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Joseph Daher – Peux-tu nous parler des dernières mobilisations féministes et de leur dynamique ?
Ahlem Belhadj – Le 13 Août est la fête nationale des femmes en Tunisie. Cette année, quelques milliers de femmes et d’hommes ont envahi l’avenue Habib Bourguiba pour défendre l’égalité et les libertés individuelles. L’appel a émané des associations féministes, dont l’Association tunisienne des femmes démocrates, des organisations de défense des droits humains et plusieurs jeunes associations LGBTIQ. Peu de partis politique ont soutenu l’appel féministe. Le front populaire a rejoint la marche la veille, le Massar (ex parti communiste tunisien) a également appelé à rejoindre la marche.
La manifestation s’inscrit dans le long cheminement du mouvement féministe tunisien pour l’instauration de l’égalité entre les sexes. Elle fait suite à la bataille pour la constitutionnalisation des droits des femmes de 2011 à 2014. Les mouvements féministes réclamaient la reconnaissance de l’égalité entre les citoyennes et les citoyens. Mais l’harmonisation des lois avec la Constitution rencontre encore beaucoup de résistance.
Le code du statut personnel devenu obsolète avec le temps fait l’objet d’un débat national houleux. Ce code comporte des mesures franchement discriminatoires inspirées de la charia : le mari comme chef de famille, la tutelle paternelle des enfants sauf situation particulière, l’obligation de la dot pour les mariages (même si elle est symbolique), et surtout la discrimination dans l’héritage.
Au-delà de l’égalité entre hommes et femmes, les revendications ont également porté sur le respect des libertés individuelles et en particulier sur la dépénalisation de l’homosexualité et la libre disposition du corps. L’alliance entre le mouvement féministe et le mouvement LGBTIQ est récente. Elle s’est traduite par plusieurs actions communes et par la mise en place d’un collectif tunisien pour les libertés individuelles. Les manifestantes et les manifestants ont scandé des slogans pour l’égalité, pour les libertés individuelles mais également contre le coût de la vie, la corruption et tous les conservatismes.
Quels obstacles rencontrent ces mobilisations ?
Le 11 août, les islamistes parmi les plus durs ont organisé une marche contre ces réformes. Ils affirment que ces dernières sont en contradiction avec la religion et considèrent que l’égalité et les libertés individuelles menacent la société tunisienne musulmane.
Les deux partis au pouvoir, Nidaa Tounes et Ennahdha, essayent de créer un climat de polarisation politique en vue des élections de 2019. Dans cette optique, l’instrumentalisation des droits des femmes est le sujet qui marche le mieux. Caïd Essebsi, pour marquer l’histoire par l’instauration de l’égalité successorale, a besoin de tout l’électorat féminin pour pouvoir contrecarrer Ennahdha. De son côté, Ennahdha joue sur la religion et sur l’identité pour que sa base oublie ses échecs.
La manifestation du 13 août a brisé l’état de léthargie et de démobilisation des derniers mois, après des déceptions multiples. Le gouvernement est désavoué par les siens. La centrale syndicale de l’UGTT demande le départ du gouvernement face aux mesures néolibérales dictées par le FMI et la banque mondiale, dans un climat de crise économique sans précèdent : inflation à 7,2%, taux d’endettement à 72% du PIB, dévaluation du dinar.
• « solidaritéS » (Suisse), n° 332 (23/08/2018) :
https://www.solidarites.ch/journal/d/article/8786
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