Édition du 15 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

USA : l’élection de tous les dangers

Le peuple américain se rendra aux urnes le 5 novembre pour élire le président des États-Unis – certains dans quelques États auront déjà pu voter plus tôt – et choisir entre l’ancien président Donald Trump, le leader autoritaire de ce qui est devenu un parti républicain d’extrême droite et la vice-présidente Kamala Harris, une démocrate quelque peu progressiste, qui s’est maintenant déplacée vers la droite, est devenue une modérée, et qui continue de soutenir Israël inconditionnellement, malgré sa guerre génocidaire contre la Palestine. L’élection présente plusieurs dangers connexes, d’une victoire de Trump qui pourrait mettre fin à la démocratie américaine à une élection serrée qui pourrait entraîner des manifestations violentes et peut-être une autre tentative de coup d’État et puis aussi le danger que si Harris gagne elle soit incapable de maintenir les États-Unis en dehors d’une guerre au Moyen-Orient qui s’élargit. Nous y reviendrons plus loin.

Tiré de Entreleslignesentre les mots
8 octobre 2024

Par Dan La Botz

Les deux candidats sont statistiquement à égalité dans les sondages en ce qui concerne le nombre total de voix, mais pour gagner l’élection, un candidat doit remporter non pas la majorité du vote populaire, mais la majorité du vote du collège électoral. Dans cette compétition, l’essentiel est de gagner les « swing states », c’est-à-dire les États qui ne sont pas déterminés par un parti ou un autre et qui pourraient voter soit pour les républicains, soit pour les démocrates. Il y a trois millions d’électeurs indécis dans ces États, mais l’élection sera décidée par quelques centaines de milliers ou même seulement quelques dizaines de milliers d’électeurs ambivalents ou jusqu’à présent indécis dans ces États. Toute l’attention, l’argent et les plans de voyage des candidats sont concentrés sur l’obtention de ces votes.

La campagne électorale se déroule dans un climat de violence. Il y a eu deux tentatives d’assassinat de Trump et des coups de feu ont été tirés dans un bureau de campagne de Harris à Tempe, en Arizona. Quarante pour cent des fonctionnaires électoraux, ceux qui gèrent les bureaux de vote ou comptent les voix, ont été menacés ou harcelés.

Trump fait campagne en grande partie sur l’économie, qui comprend le coût élevé de la vie, les impôts et le commerce extérieur et il promet d’arrêter l’inflation croissante, de réduire les impôts et d’améliorer le commerce extérieur grâce à d’énormes droits de douane – 10, 20, 50% – sur les produits importés. Mais lors de ses rassemblements et de ses interviews, il n’explique guère comment sa politique économique fonctionnera et les économistes de tous bords affirment que les droits de douane pourraient détruire l’économie américaine et peut-être même l’économie mondiale.

Plus récemment, Trump, lors d’un rassemblement, a promis une « renaissance manufacturière », en attirant les investissements étrangers, en créant des zones manufacturières, en réduisant les impôts et en éliminant les réglementations environnementales. Et donc en « volant » des millions d’emplois dans d’autres pays.

La plupart du temps, cependant, Trump, dans ses rassemblements de milliers de personnes, s’insurge contre ce qu’il appelle une invasion d’immigrants qui, selon lui, sont des « animaux », de la « vermine » et « empoisonnent le sang de notre pays ». Il prétend que les immigrants sont des criminels issus des prisons et des asiles d’aliénés du monde entier, qu’ils ont envahi et pris le contrôle de certaines villes et qu’ils « détruisent le tissu de notre pays ». C’est pourquoi il dit que la criminalité est en baisse dans d’autres pays mais en hausse dans le nôtre bien qu’en fait la criminalité soit en baisse aux États-Unis. Ses affirmations selon lesquelles les immigrants sont des criminels et des malades mentaux et selon lesquelles les taux de criminalité sont en hausse aux États-Unis sont toutes les deux fausses. Plus récemment, il a affirmé que les Haïtiens avaient pris le contrôle de la ville de Springfield, dans l’Ohio, et qu’ils mangeaient les chats, les chiens, les animaux domestiques et les oies de cette ville, affirmations pour lesquelles des responsables, du maire au gouverneur de l’État, ont déclaré qu’elles n’étaient absolument pas fondées. Le fils de Trump, Donald Jr, a déclaré que les Haïtiens avaient un QI inférieur à celui des autres personnes. Trump a promis que les services de l’immigration et la Garde nationale seraient utilisés – en violation de la loi actuelle – pour rassembler des millions d’immigrés, les placer dans des camps de concentration et les expulser vers leur pays d’origine. Et, dit-il, il commencera par Springfield.

Une nation divisée de fond en comble

Qui soutient ce démagogue réactionnaire et raciste ? La base de Trump, Make America Great Again (MAGA), est composée en grande majorité de Blancs employés par des petites et moyennes entreprises – avocats, agents immobiliers, propriétaires de magasins, vendeurs, cadres moyens d’entreprise, etc. – et vivant dans les banlieues ou les zones rurales (Chris Dite, Jacobin, 16 avril 2024). Un pourcentage élevé de travailleurs blancs généralement définis par les sondages comme ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures soutiennent également Trump, bien qu’il ait perdu le soutien de certains d’entre eux récemment. Il a également gagné le soutien de certains hommes noirs et latinos. De nombreux trumpistes sont des chrétiens évangéliques qui, quel que soit son comportement personnel, voient en Trump un défenseur de leur foi, un fervent opposant à l’avortement, un antigay et un anti-trans. Dieu se sert de lui, disent-ils. Plus de la moitié des pasteurs protestants disent qu’ils voteront pour Trump, un quart est pour Harris, et près d’un quart est indécis (Aaron Earls, Christianity Today, 17 septembre 2024). Certains partisans de Trump sont des adeptes de Q-Ânon et croient qu’une cabale de pédophiles dirige le pays et se livre au trafic sexuel d’enfants. Les fabricants d’armes soutiennent Trump, tout comme la National Rifle Association qui l’a soutenu en raison de ses promesses de lutter contre le contrôle des armes à feu.

Qu’en est-il des grandes entreprises ? Soutiennent-elles Trump ?

La classe capitaliste américaine, historiquement divisée entre les deux partis, les soutient souvent tous les deux à des degrés différents, et les capitalistes passent fréquemment d’un camp à l’autre, ce qui modifie l’équilibre. Après la « révolution » conservatrice du président Ronald Reagan, le Parti républicain s’est mis à la disposition des entreprises. Trump, malgré ses discours populistes contre les élites, a également servi les grandes entreprises et les riches, en réduisant leurs impôts, en supprimant les réglementations et en entravant les syndicats. Et il promet d’accentuer cette ligne lors de son prochain mandat. Lors d’une réunion avec des cadres pétroliers en mai de cette année, par exemple, il leur a dit que s’ils lui donnaient un milliard de dollars pour revenir à la Maison Blanche, il se débarrasserait des réglementations environnementales de Biden.

Les grandes entreprises et les très riches sont comme toujours divisés, certaines soutenant Trump et d’autres Harris, bien qu’elle ait fait mieux que lui. Selon leurs déclarations officielles faites au gouvernement, au 21 septembre, la campagne de Harris et le Comité national démocrate abordent les deux derniers mois de l’élection de 2024 avec 286 millions de dollars en banque, contre 214 millions pour la campagne de Trump et le comité national républicain. Les analystes politiques ont toujours regardé de près quels secteurs – la finance, l’industrie, le commerce, etc. – forment le soutien bourgeois aux différents candidats politiques américains à la présidence. Par exemple, ils ont constaté que Franklin D. Roosevelt, le président qui a créé l’État-providence américain moderne, était soutenu par les industries de consommation (automobiles, pétrole, électricité, grands magasins), tandis que ses adversaires républicains étaient soutenus par la haute finance et l’industrie lourde, comme la banque Morgan et US Steel.

On ne sait pas exactement quel secteur constitue la base du soutien financier de Trump. Ses plus grands soutiens sont l’industriel high-tech Elon Musk, susceptible de devenir bientôt le premier trillionaire au monde, Timothy Mellon, héritier d’une fortune pétrolière, Miriam et feu Sheldon Adelson, exploitants de casinos Linda et Vince McMahon de World Wrestling Entertainment [1], Diane Hendricks d’ABC, fournisseur de matériaux de construction, Kelsey Warren, constructeur de pipelines ; Timothy Dunn, pétrolier texan, Richard et Liz Uhlein, propriétaires d’une société de matériaux d’emballage, Jeff Sprecher et sa femme Kelly Loeffler d’International Exchange qui possède la Bourse de New York, et une variété d’autres grandes entreprises et de riches particuliers issus de différents secteurs financiers et industriels. Le colistier de Trump, J. D. Vance, est soutenu par le milliardaire de la technologie Peter Theil.

En tant qu’ancienne sénatrice de Californie et démocrate, il n’est pas surprenant que les plus grands donateurs de Harris soient les sociétés high-tech de la Silicon Valley et de Hollywood, qui sont de toute façon des donateurs financiers démocrates traditionnels. Parmi eux, Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, le site web social, Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook, Melinda French Gates de Microsoft, Laurene Powell Jobs, l’ancienne épouse de Steve Jobs d’Apple, Jeffrey Katzenberg, ancien président de Walt Disney Studios, James Murdoch, ancien PDG de 21st Century Fox, Jeff Bewkes de Time Warner, Barry Diller, ancien PDG de Paramount. En outre, George Soros, l’homme d’affaires et investisseur milliardaire, et son fils Alex Soros soutiennent Harris. Les stars de Hollywood qui soutiennent Harris sont plus nombreuses que celles qui soutiennent Trump, la plus célèbre d’entre elles étant Taylor Swift. Bien sûr, certains magnats de Hollywood et géants de la technologie soutiennent également Trump, mais Harris semble plus forte dans ces secteurs les plus avancés de l’économie américaine.

Que fera le gouvernement américain en cas d’élection serrée ?

Il n’y aurait pas de réponse unifiée. Les États-Unis ont aujourd’hui un gouvernement divisé. Joe Biden est le président, et Harris, la vice-présidente, tous deux démocrates. Au Sénat, les démocrates disposent d’une faible majorité de 51 voix (provenant de 47 démocrates et de quatre indépendants) tandis que les républicains en ont 49. Les Républicains ont également une très faible majorité à la Chambre des représentants, 220 contre 211 pour les démocrates. La Cour suprême est effectivement devenue républicaine. Trump a nommé trois juges ce qui donne aux conservateurs une majorité de six contre trois. Elle est bien plus conservatrice que la plupart des autres cours modernes. Cela lui a permis d’abolir l’arrêt Roe v. Wade retirant aux femmes le droit à l’avortement protégé par le gouvernement fédéral et conduisant à l’interdiction de l’avortement dans quatorze États et à des limitations strictes dans treize autres. La Cour a également adopté un certain nombre d’autres mesures conservatrices et a notamment voté par six voix contre trois l’immunité présumée d’un président pour la plupart de ses actes officiels. Comme l’a écrit l’ACLU :

Au fond, la majorité de six contre trois de la Cour permet aux présidents d’utiliser leurs pouvoirs officiels pour commettre des actes criminels sans avoir à rendre compte de leurs actes.

Le programme de Kamala Harris

Le point fort de Harris qui lui a valu un très large avantage parmi les électrices est sa promesse de rétablir la protection fédérale de l’avortement et des autres droits reproductifs. Harris bénéficie de la coalition habituelle des candidats du Parti démocrate : syndicats, organisations noires, groupes latinos et asiatiques, mais surtout du soutien des organisations féminines.

En ce qui concerne plus généralement la politique intérieure, Kamala Harris, remplaçant Joe Biden en tant que candidate et entrant dans l’élection assez tardivement, n’avait pas élaboré de programme à part entière. Ayant été la vice-présidente de Biden, elle se présente en grande partie sur la base de ses réalisations législatives. Depuis les années 1980, sous l’égide de républicains comme Ronald Reagan et de démocrates comme Bill Clinton ou Barack Obama, les États-Unis et leurs alliés ont créé une économie mondiale néolibérale basée sur la déréglementation, la privatisation, la réduction des dépenses sociales et la diminution du pouvoir des syndicats. La Grande Récession 2008 a été la crise de cet ordre néolibéral mondial et a conduit à la fois au mouvement conservateur du Tea Party et à Occupy Wall Street. Les campagnes de francs-tireurs du démocrate Bernie Sanders et du républicain Donald Trump en 2016 étaient des réactions à cette crise et des réponses de ces mouvements.

La crise du néolibéralisme qui a débuté lors de la Grande Récession de 2008, puis qui s’est compliquée avec la pandémie de COVID et la récession économique consécutive, a conduit Joe Biden à adopter les programmes économiques et sociaux les plus progressistes depuis l’ère du démocrate Lyndon B. Johnson (1963-1969). Les programmes économiques et sociaux les plus importants de Joe Biden ont été la loi sur le plan de sauvetage américain (1 900 milliards de dollars) pour soutenir les entreprises et les travailleurs pendant le COVID, la loi sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi (1 200 milliards de dollars) et la loi sur la réduction de l’inflation (369 milliards de dollars) pour faire face aux problèmes climatiques. Ces mesures ont restauré l’économie américaine qui a connu une croissance de 5,7% au cours de sa première année de mandat générant le taux de croissance le plus élevé depuis 40 ans et ont fait baisser le taux de chômage à 3,9 %, le pays ayant enregistré le nombre de nouvelles demandes d’allocations-chômage le plus bas depuis cinquante ans. Biden a ensuite été confronté au problème de l’inflation élevée, qui est passée de 1,4% en janvier 2021 à un pic de 9,1% en juin 2022, un problème très grave, bien que l’inflation soit aujourd’hui négligeable. Harris qui en tant que vice-présidente n’avait pas de programme économique propre peut revendiquer les succès et accepter les échecs de l’administration Biden. Le problème, c’est que de nombreux Américains jugent l’économie non pas en termes de rapports d’activité, mais tout à fait personnellement. Le coût de l’essence, le prix des denrées alimentaires et le coût du logement ont augmenté. Pourtant, bien que le prix de l’essence soit inférieur à 3 dollars le gallon dans la majeure partie du pays, que les taux d’intérêt aient baissé de plus d’un point de pourcentage et que les prix des produits alimentaires aient chuté, la moitié des Américains pensent que l’économie va mal et pour la plupart d’entre eux, c’est la question la plus importante de l’élection. Aujourd’hui, Mme Harris qualifie son programme économique d’« économie d’opportunité » qui réduira les coûts pour les familles.

En bref, c’est un plan pour stimuler le capitalisme américain et elle ne prend aucune mesure qui changerait fondamentalement les structures économiques actuelles. Elle demande une réduction d’impôts pour les familles de la classe moyenne et de la classe ouvrière ; elle s’engage à construire trois millions de maisons et d’immeubles ; elle promet de soutenir davantage les petites entreprises en leur offrant des déductions fiscales ; elle affirme qu’elle renforcera et étendra la loi sur les soins abordables et qu’elle protégera Medicare et la Sécurité sociale ; elle veut apporter aux familles des services de garde d’enfants abordables et améliorer également les soins aux personnes âgées ; enfin, elle veut « réduire les coûts de l’énergie et s’attaquer à la crise du climat ». Autrefois très progressiste sur les questions d’énergie et du climat, elle a modéré ses positions et, par exemple, accepte désormais la fracturation [2]. Contrairement à Trump, elle comprend que les combustibles fossiles contribuent à la crise climatique mais son point de vue reste modérément progressiste.

Joe Biden a bénéficié d’un soutien important des syndicats, surtout en raison de son soutien à la grève des travailleurs de l’automobile l’année dernière en devenant le premier président venir sur un piquet de grève aux côtés des travailleurs. Ce soutien s’est reporté sur Kamala Harris. Aujourd’hui, ce sont les dockers de l’International Longshoremen’s Association qui sont en grève. Leur syndicat représente 45 000 dockers dans 36 ports de la côte Est et du golfe du Mexique, du Maine au Texas. Ils traitent environ la moitié du fret maritime du pays. La grève porte sur l’automatisation et les salaires. Joe Biden s’est rangé du côté du syndicat. Ces entreprises, a déclaré Joe Biden, « ont réalisé des bénéfices incroyables, plus de 800% depuis la pandémie, et les propriétaires gagnent des dizaines de millions de dollars grâce à cela ». « Il est temps, a-t-il ajouté, qu’elles s’assoient à la table des négociations et de faire cesser la grève. » Le gouvernement fédéral a le pouvoir d’intervenir et, si la grève se poursuit, des pressions s’exerceront sur Biden pour qu’il impose un accord. Et s’ils ne sont pas contents de l’accord, les syndicats pourraient se retourner contre lui ce qui ne serait pas une bonne chose pour la candidate démocrate.

Harris a complètement soutenu la politique étrangère de Biden, appuyant Israël et sa guerre contre Gaza, soutenant la guerre de l’Ukraine contre l’invasion russe et s’opposant aux ambitions impériales rivales de la Chine. Le gros problème de Harris, en particulier avec les libéraux, les progressistes et la gauche ainsi qu’avec les Arabes et les musulmans américains, est son soutien total à Israël. La réputation de Harris d’être plus progressiste que Biden sur la question de la guerre d’Israël contre Gaza est basée sur des déclarations comme celle qu’elle a faite après sa rencontre avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou : « Ce qui s’est passé à Gaza au cours des neuf derniers mois est dévastateur. […] Les images d’enfants morts et de personnes désespérées et affamées fuyant pour se mettre à l’abri, parfois déplacées pour la deuxième, troisième ou quatrième fois – nous ne pouvons pas détourner le regard face à ces tragédies », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je ne resterai pas silencieuse. » Les propos qu’elle a tenus dans son discours de remerciement étaient plus faibles :

L’ampleur de la souffrance est déchirante. Le président Biden et moi-même travaillons à mettre fin à cette guerre de telle sorte qu’Israël soit en sécurité, que les otages soient libérés, que la souffrance à Gaza prenne fin et que le peuple palestinien puisse réaliser son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l’autodétermination.

Contrairement à Trump et à Netanyahou, elle soutient une solution à deux États.
Aujourd’hui, la situation est bien entendu encore plus compliquée par la guerre entre Israël et le Hezbollah, l’invasion israélienne du Liban, de l’attaque de l’Iran contre Israël et de la guerre larvée entre les deux pays.

Les belles paroles de Harris n’ont toutefois été accompagnées d’aucune proposition ou action de sa part. Et cela pourrait lui coûter les élections. Le Michigan compte entre 200 000 et 300 000 électeurs arabo-américains, et lors des primaires, plus de 100 000 d’entre eux ont refusé de voter pour Harris et ont préféré voter sans s’engager. Un sondage du Council on American-Islamic Relations (Conseil des relations américano-islamiques) publié en septembre a montré que dans le Michigan, 40% des électeurs musulmans soutenaient la candidate du Parti vert, Jill Stein ; 38 % soutenaient Trump ; et seulement 18 % voteraient pour Harris.

La campagne de Trump et le Projet 2025

Lors des rassemblements de campagne de Trump – et il en a organisé des dizaines au cours des quatre dernières années – il affirme que les États-Unis sont une nation défaillante parce qu’elle n’a pas été capable de défendre ses frontières contre ce qu’il appelle l’invasion des immigrés. Il affirme qu’à la fin de sa première présidence, il a laissé le pays en pleine forme sur le plan économique mais que les immigrants ont apporté la criminalité et ont pris les emplois des travailleurs américains, en particulier des Latinos et des Noirs. Trump promet qu’en tant que président, il lancera un effort national pour rassembler des millions d’immigrés illégaux et les expulser, ce qui améliorerait l’économie. Son plan économique central consiste à réduire les impôts des riches et à augmenter les droits de douane sur les biens importés. Il nie le changement climatique et l’un de ses mantras est « Drill, baby, drill [3] », exprimant sa volonté de reconstruire l’économie sur le charbon, le pétrole et le moteur à combustion interne – bien que depuis qu’il est devenu ami avec Musk il ne soit plus aussi critique à l’égard des véhicules électriques. S’il touche à la politique étrangère, c’est pour dire qu’il réduirait le soutien à l’Ukraine, mais d’un autre côté, il promet : « J’apporterai à Israël le soutien dont il a besoin pour gagner, mais je veux qu’il gagne vite. »

Bien que Trump n’ait pas de plan précis pour son administration – il n’est pas très doué pour la planification –, un certain nombre de ses conseillers, travaillant pour la fondation conservatrice Heritage Foundation, ont produit un plan de 900 pages pour sa prochaine administration, appelé Projet 2025. Trump prétend ne rien savoir à ce sujet, mais neuf de ses anciens secrétaires de cabinet ont aidé à le rédiger et 140 autres anciens fonctionnaires et bureaucrates de l’administration Trump y ont participé. L’Union américaine pour les libertés civiles, qui défend depuis longtemps nos droits, l’a qualifié de « feuille de route sur la façon de remplacer l’État de droit par des idéaux de droite ».

La démocratie américaine n’est pas parfaite, loin de là, mais, même s’il y a des abus, nous avons toujours des droits démocratiques fondamentaux et des libertés civiles. Comme l’explique l’American Civil Liberties Union (ACLU) [4], le projet 2025 propose de réorganiser le pouvoir exécutif et de l’utiliser pour limiter davantage l’avortement, de cibler « les communautés d’immigrants par des déportations massives et des raids en mettant fin à la citoyenneté de naissance, en séparant les familles et en démantelant le système d’asile de notre nation », d’accroître le pouvoir de la police et de réprimer les protestations sociales, de limiter l’accès au vote, de censurer les discussions sur la race, le genre et l’oppression systématique dans les écoles et les universités et de faire reculer les droits des transgenres, entre autres choses. Le projet 2025 éliminerait également des dizaines de milliers de travailleurs de la fonction publique fédérale et les remplacerait par des personnes nommées pour des raisons politiques et fidèles au président. Il représente la première étape du démantèlement de la démocratie américaine et de la création d’un gouvernement autoritaire. Cela commencera par l’élection de Trump ou sa prise de pouvoir par un coup d’État.

Les deux dangers

Il existe deux dangers imminents. Le premier est que si Trump remporte une victoire décisive, il établira un régime autoritaire et pourrait abolir les institutions démocratiques et les droits civiques et instaurer un ordre véritablement fasciste. Le sénateur démocrate Richard Blumenthal du Connecticut a récemment déclaré :

Il existe un éventail d’horreurs qui pourraient résulter de l’utilisation sans restriction de la loi sur l’insurrection par Donald Trump. Un président aux motivations malignes pourrait l’utiliser dans une vaste gamme de moyens dictatoriaux, à moins qu’à un moment donné, les militaires eux-mêmes ne résistent à ce qu’ils considèrent comme un ordre illégal. Mais cela fait peser un très lourd fardeau sur les militaires (NBC News, 14 janvier 2024).

Souvenons-nous que lorsque Trump était président, il a menacé de déployer l’armée pour réprimer les énormes manifestations nationales Black Lives Matter de 2020, mais les responsables civils et militaires lui ont résisté et l’ont mis en échec. Ils risquent de ne pas pouvoir le faire la prochaine fois. William Cohen, ancien sénateur républicain du Maine et ancien secrétaire à la défense, a récemment averti, en parlant de Trump :

Nous sommes à environ 30 secondes de l’horloge de l’Armageddon en ce qui concerne la démocratie (NBC News, 14 janvier 2024).

L’autre danger est que si l’élection est serrée, Trump et le Parti républicain utilisent toute une série de tactiques, légales et illégales, pour réaliser un coup d’État et s’emparer du pouvoir. Ils sont déjà prêts à contester juridiquement chaque aspect du processus de vote, qu’il s’agisse de contester des électeurs individuels, de contester le décompte des voix dans chaque État ou de soulever des objections à la certification du Congrès américain. Ces contestations juridiques seront probablement accompagnées de protestations militantes et de violences dans les bureaux de vote, dans les bureaux autorisés à compter les votes et dans les assemblées législatives des États. Trump mobilisera les grands États républicains dotés de gouverneurs réactionnaires, tels que le Texas et la Floride, pour soutenir ses contestations et ralentir ou arrêter le processus post-électoral. Ces États pourraient mobiliser les forces de leur garde nationale pour soutenir Trump. Il existe également des organisations militantes armées d’extrême droite – quelque 1 400 ont été identifiées – dont on peut s’attendre à ce qu’elles mènent des actions violentes dans les capitales des États et au Capitole national à Washington. Déjà pendant la pandémie de COVID, des groupes armés opposés au port du masque ont pris le contrôle de certaines capitales d’État, par exemple dans le Michigan. D’autres milices se sont rendues à la frontière au Texas et ont arrêté illégalement des immigrants sans papiers. L’objectif de tout cela sera d’empêcher Harris d’entrer en fonction et d’installer Trump à la présidence à sa place. Une telle action entraînerait une crise politique du gouvernement fédéral et pourrait effectivement conduire à des violences de masse dans certaines régions.

Donald Trump, les républicains de droite et les milices ont tenté un coup d’État le 6 janvier 2021 après que Trump ait ameuté un rassemblement de milliers de personnes qui ont ensuite marché jusqu’au Capitole où des centaines ont envahi le bâtiment, cherchant la chef du Parti démocrate Nancy Pelosi et menaçant de pendre le vice-président républicain Mike Pence pour son incapacité à soutenir l’affirmation de Trump selon laquelle il avait gagné l’élection. Cette violente insurrection a réussi à retarder le décompte des votes du collège électoral et la certification du nouveau Président, a coûté la vie à six personnes, a blessé plusieurs policiers et a fait des millions de dollars de dégâts matériels. Par la suite, 11 424 personnes ont été inculpées et des centaines ont été condamnées et emprisonnées. Cette tentative de coup d’État a échoué, mais un autre coup d’État est-il possible ?

De nombreux élus, officiers supérieurs et commentateurs des médias pensent que oui. En décembre 2021, dans une tribune parue dans le Washington Post, trois généraux – Paul D. Eaton, Antonio M. Taguba et Steven M. Anderson – ont écrit qu’en cas de résultats contestés des élections, où l’on ne sait pas exactement qui est devenu président, « le risque d’une rupture totale de la chaîne de commandement selon des lignes partisanes – du sommet de la chaîne au niveau de l’escouade – est important si une autre insurrection se produisait. L’idée que des unités rebelles s’organisent entre elles pour soutenir le commandant en chef « légitime » ne peut être écartée. […] Dans un tel scénario, il n’est pas exagéré de dire qu’un effondrement militaire pourrait conduire à une guerre civile ».

L’acceptation par le public d’un coup d’État a également progressé. Un sondage publié dans le Washington Post le 6 janvier 2022 a révélé que « la part des Américains prêts à tolérer un coup d’État est passée de 28% en 2017 à 40% en 2021. C’est une augmentation de 43%, et le taux le plus élevé que nous ayons observé aux États-Unis depuis que nous avons commencé à poser la question il y a plus de dix ans. »

Si Trump perd lors d’une élection serrée, il est possible que nous assistions à une nouvelle tentative de coup d’État, celle-ci impliquant l’armée et pouvant avoir une portée nationale, avec la possibilité d’inciter à une guerre civile. Certains officiers pourraient tenter de prendre la tête d’un soulèvement en faveur de Trump. Mais les obstacles à un coup d’État militaire seraient le secrétaire à la défense de Biden-Harris, Lloyd Austn, et leurs chefs d’état-major interarmées, les commandants de l’armée. Il est difficile de concevoir qu’ils soutiennent une tentative de Trump de s’emparer du pouvoir. Malgré tout, nous serions téméraires d’ignorer les dangers d’un nouveau coup d’État.

Qu’en est-il de la gauche ?

La gauche américaine (social-démocrate, socialiste, anarchiste) est assez petite, peut-être 1% de la population, et elle est divisée en une myriade de groupes et de nombreux militants individuels sans affiliation. Le Democratic Socialist of America (DSA), le Parti communiste et certains anciens maoïstes soutiendront la candidate du Parti démocrate Kamala Harris, même si, comme le DSA, ils ne l’ont pas approuvée. L’extrême gauche – les anarchistes, les trotskistes, les néostaliniens et les campistes – ne participera pas à l’élection. Certaines petites sectes font semblant de participer à la politique électorale, comme Socialist Action, qui, en 2020, a présenté son leader Jeff Mackler à la présidence. Il n’est pas apparu sur le bulletin de vote d’un seul État. Cette année, le Parti du socialisme et de la libération présente Claudia De La Cruz et Karina Garcia à la présidence et à la vice-présidence. Elles ne figurent que sur le bulletin de vote de la Floride. Il ne s’agit pas vraiment de campagnes politiques mais de campagnes de propagande destinées uniquement à promouvoir le parti et à recruter.

Les deux candidats de gauche les plus importants de cette élection sont Jill Stein du Parti vert et Cornel West. Le Green Party, fondé en 1984, est un parti très réel et sérieux avec un programme quasi-socialiste assez progressiste et un engagement sérieux pour prévenir le réchauffement climatique. Il se définit lui-même comme « écosocialiste ». Sa seule grave faiblesse politique est son manque de soutien à la guerre défensive de l’Ukraine contre la Russie de Poutine et, en fait, Stein semble souvent suivre les arguments de Poutine. Il semble que le parti Vert ait recueilli suffisamment de signatures pour pouvoir figurer sur les bulletins de vote de 34 des 50 États et il espère apparaître dans dix autres États. Les démocrates ont partout œuvré pour bloquer les Verts et les républicains ont essayé de les aider à figurer sur les bulletins de vote. Comme a dit Trump, « Jill Stein, je l’aime beaucoup. Tu sais pourquoi ? Elle prend 100% des voix [démocrates]. » Par le passé, Stein a remporté environ 1% des voix à la présidentielle et zéro voix au collège électoral, pourtant. Mais, comme nous l’avons déjà mentionné, cette année, Jill Stein pourrait gagner les votes des Arabes et des musulmans, prenant peut-être suffisamment de voix à Harris pour lui faire perdre l’État du Michigan et garantir l’élection à Donald Trump.

L’autre candidat de gauche est le théologien noir Cornel West. À l’origine, il avait prévu de se présenter sur un ticket du People’s Party en crise, puis il est passé au Green Party, a ensuite décidé de se présenter de façon indépendante et a finalement créé son propre Justice for all Party, jusqu’à présent sans convention fondatrice avec peut-être une demi-douzaine d’affiliés dans les États et un très maigre nombre d’adhérents. Il fait peu campagne et reçoit peu de publicité. À l’heure actuelle, il semble qu’il figurera sur le bulletin de vote dans quatorze États. Sa campagne est un geste futile et plutôt pathétique. Malgré tout, la campagne de West comme celle de Stein pourrait prendre des voix à Harris et offrir l’élection à Trump.

De nombreux Américains, en particulier les jeunes, les Arabes et les musulmans, mais aussi les militants juifs et bien d’autres, ont été consternés par le soutien de l’administration Biden-Harris à la guerre génocidaire d’Israël contre la population de Gaza et les autres Palestiniens. La guerre d’Israël contre le Hezbollah ne fera qu’exacerber le sentiment d’aliénation de ces électeurs. Mais cela ne sera peut-être pas décisif pour Harris, car la jeunesse politisée ne représente qu’une petite partie de la population, beaucoup de jeunes ne votent pas de toute façon, et ceux qui votent peuvent encore très bien voter pour Harris pour vaincre Trump.

D’autre part, de nombreux libéraux, progressistes et militants de gauche non sectaires estiment qu’il faut un front uni dans cette élection contre Trump et le fascisme. Même s’ils critiquent vivement le soutien de Biden et de Harris à la guerre génocidaire d’Israël, ils considèrent Trump comme une menace existentielle pour la démocratie américaine. Comme eux, je voterai pour Harris, tout en soutenant l’appel à un cessez-le-feu à Gaza et à la fin de la guerre d’Israël contre le Hezbollah.

[1] Entreprise de spectacle de catch.
[2] Fracturation hydraulique des sols pour l’extraction du gaz de schiste.
[3] « Drill, baby, drill » : « Perce, baby, perce », encouragement à l’extractivisme.
[4] Union américaine pour les libertés civiles,www.aclu.org

Dan La Boz a été syndicaliste, cofondateur de Teamsters for a Democratic Union et journaliste. Membre du comité de rédaction de la revue new-yorkaise New Politics, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Le nouveau populisme américain : résistances et alternatives à Trump (Syllepse, 2018).

Texte paru dans Adresses n°5 :Adresses n°5

The Dangerous American Election
https://newpol.org/the-dangerous-american-election/

Usa, i pericoli delle presidenziali
https://andream94.wordpress.com/2024/10/08/usa-i-pericoli-delle-presidenziali/

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Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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