Si les effets néfastes de l’austérité sur certains groupes, notamment les employé(e)s de la fonction publique et les jeunes familles, sont largement documentés, on semble s’être très peu penché sur les impacts négatifs qu’auront ces mesures sur les employé(e)s du secteur privé.
Il y a pour cela plusieurs raisons. Un taux de syndicalisation relativement bas en comparaison avec la fonction publique fait qu’il n’y a souvent personne pour se pencher activement sur les conséquences qu’ont sur eux les politiques gouvernementales. Une grande diversité des conditions de travail rend également extrêmement difficile l’analyse des impacts spécifiques à ce groupe. Mais surtout, il existe cette tendance malsaine, chez les analystes partisans de la rigueur gouvernementale, à opposer constamment les travailleurs et les travailleuses du privé aux « syndiqué(e)s choyé(e)s » de la fonction publique.
Les « gras dur » au régime minceur
Le mythe du « gras dur » de la fonction publique est tenace. Pourtant, cela fait longtemps que les salaires du secteur public ne cessent de prendre du retard sur ceux du secteur privé (1). On prétend généralement qu’en échange, les employé(e)s gouvernementaux bénéficient d’avantages sociaux et d’une sécurité d’emploi inégalés. Il est évident qu’avec le gouvernement actuel, rien n’est plus faux. Même les contrats ne semblent plus avoir de valeur alors qu’on sabre dans les retraites et qu’on coupe les postes, souvent aux détriments des services aux citoyen(ne)s.
Ceux qui tentent à tout prix de diviser les travailleurs et les travailleuses n’ont de cesse de souligner que contrairement aux soi-disant privilégiés de la fonction publique, les conditions de travail des employé(e)s du privé sont plus « réalistes » étant arrimées à la réalité du marché.
Ce qu’ils se gardent bien de dire, c’est que c’est ça, le marché : les conditions de travail des uns ont une incidence directe sur les conditions de travail des autres. C’est d’autant plus vrai au Québec où les employé(e)s de la fonction publique représentent un peu plus de 20% de la force de travail (2).
Un employeur du privé qui cherche à attirer les meilleurs talents pourra offrir beaucoup moins - autant en salaire qu’en avantages sociaux - à ses potentiels employé(e)s (et ce même chez les travailleurs et les travailleuses extrêmement qualifié(e)s) s’il n’a plus à craindre de les voir se diriger vers la fonction publique. Cela affectera même négativement les travailleurs et les travailleuses du privé qui sont déjà à l’emploi lors la renégociation de leurs contrats de travail.
Le seul gagnant dans cette équation, c’est le patronat.
L’importance du filet social dans un contexte de mondialisation
Les employé(e)s du secteur privé ont beaux être généralement mieux rémunéré.e.s que leurs équivalents de la fonction publique, ils ont aussi énormément à perdre de l’érosion du filet social québécois.
D’abord, à court terme, ils sont pour la plupart directement attaqués par les mesures qui s’en prennent aux familles de la classe moyenne. Qu’il s’agisse de l’absence de place en CPE qui les obligent à se procurer des places plus dispendieuses au privé, de la modulation des tarifs de garderie pour ceux qui ont la chance d’en avoir obtenues, des coupes en santé qui les pousseront souvent vers les bras dispendieux du privé ou d’une autre de la longue litanie de mesures prohibitives avancées par le gouvernement, elles affecteront souvent lourdement leur portefeuille.
Les employé(e)s du secteur privé sont aussi perpétuellement à risque d’être victimes de congédiements sauvages, de mises à pied et de délocalisations, particulièrement dans le contexte actuel de mondialisation. Notre bon gouvernement s’acharne à détruire le filet qui aurait pu fournir aux victimes de telles catastrophes le répit nécessaire pour se remettre sur pied.
Pire, il tire des coupures dans ce filet, financé à même l’impôt de tous les Québécois, les fonds qu’il fait pleuvoir en subventions aux entreprises privées. Il a beau clamer que celles-ci serviront à stimuler la création d’emploi, les faits demeurent.
Il se crée actuellement très peu d’emplois au Québec, principalement des emplois précaires à temps partiel. De nombreuses compagnies qui font affaire au Québec ont des taux d’imposition pratiquement nuls, voire négatifs, sans parler ici des nombreuses entreprises qui pratiquement l’évitement fiscal. Plutôt que de réinvestir subventions et baisses d’impôts dans l’économie québécoise elles laissent dormir près de 112 milliards de dollars (33% du PIB) dans des comptes à l’étranger (3).
Cette lutte est aussi la vôtre
Pression à la baisse sur les salaires. Pression supplémentaire sur le budget des familles avec des coupes s’attaquant à l’universalité des services publics. Création d’emploi faible, voire pertes d’emplois, et ralentissement économique dû à l’austérité.
Alors qu’on continue d’abreuver de subventions ceux qui refusent de réinvestir dans l’économie québécoise, on plombe les budgets de ceux qui la font rouler, les travailleurs et les travailleuses.
Comme citoyen.ne.s et comme travailleurs/travailleuses, employé.e.s du secteur privé, cette lutte est aussi la vôtre. Suffit la division, nous aurons besoin d’un front uni de toutes les franges de la société pour faire reculer ce gouvernement dans son démantèlement du modèle québécois et ses politiques économiques suicidaires.
Notes
1 - L’écart salarial entre les employés du privé et les fonctionnaires se creuse
2 - État du marché du travail au Québec
3 - Les entreprises dorment sur une montagne de liquidités