18 avril 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Emmanuel Macron lors de son allocution du 17 avril 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
LeLe vide sidéral de l’allocution du 17 avril n’a échappé à personne. La feuille de route autour des cent prochains jours n’a eu de consistance que sur la question du maintien de l’ordre. Sur le reste, et singulièrement sur le travail, Emmanuel Macron s’en est tenu à des déclarations d’intention si vagues que l’on se demande bien ce que l’exécutif entend concrètement placer dans ce chapitre.
Ce vide n’est pas le fruit du hasard ou de l’épuisement de la « parole présidentielle » : c’est la conséquence logique de la politique économique et sociale du gouvernement. Avec la réforme des retraites, le macronisme a coché toutes les cases du petit manuel de l’idéologie néolibérale.
Les réformes structurelles ont été imposées à marche forcée au pays depuis 2015, et surtout à partir de 2017 : individualisation de la relation de travail, libéralisation du marché du travail, baisse violente des impôts pour les plus riches et les entreprises, destruction par assèchement des services publics, démantèlement de l’État social. Tout y est.
Rappelons ce que ces « réformes » étaient censées apporter au pays : un nouveau monde radieux de croissance, de pouvoir d’achat, d’emplois bien payés grâce à une reprise des gains de productivité. Ces promesses étaient celles faites par toutes les « missions » visant à défendre des réformes néolibérales en France depuis un demi-siècle, du rapport Minc au rapport Attali.
Mais que voit-on ? Le bilan est calamiteux. Paradoxalement, l’amélioration du marché du travail est la source des mécontentements. Rien d’étonnant à cela : puisque les réformes n’ont pas réussi à remplir leur promesse principale, qui est l’accélération des gains de productivité (la productivité recule depuis 2019), elles conduisent à créer des emplois à la fois précaires et mal payés.
Certes, les embauches se font désormais plus souvent en CDI, mais c’est ce CDI qui, par la bénédiction des réformes, est devenu précaire. Le salarié n’a plus de sécurité dans son travail, il est davantage soumis à la pression continuelle de sa hiérarchie et à une intensification de son travail.
À cela s’ajoute la faiblesse des salaires. En réalité, avec l’inflation, ils reculent en termes réels. Là encore, l’individualisation du rapport au travail et la priorité donnée aux entreprises par les réformes de 2016-2017 (sous François Hollande) ont réduit la capacité de négociation des salaires et conduit, dans de nombreux cas, à leur évolution très limitée.
Pour continuer à faire pression sur les salaires, le pouvoir a imposé les réformes de l’assurance-chômage et des retraites. Contraints d’accepter tout emploi créé par un système économique tournant à vide, les chômeurs et les futurs retraités viennent exercer une pression à la baisse sur les rémunérations et construire un plein-emploi néolibéral qui ne redonne en aucun cas de pouvoir aux travailleurs et aux travailleuses.
Pour finir, les citoyens constatent chaque jour la détérioration des services publics, que la crise sanitaire a mis en évidence concernant l’hôpital, mais que l’on voit dans des domaines aussi divers que la santé en général, les impôts ou l’école. En bref, les salariés n’ont aucune raison de célébrer ces réformes et ne peuvent qu’éprouver de la colère devant les dizaines de milliards d’euros déversés à des entreprises qui les traitent par ailleurs si mal.
Le règne de l’idéologie, jusqu’à la violence
Une telle situation permet de comprendre le caractère profondément vain de la stratégie de communication de l’Élysée, cherchant à détourner artificiellement la colère liée à la réforme des retraites vers un mécontentement plus général sur le « travail » que le « dialogue social » pourrait traiter. En réalité, la réforme des retraites est un symptôme d’une colère plus large qui trouve sa source dans le monde des réformes néolibérales mises en place. Le pyromane est donc celui qui se présente comme le pompier. Mais c’est un pompier avec un briquet, puisqu’aucune remise en cause des réformes n’est prévue.
Emmanuel Macron reste arc-bouté sur des réformes contre-productives qui provoquent le chaos social. Et il feint de proposer des solutions à ce chaos dans le cadre de ces réformes. En réalité, dans sa logique, les réformes elles-mêmes auraient dû régler ces problèmes en permettant une hausse des salaires et une plus grande autonomie au travail. Si elles ont produit le résultat inverse, c’est bien la preuve que ce sont ces réformes même qui constituent le problème.
Comme le pouvoir rejette ce constat, il ne lui reste donc plus que des formules creuses et des promesses infondées. Améliorer les conditions de travail, favoriser les hausses de salaire ou encore empêcher la boucle prix-profits sont sans doute de belles idées. Mais dans le cadre macroniste, ce sont des vœux pieux puisque, précisément, les réformes doivent à elles seules permettre de remplir ses objectifs. On ne peut donc pas contraindre ou taxer les entreprises. Ce qui rend toute ambition systémique contre les maux cités plus haut sans consistance.
Ceci se traduit par les mots utilisés mardi 18 avril par les membres du gouvernement pour « expliquer la parole » présidentielle. À un problème en réalité simple, celui des salaires, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement,répond sur BFM par une « répartition plus juste de l’effort », terme imprécis et vide de sens. Quant à Gérald Darmanin sur LCI, il reconnaît que « l’État doit désormais dire aux patrons qu’il y a un malaise social important dans les salaires dans notre pays ». Mais ce « dire » ne va pas plus loin puisque le gouvernement vient de refuser tout « coupe de pouce » du Smic et a toujours rejeté toute indexation salariale.
Quant au ministre des comptes publics, Gabriel Attal, il promettait un fantomatique « plan Marshall pour les classes moyennes ». Mais tout cela doit évidemment se faire sans argent puisque les impôts n’augmenteront pas, que l’on ne contraindra pas les entreprises et que, comme Bruno Le Maire l’a confirmé mardi 18 avril au matin sur BFM, le gouvernement veut « accélérer le désendettement de la France ». L’exécutif en est donc réduit à faire tourner sa communication dans le vide. Avec pour ambition de continuer, l’air de rien, sa politique néolibérale.
Les paroles répétées en boucle par les ministres sur le « plein-emploi » visent à faire croire qu’il serait désirable alors qu’il est la source de nouvelles formes de répression sociales.
Ainsi, la seule solution concrète proposée à la crise actuelle du niveau de vie est d’assimiler les salariés à des actionnaires devant toucher une part du bénéfice dans le cadre d’un prétendu « partage de la valeur ». Or, cela amènera les salariés à jouer contre leur propre intérêt puisque toute hausse de salaire sera une pression contre cette part.
Les paroles répétées en boucle par les ministres sur le « plein-emploi » à faire croire qu’il serait désirable alors qu’il est la source de nouvelles formes de répression sociales comme la conditionnalité des minima sociaux ou la poursuite des attaques contre les chômeurs. D’ailleurs, ce 18 avril a été publié le décret d’application sur la « présomption de démission » en cas d’abandon de poste, renforçant encore le pouvoir patronal.
Autrement dit : les mots du pouvoir ont perdu tout contact avec la réalité vécue de la société. L’exécutif les avance comme des horizons désirables alors même que le monde du travail sait qu’ils ne sont qu’une nouvelle phase de ces mortifères réformes. L’ampleur du mécontentement actuel traduit cet écart.
Lorsque le fossé entre les paroles et le réel se creuse, le discours du pouvoir devient une simple idéologie froide et désincarnée. Et c’est bien pour cette raison que la « parole présidentielle » ne peut plus convaincre. Ce qu’Emmanuel Macron essaie d’imposer au pays, c’est son propre aveuglement sur ses réformes. Or le pays est plus lucide que lui.
Et c’est ici que se noue le drame que vit actuellement la France. La fuite en avant idéologique du pouvoir n’est tenable que par une politique répressive et xénophobe. C’est bien pour cette raison que le chef de l’État a eu, lundi soir, des mots durs contre l’opposition et n’a donné de chiffres précis qu’au sujet du volet « ordre » de son programme. C’est aussi pour cette raison que, dès le lendemain, Bruno Le Maire sur BFM a tenu un discours fustigeant ceux qui « envoient des aides sociales au Maghreb ou ailleurs » et que Gérald Darmanin sur LCI a défendu le « besoin » d’une loi contre l’immigration irrégulière.
La situation actuelle est donc préoccupante parce qu’elle prend la forme d’une fuite en avant idéologique visant à abolir la réalité sociale pour imposer celle, fantasmée des réformes. Une telle situation ne peut que mener à une intensification de la guerre sociale et de la crise politique.
Romaric Godin
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