Voici notre synthèse des propos des conférenciers, qui étaient :
– Rachad Antonius, professeur au Département de sociologie de l’UQAM, directeur adjoint du Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC) ;
– Fréderic Encel, directeur de recherche de l’Institut français de géopolitique, maître de séminaires à l’Institut d’études politiques de Paris et auteur de plusieurs ouvrages dont le plus récent est Atlas géopolitique d’Israël : aspects d’une démocratie en guerre (Éd. Autrement, 2008) ;
– Pierre Thibeault, rédacteur en chef du magazine hebdomadaire Ici, à Montréal.
Les désirs géopolitiques des grandes puissances de l’époque
selon Fréderic Encel
M. Encel a lancé sa présentation en affirmant que ni la shoa (génocide), ni la mauvaise conscience occidentale, ne sont ce qui a rendu possible la création d’Israël. C’était plutôt un choix politique pratique pour les grandes puissances principales qu’étaient l’URSS, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis. La plupart des gouvernements aimaient bien l’idée de sortir les Britanniques de la région, et la pression populaire anglaise allait aussi dans ce sens. L’URSS de Staline aimait encore plus l’idée d’y installer les Sionistes de l’époque qui étaient clairement marxistes et socialistes. En effet, l’URSS n’était pas en bon terme avec les dictatures arabes et l’idée d’un État juif à tendance marxiste permettait d’espérer une projection de l’influence de l’URSS dans la région.
Pour M. Encel, il est intrigant de constater que les Sionistes fondateurs d’Israël étaient progressistes et souvent militants pour les droits des gens. Par contre, vers 1935, Ben Gourion arrive à diriger les aspects plus militaires d’un État en naissance, mais aussi des politiques plus militaristes que celles préconisées par les Sionistes progressistes. Le conférencier le décrit comme un dirigeant férocement pragmatique qui était conscient des jeux politiques des puissances et savait en profiter.
Il rappelle que, ironiquement, les États-Unis étaient relativement indifférents aux conflits en Palestine à l’époque, étant préoccupés par la guerre au Vietnam.
Du colonialisme raciste de l’époque et l’indifférence des régimes arabes selon Rachad Antonius
M. Antonius a débuté en ajoutant une nuance : la shoa, combiné avec un racisme antisémite à travers l’Europe, sans être la cause de la création d’Israël, ont tout de même fortement motivé les personnes juives à participer au projet d’un État. Les grandes puissances, en voulant que les minorités juives colonisent une terre, se préoccupaient d’aucune façon des populations déjà sur place et savaient qu’il faudrait en déplacer. M. Antonius estime que le colonialisme de l’époque était lié à des pensées et attitudes racistes qui permettaient aisément de vouloir encourager la création d’un État juif dans une région éloignée.
Ce professeur a lui aussi rappelé que les premiers Sionistes militaient pour les droits humains et, encore aujourd’hui, aux États-Unis et en Israël, ils dénoncent l’occupation et l’oppression du peuple palestinien.
Le blâme principal pour la situation des territoires occupés reviendrait aux gouvernements arabes qui se préoccupaient uniquement de leurs propres intérêts, au lieu d’appuyer le peuple palestinien et les Sionistes progressistes. Le conférencier Pierre Thibeault a alors appuyé cette notion en affirmant que les seules protestations réelles des régimes arabes avaient été pour obtenir plus de terres. M. Antonius explique que les terres pouvaient être vendues sans égard pour les habitants et avec l’intention de les expulser ; ce qui était légal (à ne pas confondre avec moral). M. Encel a aussi offert son appui à cette interprétation en affirmant à son tour que les grandes puissances avaient une vision bourgeoise raciste typique de l’époque, tant envers les peuples arabes et juifs. Il ajoute que, dans la région, les États arabes étaient en effet indifférents et réprimaient même les personnes militant pour les droits palestiniens !
Israël voudrait un État palestinien et la vaste majorité des terres ne seraient plus occupées selon Pierre Thibeault
M. Thibeault en a surpris plusieurs en insistant sur le fait qu’une majorité des gens israéliens souhaitent que le peuple palestinien ait un État. Il a ajouté qu’Israël aurait libéré 90 % des territoires dits occupés et que le problème réel est l’incapacité des autorités à s’entendre sur un traité. Malheureusement, M. Pierre Thibeault n’a pas insisté pour nommer des arguments pour ses conclusions qui semblent ignorées l’occupation et les restrictions auxquelles sont soumis les gens dans les territoires occupés. M. Antonius a d’abord répliqué qu’Israël continue, par exemple, de construire des colonies en terres palestiniennes.
Nos médias au sujet de ce conflit
M. Thibeault, pour terminer son intervention, a déclaré que les médias québécois ont une préférence pour les positions palestiniennes, suscitant un certain étonnement.
Récemment, en mars 2008, les reportages sur la tuerie de huit Israéliens étaient plus longs que la moyenne et fait de manière touchante. Toutefois les reportages sur les plus de 400 personnes palestiniennes, dont plusieurs dizaines d’enfants, tuées par l’armée israélienne dans la même période de temps, sont de loin moins longs et touchants. C’est l’exemple donné par M. Antonius en réponse à la position de M. Thibeault.
Qui plus est, bien des aspects factuels ou objectifs des territoires occupés sont complètement occultés dans les médias de masse. Aussi, M. Antonius constate que bon nombre de médias évitent le terme « territoires occupés », alors qu’il s’agit pourtant du terme utilisé par la communauté internationale et même le gouvernement canadien.
Est-ce qu’Israël veut vraiment un État palestinien ?
M. Rachad Antonius affirme que le terme État palestinien n’est nulle part dans l’ensemble des textes des fameux accords d’Oslo (1993, accord de principe sur une autonomie palestinienne transitoire de cinq ans). Selon M. Antonius, à l’époque, le Hamas et les mouvements anti-Israël étaient extrêmement minoritaires. Les deux peuples désiraient et désirent toujours vivre en paix, mais les colonies israéliennes et l’occupation, avec ses 450 check points de l’armée israélienne, persistent et s’accroissent année après année. Malgré les souhaits exprimés, la population israélienne semble accepter l’occupation. Une plus grande proportion de la population palestinienne a fini par appuyer la violence et les moyens de pression directe contre Israël. Ce conflit exacerbé amène M. Antonius à proposer que les États occidentaux, en n’étant pas directement ciblé, sont les seuls à pouvoir changer cette dynamique figée.
M. Encel ajoute que la bonne nouvelle est que la politique israélienne n’est pas réellement contrôlée par des religieux, mais la mauvaise est que les ultranationalistes l’influencent grandement. En effet, le premier ministre Olmert ne peut rien faire ni négocier avec les instances palestiniennes, car des parlementaires plus radicaux menacent de rapidement lui retirer un vote majoritaire dans le parlement israélien. Qui plus est, pour se faire élire, les politicien-nes concentrent leurs politiques sur la sécurité immédiate. Ce qui explique la construction du mur de séparation. Selon M. Encel, ce mur est un échec total en termes politiques et de paix, mais aurait réellement séparé les peuples d’une manière qui met fin aux violences les plus directes.
Des pistes de solutions ?
Une personne a posé la question à savoir si les candidatures actuelles à la présidence des États-Unis offraient de l’espoir d’une solution. La réponse des conférenciers était consensuelle : non.
M. Encel a élaboré sur plusieurs points, mais voici ses conclusions plus accentuées. Le Hamas devrait choisir de respecter les règles et lois démocratiques palestiniennes, car il aurait opéré un coup d’État dans la bande de Gaza. M. Encel dénonce l’oppression exercée par le Hamas contre des minorités palestiniennes, en particulier les personnes homosexuelles, mais aussi contre les progressistes palestiniens. Il dénonce toutefois, sans ambages, l’absence d’une réelle intention de négocier de la part du gouvernement d’Israël.
La première étape, pour des raisons psychologiques, est une reconnaissance mutuelle du droit d’exister selon M. Antonius (lire : que le Hamas refuse d’accorder à l’heure actuelle). Il a tenu à souligner que la violence et la haine ne sont pas les causes du conflit ; il serait une erreur commune de croire que la cause est un cycle de violence où les deux côtés répliquent à la violence de l’autre. Il implore les gens à être rationnels, donc à se concentrer sur les solutions, en insistant que la situation doit être débloquée par une impulsion extérieure (par une autorité autre qu’israélienne ou palestinienne). En boutade, il mentionne qu’il ne s’agit pas ici de Casques bleus, étant donné qu’il n’est pas clair où il faudrait les placer dans les frontières.
* Les Rencontres Participe Présent - ici et ailleurs sont réalisées par le Musée de la civilisation en collaboration avec la Première chaîne de Radio-Canada, le quotidien Le Soleil et l’Université Laval, avec la participation de la Librairie Pantoute.
Source : À Québec, lundi 7 avril 2008
Siriel-Média, média-citoyen de Michaël Lessard.
Extraits audio des interventions principales seront disponibles en ligne :
http://www.mcq.org/participe/debat_080407.php