, le logement social. [7]
Les classes populaires souffrent davantage que les riches des pollutions ou des catastrophes naturelles et pourtant c’est sur elles que les gouvernements font peser le coût de la transition. Il faut renverser cette dynamique et placer la justice sociale et la démocratie participative au cœur de la transition. La production verte doit être associée à la création d’emplois de qualité tant dans les secteurs publics que de l’économie sociale, à la conquête de nouveaux droits sociaux permettant la démocratisation des lieux de travail. Une transition écologique populaire requiert une transformation simultanée de nos systèmes économiques et politiques.
Une agroécologie permettant la réalisation d’une réelle souveraineté alimentaire
Notre agriculture est centrée sur l’exportation de viandes produites dans de vastes élevages (porcs, poulets …) et de produits laitiers. Ce type d’agriculture constitue une impasse écologique : Elle est responsable de pollutions multiples, de fortes émissions de gaz à effet de serre, de contamination des sols par l’usage de pesticides et d’engrais azotés, « Les fournisseurs de fertilisants, de produits chimiques, d’énergies fossiles et de machineries, de même que les institutions financières, sont devenus les principaux bénéficiaires de la richesse créée par le secteur agricole » [8] et tout cela aux dépens des producteurs et productrices agricoles. Cette agriculture tournée vers l’exportation a conduit à la situation où « seulement 33% du contenu de notre assiette provient du Québec » ,
La transition vers l’agroécologie passera par la fin de la domination des grands semenciers et des entreprises de l’agrochimie. Il n’y aura pas de passage à une agriculture de proximité qu’à partir des mobilisations actuelles contre les usages d’OGM, de pesticides, contre les pressions à la baisse sur les prix des produits des fermes, sans une réorientation des productions vivrières diversifiées, mais non carnées tournées vers les marchés locaux et nationaux. C’est une telle perspective qu’un véritable plan de lutte aux changements climatiques devrait viser.
La transformation écosocialiste
Pour affronter les enjeux du changement climatique, il faut un changement radical et structurel, qui touche aux fondements du système capitaliste : une transformation non seulement des rapports de production (la propriété privée des moyens de production), mais aussi des forces productives (les moyens techniques et les savoir-faire humains servant à produire). Il s’agit d’une transition vers une nouvelle société qui serait socialiste, écologique et démocratique. C’est ce que nous désignons par le terme écosocialisme.
« Pour les écosocialistes la logique du marché et du profit – de même que celle de l’autoritarisme bureaucratique de feu le « socialisme réel » – sont incompatibles avec les exigences de sauvegarde de l’environnement naturel. Ils savent que les travailleurs et leurs organisations sont une force essentielle pour toute transformation radicale du système, et pour l’établissement d’une nouvelle société, socialiste et écologique. » [9]
Le combat pour les mesures de rupture écosociales que nous avons énumérées plus haut est porteur d’une dynamique de changement, car elles sont difficilement compatibles avec la soumission au capital. Ces revendications immédiates sont déjà le lieu d’une convergence entre mouvements sociaux et mouvements écologistes et améliorent de ce fait notre rapport de force face aux classes dominantes. Ce sont des demandes qui « préfigurent » ce que pourrait être une société écosocialiste :
« Chaque victoire partielle est importante, à condition de ne pas se limiter aux acquis, mais mobiliser immédiatement pour un objectif supérieur, dans une dynamique de radicalisation croissante. Chaque gain dans cette bataille est précieux, non seulement parce qu’il ralentit la course vers l’abîme, mais parce qu’il permet aux individus, hommes et femmes, notamment aux travailleurs et aux communautés locales, plus particulièrement paysannes et indigènes, de s’organiser, de lutter et de prendre conscience des enjeux du combat, de comprendre, par leur expérience collective, la faillite du système capitaliste et la nécessité d’un changement de civilisation » [10]
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