Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Un changement de paradigme dans la politique portugaise

51 jours après les élections législatives, le Président de la République, bien que contrarié et grimaçant, a nommé le 24 de ce mois António Costa comme Premier ministre. Le secrétaire général du PS a déjà rendu public la composition du futur gouvernement |1|.

Rui Viana Pereira est membre du CADPP - Comité pour l’Annulation de la dette publique portugaise.

La formation d’un gouvernement PS se produit dans des circonstances politiques particulières, inattendues même, et marque un tournant historique dans le paradigme des relations inter-partis au Portugal.

Le contexte de la rupture politique

Après les élections législatives du 4 octobre 2015, le Parti socialiste (PS) a signé trois accords avec les trois partis à sa gauche ayant une représentation parlementaire – le Parti communiste (PC), le Bloc de gauche (BE) et le Parti écologiste « Les Verts » (PEV). Cette confluence de volontés politiques est sans précédent au cours des 40 dernières années. Les quatre partis ne dialoguaient jamais sérieusement les uns avec les autres (à l’exception de la paire PC / PEV, qui forment une coalition électorale) et n’ont jamais passé d’accords politiques formels, même si ces accords étaient désespérément nécessaires |2|. Le simple fait d’avoir trois accords distincts montre que les parties concernées ne dialoguent pas facilement : il a fallu à António Costa agir comme intermédiaire pour faciliter un accord tripartite.

Depuis 40 ans, soit depuis la fin de la dictature, le PS a toujours attaqué avec animosité tous les partis à sa gauche, montrant parfois des signes d’un anti-communisme primaire ; il les a classés souvent comme dangereux pour la démocratie et il a précisé qu’il préférait mourir plutôt que d’entrer dans une entente de gauche. En revanche, sur la même période, il a participé à des accords et à des gouvernements de coalition de droite. Ces antécédents nous permettent d’évaluer l’importance historique de l’initiative d’António Costa, quand il va sonner à la porte du BE, du PC et du PEV. Il est un fait incontournable que les accords actuels à gauche, indépendamment du fait qu’ils se maintiennent dans le futur ou qu’ils cessent dans les limites de la situation politique actuelle, marquent un tournant dans les pratiques politiques portugaises. Je tiens à dire « pratiques », car les partis concernés ne mettent aucun amendement programmatique sur la table ; ce qui change radicalement est la praxis des relations inter-partis.

Le résultat des élections d’octobre crée un dilemme simple : soit la coalition de droite reste au pouvoir et continue son programme d’austérité – mais dans ce cas, puisque qu’elle a perdu la majorité parlementaire, elle aurait besoin du soutien (formel ou informel) du PS, comme c’est déjà arrivé dans le passé – soit le PS refuse de soutenir la coalition de droite et accepte de gouverner seul – mais là, il aurait besoin de présenter un programme avec des mesures anti-austérité et d’obtenir le soutien stable de tous les groupes parlementaires à sa gauche, obtenant ainsi le soutien d’une majorité parlementaire. La direction du PS a choisi de suivre la deuxième option (peut-être prenant conscience du risque d’extinction, ou de « pasokisation ») ; c’est qui rend fous tous les partisans de droite, à commencer par le président, et c’est ce que le PS a toujours refusé pendant 40 ans, préférant abandonner le pouvoir plutôt que passer une alliance avec la gauche.

En termes très pratiques : l’entente de gauche actuelle sert à viabiliser un gouvernement du PS ; elle a été négociée sur la base du programme de gouvernement du PS, selon les déclarations de ses acteurs mêmes ; elle n’est pas un « mix », elle ne contient pas les objectifs programmatiques spécifiques d’autres partis de gauche ; elle ne met pas en cause l’architecture européenne (bien qu’elle propose certaines réformes) ou les accords internationaux ; elle ne propose pas un audit de la dette. En fait, la confusion et la panique provoquées par la droite à propos de cet accord ont obligé le futur ministre de la Culture, João Soares, à venir aujourd’hui à la télévision jurer la main sur le coeur que le PS reste un parti social-démocrate ; que le PS s’est égaré, il a perdu le nord pendant un certain temps, et maintenant il doit absolument retourner à ses origines social-démocrates ou socialistes.

Pour qui n’est pas engagé par un lien de loyauté envers un parti , la question qui se pose est claire : il ne s’agit pas de soutenir un gouvernement du PS, mais de préférer (ou non) un gouvernement du PS qui promet d’exécuter un ensemble de mesures anti-austérité, plutôt que d’accepter la perpétuation du gouvernement de droite.

De nombreux commentateurs insistent pour parler de « gouvernement de la gauche ». Cette expression est une pure fiction, en aucun cas elle ne correspond à la réalité ; elle ne sert qu’à brouiller la compréhension de la situation que nous vivons. Le cours des événements ne nous met pas en face d’un « gouvernement de la gauche », mais plutôt en face de trois choses distinctes : d’une part, la viabilité d’un gouvernement du PS, par opposition à un gouvernement de coalition de droite ; d’autre part, un éventuel changement durable des relations entre les partis parlementaires de gauche ; et enfin un mystère : comment évoluera chacun des partis à la gauche du PS, à partir de ce moment, quant à sa ligne programmatique ? Iront-ils s’engager dans le soutien inconditionnel au gouvernement ? Iront-ils bloquer ou instrumentaliser les mouvements sociaux au nom d’un tel soutien ? Abandonneront-ils une fois pour toutes la question de la dette publique et de son audit ? D’un point de vue rhétorique, les trois partis ont déjà répondu : ils ne laisseront pas tomber leurs objectifs programmatiques, tout en soutenant le gouvernement du PS à condition que celui-ci honore ses accords. Nous pouvons seulement espérer que la pratique confirme la rhétorique.

Le programme de gouvernement du PS

La tactique préférentielle pour un gouvernement PS repose sur sa promesse d’annuler les mesures d’austérité. Bien sûr, certaines de ces promesses sont fragiles, étant donné le rôle historiquement joué par PS dans l’affaiblissement des droits des travailleurs, dans la construction d’une Europe antidémocratique et inégalitaire, dans la dette publique, dans la privatisation des entreprises et secteurs stratégiques, dans l’entrée du FMI et de la troïka au Portugal (plus d’une fois et toujours par la main du PS), et ainsi de suite. Malgré toute cette histoire, il est un fait que le programme de gouvernement du PS et les accords de gauche contiennent de nombreux souffles d’espoir qui méritent d’être mis en évidence. Il serait trop long d’analyser tous les aspects du programme, alors je vais mettre en évidence quelques-uns parmi les plus importants.

Une série d’initiatives anti-austérité

Je commence par transcrire certaines des promesses dont la réalisation conditionne le maintien des accords de gauche et qui sont textuellement identiques dans les trois accords |3| :

Le dégel des pensions ; la réinstallation des jours congés supprimés ; une bataille forte contre la précarité […] ; la révision de la base de calcul des cotisations versées par les travailleurs précaires ; [...] la reprise du droit à la négociation collective pour les fonctionnaires ; le remplacement complet du supplément de pension des travailleurs des entreprises appartenant à l’État ; réduction [de 23%] à 13% de la TVA pour la restauration ; [...] la garantie de la protection de la résidence principale face aux saisies ; [...] Le renforcement des capacités du Service national de santé […] ; assurer, d’ici à 2019, l’accès à l’éducation préscolaire pour tous les enfants à l’âge de trois ans ; [...] intégration définitive des enseignants et du personnel non enseignant des écoles ; la réduction du nombre d’élèves par classe ; des manuels scolaires progressivement gratuits pour l’enseignement obligatoire ; l’intégration des chercheurs postdoctorants dans les laboratoires et autres organismes publics […] ; l’inversion des processus de concession / privatisation des entreprises de transport terrestre ; le refus de tout nouveau processus de privatisation.

Certaines de ces revendications sont plutôt programmatiques et ne valent que par leur annonce ; d’autres nécessitent de prendre des mesures concrètes (c’est le cas de la lutte contre la précarité) ; dans ces cas, nous ne voulons pas faire de procès d’intention, il faudra attendre et voir.

Le taux de cotisation sociale (TSU)

L’un des effets les plus importants des négociations a été l’abandon d’une mesure prévue dans le programme PS, mesure dont les effets seraient dévastatrices pour la sécurité sociale : la réduction de 4 points des taux des cotisations sociales versées par les employeurs. Les trois accords sont clairs à cet égard :

Aucune réduction du taux de cotisation des employeurs ne sera incluse dans le programme du gouvernement ; [...] Réviser les exonérations et réductions de l’impôt social unique (TSU) qui étaient l’exception à l’origine sont devenues la règle, ce qui provoque la perte de plus de 500 millions d’euros de recette fiscale par an [...]

L’IRC (impôt sur le revenu des personnes morales) et le soutien aux entreprises

Le programme du gouvernement prévoit :

Extension du système des incitations fiscales pour les PME par le biais de l’impôt sur le revenu des personnes morales (IRC) ; Créer un système d’incitations pour l’installation d’entreprises et l’augmentation de la production dans les territoires frontaliers, y compris par le biais d’un avantage fiscal en IRC, modulé par la répartition régionale de l’emploi ; [...]

à savoir : 1) les réductions successives de l’IRC demeurent (ce qui signifie que le Capital continue à payer beaucoup moins d’impôt que les travailleurs) ; 2) certains critères d’attribution de « cadeaux fiscaux » sont réexaminés ; 3) Cependant, de nouvelles exemptions et des allègements seront créés ; 4) Je n’ai pu trouver dans le document du PS aucune garantie que les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises, aux quasi-monopoles et aux banques seront abolies ; de plus, le plan de réduction progressive de l’ IRC au cours des prochaines années, monté par le gouvernement de droite, ne semble pas être explicitement mis de côté dans le programme du nouveau gouvernement.

Figure 1 – Comparaison entre l’imposition sur les revenus des travailleurs (en rouge) et l’imposition sur les revenus des sociétés (en vert).

Pour comprendre l’impact des cadeaux fiscaux il est nécessaire d’observer son évolution. Comme on le voit dans la figure 1, le ratio IRS/IRC passe de 1,8 en 2001 à 2,7 en 2013 – c’est à dire que le travail rémunéré (en 2013) verse presque trois fois plus d’impôts sur le revenu, comparativement au Capital. Ce déséquilibre est dû aux facteurs suivants : 1) le faible niveau des taux d’imposition sur le Capital ; 2) les cadeaux fiscaux aux entreprises, qui passent d’un total de 199 millions en 2001 à 745 millions d’euros en 2013 (prix courants) ; 3) l’augmentation des taux d’imposition sur les travailleurs et les retraités. En bref, les réductions et les allègements d’IRC affectent dangereusement les ressources collectives donc la mise en œuvre des politiques sociales et de la solidarité.

Les avantages économiques proclamés des « incitations fiscales » sont, à mon avis, de la pure spéculation ; elles ne garantissent pas l’investissement productif ou la création d’emplois. Lorsque l’État fournit un cadeau fiscal, celui-ci n’est pas accompagné par un pistolet pointé sur la tête et une carte de protocole disant : soit vous investissez dans la production et l’emploi soit on vous met une balle dans le cerveau. Les cadeaux fiscaux ont juste l’effet immédiat d’augmenter les profits de l’employeur et de réduire les ressources publiques ; ce que l’employeur ou l’actionnaire va faire avec ce surplus n’est pas conditionné par les lois fiscales, mais plutôt par la cupidité : si le taux effectif des revenus du capital est plus élevé à la loterie ou aux obligations d’État ou à la spéculation boursière, les excédents fournis par les cadeaux fiscaux iront vers ceux-ci. Si les cadeaux fiscaux déjà assez nombreux pouvaient faire preuve d’efficacité dans la création d’emplois et le développement de l’économie, le Portugal serait débordant d’investissement productif et à cet instant nous serions tous à genoux priant aux migrants de tous les coins du monde de venir travailler ici, parce que les travailleurs locaux ne seraient pas suffisants. C’est une évidence que les cadeaux fiscaux sont déjà assez généreux et parfois scandaleux, mais la production nationale continue d’être incapable d’obtenir l’autonomie locale, la balance commerciale est en berne, le taux de chômage est tragique, l’émigration a atteint des niveaux records et les excédents d’exploitation fuient continuellement hors du pays.

Voici un sujet où, comme pour d’autres, nous devons attendre pour apprendre comment seront reconfigurés, en termes pratiques, les « incitations fiscales » mais dès le départ c’est très préoccupant, car elles peuvent réduire de manière significative les ressources collectives.

Les relations de travail

Un autre point du programme PS qui a été modifié sous l’influence des négociations à gauche est la création de mécanismes de conciliation des litiges au sein des entreprises. Là aussi nous devons attendre les initiatives concrètes du nouveau gouvernement pour réaliser dans quelle mesure le PS a renoncé à ce projet, parce que d’une part nous lisons dans une note marginale que « la procédure de conciliation a été abandonnée », d’autre part le programme du gouvernement dit qu’ils veulent « étudier avec les partenaires sociaux l’adoption des mécanismes d’arbitrage alternatifs pour régler les différends dans le contexte des conflits du travail, sans préjudice du droit de recours devant les tribunaux ». Ce point du programme est justifié par la nécessité d’accélérer la résolution des conflits du travail, mais il reste toujours préoccupant.

Le document prévoit également la lutte contre la précarité, la réduction du « nombre excessif de contrats à durée déterminée », la « limitation du régime de contrat à durée déterminée », l’aggravation de la contribution sociale des entreprises avec « turnover excessif de ses cadres », la révision de l’effort contributif des travailleurs « indépendants » qui dépendent d’une seule entité adjudicatrice, et d’autres actions qui peuvent constituer une importante amélioration des relations de travail (en fonction de la façon dont ils seront mis en œuvre).

Cependant, beaucoup de cancers restent dans le marché du travail – par exemple, les organismes qui vivent au détriment de la sous-traitance et de l’externalisation du travail, ils devraient tout simplement être interdits (ils différent peu de l’esclavage ou des proxénètes). D’autre part, l’État s’engage à limiter son propre usage du travail précaire.

L’Union européenne

Le PS a été jusqu’à présent un avocat et co-créateur de l’architecture actuelle de l’UE et s’accommode avec les normes et les traités européens. Cette défense radicale de l’UE se pose maintenant dans le programme de gouvernement d’une façon tempérée, sur des aspects spécifiques, par l’accord de gauche (mais sans remettre en cause l’essentiel de l’architecture européenne). La liste des propositions sur ce point est vaste ; je mets en évidence quelques points seulement :

Ce ne fut pas la rigidité des marchés ou des produits et services du travail qui a causé la forte hausse du chômage et les divergences dans la zone euro. Ce fut une crise financière mondiale et les erreurs de politique économique ultérieures, notamment en optant pour des politiques d’austérité en Europe [...]

Le programme recommande une « interprétation plus souple du Pacte de stabilité et de croissance » et la consolidation « de la BCE en tant que garant de la stabilité monétaire, mais aussi en tant que prêteur de dernier ressort en Europe ». « L’Europe a besoin d’investissements pour stimuler la croissance et la création d’emplois, mais aussi d’accélérer la transition vers une économie verte, intelligente et inclusive ».

La « coopération entre entités publiques et privées » est également préconisée, sans préciser si cela signifie la prolifération des fatidiques partenariats public-privé (PPP) et la soumission des universités et des centres de recherche aux diktats des « marchés ».

Il préconise l’approfondissement du Fonds de résolution bancaire et du marché unique de capitaux et l’idée que « l’union économique et monétaire (UEM) a besoin d’ajouter à la monnaie unique sa propre capacité budgétaire, construite progressivement, par exemple sur la base des ressources obtenues par le biais de la taxe future sur les transactions financières ».

Dans le domaine social et du travail, « nous devons définir avec précision la force juridique des normes du travail et de la protection sociale assurée dans l’espace européen et la zone euro », assurer « la lutte contre la pauvreté et le chômage et la promotion de la qualité de vie pour tous », appliquer « des mesures au niveau européen pour lutter contre le chômage, y compris la garantie et le financement des prestations sociales ».

La question de la démocratie européenne est présentée ainsi : « Le Portugal doit défendre l’approfondissement de l’intégration européenne, mais continuer à défendre la méthode communautaire de la décision, qui met la Commission au centre de l’action exécutive » ; « La mise en œuvre de nouveaux mécanismes efficaces pour une participation effective des parlements nationaux dans le processus politique européen » ; « La création d’un système institutionnel pour que la Commission européenne et des gouvernements rendent des comptes auprès des parlements nationaux » ; « La liberté de mouvement dans l’espace ne peut pas être remise en question, sous aucun prétexte, que ce soit économique, politique ou au nom de la sécurité, et on doit aussi rejeter toutes les propositions nationalistes et xénophobes visant à menacer ce droit ».

Il est temps de mettre fin à l’idée que « les réformes structurelles » impliquent nécessairement la voie de la réduction des droits du travail, la privatisation des secteurs stratégiques de l’économie et la réduction des droits sociaux. [...] les « réformes structurelles » qui doivent être mises en œuvre sont différentes.

Un grand nombre de ces déclarations créent le suspense, puisque elles peuvent être réalisées de nombreuses manières différentes. D’autres sont inquiétantes en elles-mêmes : « nous devons appuyer la négociation du TTIP (Traité de commerce et d’investissement de l’UE / États-Unis), en respectant les valeurs fondatrices du modèle économique et social européen et en garantissant la défense des intérêts nationaux dans la négociation » – hélas, nous avons déjà appris que les garanties invoquées n’existent pas dans le cadre des négociations en cours ; donc, au-delà de la rhétorique, il semble que la chose principale qui reste est la suivante : le gouvernement du PS est prêt à soutenir le TTIP à n’importe quel prix.

« Améliorer la qualité de la démocratie »

Dans le chapitre de l’administration de l’appareil d’État et des mécanismes démocratiques, le programme contient un certain nombre d’aspects intéressants, s’ils étaient mis en œuvre :

[...] Le développement de nouveaux droits de participation du citoyen, par exemple à travers un programme de questions directes au gouvernement de la République [...]

La lutte contre la corruption [...]

La promotion de mécanismes permanents de consultation des mouvements sociaux et citoyens [...]

L’évaluation annuelle de l’accomplissement des promesses faites dans le programme du gouvernement, avec la participation d’un groupe de citoyens choisis au hasard parmi les électeurs qui se sont pré-inscrits [...]

Dans la version finale du programme la proposition d’introduire des circonscriptions uninominales a été éliminé (en effet, elle conduit inévitablement au bipartisme).

La dette publique

Le PS a toujours été un défenseur du paiement intégral de la dette et les expressions « audit de la dette » ou « dette illégitime » sont des tabous jamais prononcés, à ma connaissance. C’est donc un peu surprenant que le programme du gouvernement stipule que « toutes les occasions devraient être explorées, d’une façon coopérative entre les États et les institutions, pour réduire le fardeau du service de la dette dans les budgets nationaux » – ce que semble ouvrir la porte à une restructuration de la dette, qui d’ailleurs satisfait aussi le goût des partis parlementaires à la gauche du PS.

Maintenant quoi ?

Apparemment, il n’y a pas de mouvements sociaux vigoureux, comme en Espagne. La gauche parlementaire portugaise acquiert ainsi un poids assez lourd dans l’enjeu des transformations sociales et politiques – et nous continuons dans l’incertitude à propos des mesures que ces partis mettront en œuvre (ou non) par rapport à un ensemble de problèmes cruciaux : la croissance de la dette en mode roue libre, l’assujettissement à des politiques européennes absolument contraires aux intérêts des populations, l’absence totale de contrôle des sociétés financières, ...

Nous revenons donc à la question que je pose ci-dessus : que vont faire les partis à la gauche du PS sur les questions fondamentales qui déterminent le succès ou l’échec, au fil du temps, de toute mesure anti-austérité ? (puisque le PS ne veut pas toucher à ces questions).

Dans le long terme il serait de la plus haute importance que les mouvements sociaux se renforcent et ne se laissent pas utiliser comme des outils pour soutenir, à tout prix, un gouvernement qui promet d’annuler les mesures d’austérité ; il faudrait qu’ils arrivent à comprendre le nouveau paradigme et réussissent à forcer les partis de la gauche parlementaire et le gouvernement à corriger certaines de ses trajectoires les plus floues.

Révisé par Claude Quémar.

Notes

|1| Le système constitutionnel portugais est non-presidentialiste. Cela veut dire que le Président de la République doit être complètement indépendant du pouvoir exécutif (le gouvernement). Il ne peut pas choisir un premier ministre selon ses propres goûts politiques, il doit le nommer en fonction des résultats électoraux et des équilibres au Parlement. À part ça, son rôle est surtout de garantir le respect de la Constitution (donc vigiler les pouvoirs exécutif, législatif et local), convoquer des élections quand nécessaire et représenter le pays.

|2| N’oublions pas, cependant, que, pour des questions spécifiques – telles que l’avortement, la discrimination entre les sexes, les droits des LGBT, etc. – il y a eu une certaine coordination entre les partis de gauche – mais pas de la portée des accords actuels.

|3| Les accords sont constitués de documents signés, sous la rubrique « Position commune du Parti socialiste et de [Bloc de Gauche / PC / PEV] sur la solution politique », et peuvent être trouvés sur les sites respectifs des partis. La dernière version du « Programme du Gouvernement pour la XIIIe législature » peut être téléchargé depuis le site du PS.

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