Édition du 17 décembre 2024

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La stratégie indo-pacifique du Canada : de soldat de la paix de l'ONU à sentinelle américaine

La première stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique est une polémique véhémente, pas une diplomatie

Dans un article récent Ottawa Hill-Times, le journaliste David Crane a posé une question importante : « Le Canada essaie-t-il d’égaler ou de surpasser l’hostilité américaine envers la Chine ? »

7 décembre 2022 |
The Bullet, Le 7 décembre, 2022

La Stratégie indo-pacifique du Canada (CIPS), annoncée récemment à Vancouver par la ministre libérale des Affaires étrangères, Mélanie Joly, avec d’autres ministres, répond sans équivoque à cette question : « La Chine est une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice ». Ainsi commence l’évaluation de la Chine dans la CIPS. Assez vraie, si prise isolément. Insidieuse, cependant, dans la manière dont elle apparaît dans ce rapport.

« Nous n’allons pas seulement engager l’Indo-Pacifique. Nous allons assumer le leadership », a déclaré Joly dans ses remarques liminaires. Dans ce cas, le terme « leadership » semble dire que le Canada va être plus dur envers la Chine que n’importe qui d’autre.

Dans son évaluation en deux pages, le CIPS énumère une litanie des méfaits allégués de la Chine. Et c’est, semble-t-il, tout ce qu’il y a à dire. Pas un mot sur ses réalisations économiques impressionnantes ; ni sur le fait que la Chine est la deuxième partenaire commerciale du Canada ; ni qu’elle a sorti 800 millions de personnes de la pauvreté, comme le reconnaît l’ONU ; et pas un mot sur son développement de la production d’énergie solaire, documenté dans une étude de Lancet.

L’attitude envers la Chine

« Nous défierons la Chine chaque fois que nécessaire, et nous coopérerons s’il le faut. » C’est le nouveau mantra du gouvernement. Franchement, le CIPS est une honte, une polémique véhémente. On ne peut qualifier cela de diplomatie.

S’il est mis en œuvre, il mettra définitivement fin à toute possibilité de coopération substantielle entre le Canada et la Chine en matière d’environnement - un impératif face à l’urgence climatique mondiale. Il augmente également la possibilité d’une guerre et de l’utilisation d’armes nucléaires, l’autre crise existentielle de notre époque.

En termes d’actions concrètes, le CIPS définit deux priorités principales : augmenter le financement des agences militaires et d’espionnage du Canada et fournir une importante injection de fonds pour financer des projets d’infrastructure dans la région.

Un examen plus approfondi des petits caractères montre que les fonds militaires et d’espionnage sur cinq ans (ce que le gouvernement appelle par euphémisme « Promouvoir la paix, la résilience, et la sécurité » comprennent :

  • près de $500 millions pour accroître la présence militaire canadienne dans la région ;
  • et plus de$ 227 millions de dollars pour le Canada afin de renforcer les agences de sécurité nationale (y compris le SCRS, le CST, la GRC et l’ASFC).

Comparé à certaines des puissances militaires de la région, ce n’est pas beaucoup. Mais l’importance de ses sommes est ailleurs. Elles signalent que la première priorité du Canada en Asie est de renforcer son réseau militaire et d’espionnage pour affronter la Chine. Le maintien de la paix sous l’égide de l’ONU n’est mérite même pas une réflexion après coup. Aussi affligeant est le clin d’œil déformant à la politique étrangère féministe, allouant des fonds à une « initiative régionale sur les femmes, la paix et la sécurité » - cela dans l’espoir d’obtenir une approbation sociale pour son programme guerrier.

Sur le front du commerce et de l’investissement, la plus grande allocation de fonds est une injection de $750 millions sur trois ans à FinDev Canada (l’institution canadienne de financement du développement) pour aider à développer des « « infrastructures durables de haute qualité » dans la région.

Le mandat de FinDev n’est pas de fournir directement une aide gouvernementale, mais plutôt de « soutenir le secteur privé dans les marchés en développement pour promouvoir le développement durable ». En outre, ces fonds ne doivent pas être acheminés par l’intermédiaire d’organismes financiers existants en Asie, mais par le nouveau « Partenariat pour l’infrastructure et l’investissement mondiaux » du G7, qui est dirigé par les États-Unis. C’est une initiative parallèle dominée par les États-Unis.

Franchement, il s’agit d’une décision, parrainée par les États-Unis et le Canada, pour introduire une autre institution extérieure à la région avec le but de discréditer et de contourner l’initiative chinoise de « la Ceinture et la Route ».

Dans le même ordre d’idées, la stratégie commerciale du Canada ne s’appuie pas sur les réseaux existants dans la région, mais tente de les contourner. Par exemple, il aurait pu intervenir et soutenir le Partenariat économique global régional (RCEP), qui comprend 15 pays d’Asie de l’Est et du Pacifique de tailles économiques et de stades de développement différents, dont la Chine ; ou l’Accord commercial Asie-Pacifique (APTA), anciennement connu sous le nom d’Accord de Bangkok, qui fonctionne depuis près de 50 ans. Mais non, comme son initiative financière, elle veut rejoindre une autre initiative parallèle, le Cadre économique indo-pacifique pour la prospérité, parrainé par les États-Unis, et/ou renforcer le CPTPP (Accord global et progressif pour le partenariat transpacifique), un groupement régional à l’origine parrainé par les États-Unis, et qui exclut la Chine.

Une nouvelle sentinelle dans un empire mondial

La Chine est-elle devenue une puissance majeure et cherche-t-elle à renforcer son influence dans la région ? Oui.

Est-ce que l’accuser publiquement d’être perturbateur et de se préparer à une confrontation militaire est la bonne réponse ? Seulement si vous visez la guerre.

Avant la publication du CIPS, des spécialistes des affaires de l’Asie-Pacifique se sont réuni.e.s à Ottawa lors de deux conférences, HardTalk : Canada et The Asia Pacific et East Asia Strategy Forum 2022. Presque tous les conférenciers, toutes les conférencières invité.e.s, quelle que soit leur allégeance politique, étaient clair.e.s : une politique basée sur l’endiguement de la Chine ou sur la tentative de l’isoler est erronée et contre-productive.

Mais ce conseil a été ignoré. De plus, les premières ébauches de la nouvelle stratégie préparées par Affaires mondiales Canada (AMC) étaient inacceptables selon la ministre Joly. Alors qui est-ce que Joly et le groupe interministériel qui a finalisé la stratégie écoutaient, si ce n’était pas des spécialistes ayant une longue expérience dans la région ?

Il y a des indices dans le CIPS lui-même. Il affirme à plusieurs reprises que le Canada ne « s’engage » pas seul dans l’Indo-Pacifique, mais le fait avec ses allié.e.s les plus proches, notamment « les États-Unis, l’Union européenne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ». Le CIPS représente, en fait, une stratégie globale émanant des États-Unis. Lorsque Trudeau et Biden se sont rencontrés à Washington au début de 2021, ils ont annoncé la « Feuille de route pour un partenariat renouveé E-U-Canada, qui prévoyait de travailler « pour aligner plus étroitement nos approches vis-à-vis de la Chine… » et de renforcer leur engagement envers l’OTAN et « la communauté Five Eyes ».

En effet, alors que le CIPS était en cours d’élaboration, les représentant.e.s de l’OTAN se sont réuni.e.s à Madrid en juin où ils et elles ont adopté un nouveau « concept stratégique », qui, selon eux, a pris « des décisions de grande portée pour transformer l’OTAN. » Bien qu’initialement conçue comme une alliance militaire pour l’Europe dirigée contre l’Union soviétique (avec la participation des États-Unis et du Canada), elle n’a cessé de s’étendre, et elle repose désormais sur ce qu’elle appelle une « approche à 360 degrés ».

En d’autres termes, le monde entier est désormais sa compétence. Non seulement l’alliance affrontera la Russie, mais elle affrontera le terrorisme partout où il le faudra. Elle traitera des « conflits, de la fragilité et de l’instabilité en Afrique et au Moyen-Orient » et, plus important encore, elle relèvera les « défis systémiques posés par la RPC à la sécurité euro-atlantique et assurera la capacité durable de l’OTAN à garantir la défense et la sécurité des Alliés. » L’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée, partenaires de l’Indo-Pacifique, ont participé pour la première fois ensemble à un sommet de l’OTAN.

L’Empire ne se repose pas. Les enjeux sont trop grands.

Loin d’être un plan fait au Canada, le CIPS semble être un rayon dans la roue d’un plan mondial dirigé par les États-Unis. C’est là que réside la folie de l’invasion russe illégale de l’Ukraine. Cela a permis à l’OTAN d’assumer le manteau de la justice, faisant des États-Unis l’unique membre d’une grande coalition défendant la souveraineté ukrainienne. L’OTAN et le CIPS sont tous deux au centre de « l’ordre international fondé sur des règles ».

Mais l’ « ordre international fondé sur l’ONU » est absent des deux. Pas un accident.

L’ordre international fondé sur l’ONU est inscrit dans la Charte des Nations Unies, fondement du droit international moderne. La Charte interdit « la menace ou l’usage de la force pour » résoudre un conflit, à quelques exceptions près. Il exige également que le Conseil de sécurité de l’ONU et d’autres institutions soutenues par l’ONU établissent les règles.

Cela est inacceptable pour l’OTAN et pour le CIPS. Elles veulent établir les règles et utiliser leurs armées pour les faire respecter. Le Canada, avec sa nouvelle stratégie, tourne en fait le dos à l’ONU.

Le monde n’a aucune envie d’être sous la coupe d’empires. Si telle est l’ambition de la Chine, elle échouera. Mais alors que nous surveillons la Chine, nous devons être prêt.e.s à comprendre l’histoire du présent. À cet égard, le CIPS est lamentablement déficient.

À l’approche de la publication du CIPS, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly en a donné un aperçu dans un discours majeur à l’Université de Toronto. Lors de la session de questions-réponses qui a suivi, elle a affirmé que les « normes internationales fondées sur des règles » établies en Asie maintenaient « la paix et la stabilité depuis la Seconde Guerre mondiale ». En effet, elle nous propose d’oublier :

  • les trois millions de mort.e.s dans la guerre de Corée
  • les trois millions morts supplémentaires au Vietnam
  • le million de morts en Indonésie en 1965 après le coup d’État, organisé par les États-Unis
  • les Okinawan.e.s qui ont été dépossédé.e.s par l’armée américaine et continuent de se battre à ce jour pour se débarrasser des immenses bases américaines sur leurs îles
  • les milliers d’insulaires du Pacifique qui ont vu leurs îles saisies et utilisées pour des essais nucléaires par les États-Unis, pour les voir maintenant inondées par l’élévation du niveau de la mer en raison du réchauffement climatique, dont le Canada et les États-Unis sont historiquement responsables.

La vision de l’histoire de Joly ne peut être décrite autrement que eurocentrique. C’est un refus total de reconnaître l’éléphant dans la pièce - l’existence d’un empire formé au cours des 175 dernières années, à commencer par l’amiral Perry, qui a d’abord imposé des traités inégaux au Japon avec sa diplomatie de la canonnière. Aujourd’hui, les États-Unis maintiennent leur empire avec force.

Selon le récemment renommé Indo-Pacific Command des États-Unis, ses forces comprennent « 375 000 militaires et civil.e.s américain.e.s, dont la flotte américaine du Pacifique d’environ 200 navires (dont cinq groupes de frappe de porte-avions), près de 1100 avions et plus de 130,000 marins et civil.e.s ; Marine Corps Forces Pacific, avec deux Marine Expeditionary Forces, et environ 86,000 personnes et 640 avions ; les forces aériennes du Pacifique des États-Unis comprennent environ 46,000 aviateurs et civil.e.s et plus de 420 aéronefs ; L’US Army Pacific compte environ 106,000 personnes, plus de 300 avions et cinq embarcations ; plus de 1,200 membres du personnel des opérations spéciales ; les employé.e.s civil.e.s du ministère de la Défense dans l’AOR du Commandement indo-pacifique sont au nombre d’environ 38 000. »

Une grande partie de tout cela est dressée contre la Chine, et ce depuis plus de 70 ans. Les États-Unis réalignent continuellement le profil de l’empire. Récemment, cela a inclus :

  • la signature d’AUKUS (Australie/Royaume-Uni/États-Unis), pacte militaire trilatéral permettant à l’Australie de construire des sous-marins à propulsion nucléaire à déployer contre la Chine. (Cet accord a fait fureur car il impliquait que l’Australie déchire un contrat de plusieurs milliards de dollars avec la France.)
  • le renforcement du Quadrilateral Security Dialogue (le Quad), une alliance militarisée qui comprend les États-Unis, l’Australie, l’Inde et le Japon pour affronter la Chine en Asie-Pacifique
  • l’établissement par la CIA d’un nouveau « China Mission Center » pour s’attaquer à ce que le directeur de l’agence, William Burns, a décrit comme « la menace géopolitique la plus importante à laquelle nous sommes confrontés au 21e siècle, un gouvernement chinois de plus en plus menaçant. »

L’Empire ne prend pas de repos. La résistance non plus. Le Sud global refuse de suivre l’OTAN dans ses sanctions contre la Russie, y compris de nombreux pays d’Asie, l’Inde en particulier. Les États-Unis et leurs principaux alliés cherchent désespérément à renforcer leur soutien.

C’est pourquoi la Ministre des Affaires étrangères Joly et le CIPS effacent l’éléphant dans la salle pour exiger plutôt que nous nous préoccupions de la Chine. Les peuples d’Asie et du Pacifique traitent efficacement et activement avec la Chine. L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), par exemple, a traité avec la Chine sur la base de ses propres conditions. Ils ont convoqué des réunions du groupe ASEAN+3 (ASEAN plus la Chine, le Japon et la Corée du Sud), le Forum régional de l’ASEAN (ARF) et divers accords commerciaux. Mais plutôt que de renforcer ces initiatives régionales, Joly et le CIPS n’entendent pas soutenir l’Asie, mais imposer un agenda parallèle anglo-américain, un véritable barrage à l’intégration régionale.

Dans son eurocentrisme, l’alliance anglo-américaine redoute une « Asie pour les Asiatiques ». Ce que nous obtenons à la place, c’est un plan pour renforcer un empire anglo-américain sous le couvert maternel/paternaliste de sauver « l’Asie de la Chine ».

L’empire américain en Asie-Pacifique n’est pas évidemment né de lui-même. Il est apparu pour la première fois dans le cadre d’une alliance anglo-américaine, issue de l’empire britannique et de ses ramifications coloniales - les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces quatre derniers États, fondés par l’élimination génocidaire des peuples autochtones pour fournir des terres aux colon.ne.s blanc.he.s et aux entreprises, ainsi que leur vaisseau-mère décrépit, le Royaume-Uni, restent liés dans les soi-disant « cinq yeux ».

Comme Edward Snowden l’a si courageusement révélé, la US NSA et l’alliance d’espionnage Five Eyes représentent aujourd’hui le réseau d’espionnage le plus vaste et le plus sinistre de l’histoire du monde. Et maintenant, le Canada veut le renforcer, y compris en déployant plus d’espions en Asie.

L’analyste australien respecté, Clinton Fernandes, a récemment écrit Subimperial Power : Australia in the International Area. Dans ce document, il suggère que l’Australie est devenue de plus en plus dépendante des États-Unis, économiquement et autrement. En rejoignant récemment le Quad et AUKUS, elle se transforme en ce qu’il appelle un « État sentinelle » – rejoignant des pays comme la Corée du Sud et le Japon, qui sont étroitement liés à l’« État de sécurité nationale » américain.

Le Canada, semble-t-il, aspire à devenir un autre État sentinelle des E-U en Asie-Pacifique.

L’impact sur les Nord-Américain.e.s d’origine asiatique

L’intensification de la diabolisation de la Chine observée dans le CIPS et la politique mondiale des États-Unis ne feront qu’exacerber davantage les attaques racistes contre les personnes racialisées comme asiatiques en Amérique du Nord.

Au Canada et aux États-Unis, la campagne anti-Chine a donné lieu à une montée spectaculaire du racisme anti-asiatique. La vague initiale a surgi avec Trump et son association de la pandémie de COVID-19 avec la Chine, provoquant une énorme augmentation des crimes de haine contre les Asiatiques, ou contre ceux et celles perçu.e.s comme « asiatiques ». Aux États-Unis, cela a abouti au meurtre horrible de huit personnes à Atlanta, dont six étaient des femmes asiatiques.

Le Département de la justice américain sous Donald Trump a également lancé la China Initiative, une campagne visant à poursuivre des scientifiques aux États-Unis qui espionneraient pour la Chine. Cela a mené à des accusations contre des dizaines de scientifiques, principalement d’origine chinoise. Selon World University News, « aucun n’a été condamné pour espionnage économique, vol de secrets commerciaux ou de propriété intellectuelle ». Selon une étude réalisée par Jenny J. Lee, Xiaojie Li et le personnel du Comité des 100 de l’Université de l’Arizona, la China Initiative était un cas clair de profilage racial et a eu un effet dissuasif non seulement sur les efforts scientifiques, mais aussi sur les communautés asiatiques américaines en général. Les universités doivent faire davantage, déclarent-elles, pour lutter contre le racisme institutionnel qui est enflammé par la rhétorique anti-chinoise.

La résistance organisée au programme, par les accusés et par des groupes tels que l’Asian Pacific American Justice Task Force (APA Justice), le Brennan Center for Justice et les Asian Americans Advancing Justice, a conduit l’administration Biden à annuler le programme en février 2022, bien que le profilage des scientifiques sino-américain.e.s se poursuit.

Au Canada également, le racisme dirigé contre les personnes considérées comme chinoises ou asiatiques a explosé lors de la pandémie de COVID-19. Un puissant mouvement antiraciste a fusionné dans le cadre du soulèvement antiraciste de 2020, qui a contribué à repousser les agressions contre les communautés racialisées. Pourtant, les attaques racistes contre les quartiers chinois se poursuivent, contre ceux et celles qui ne sont pas d’accord avec les évaluations unilatérales de la Chine, et plus sévèrement, contre les scientifiques sino-canadien.ne.s.

Dans une étude récente, le Dr Xiaobei Tchen de l’Université Carleton a fait valoir que « malgré le multiculturalisme d’État, l’élaboration de la politique étrangère peut fonctionner comme un conduit institutionnel pour reproduire le racisme systémique, qui non seulement exacerbe les divisions sociales, mais empêche également une forme de compréhension interculturelle » dans lequel les individus se voient vraiment.

Contrairement aux États-Unis où il y a eu un effort concerté pour arrêter l’Initiative contre la Chine, au Canada la situation est moins claire. De nombreuses personnes dans les communautés racialisées hésitent à s’exprimer sur la politique étrangère de peur d’être accusées d’être des espions pour la Chine ou, alternativement, de subir la pression des nationalistes.

Les agences d’espionnage du Canada sont passées au premier plan au cours de cette période récente : le SCRS, responsable de l’analyse et des opérations, et le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), responsable de la collecte d’informations. Un rapport récent illustre comment la pandémie de COVID-19 a créé « un moment charnière » pour le SCRS, et c’est pourquoi aujourd’hui, il affirme avec agressivité : « Les espions ne portent plus de trench-coat ; ils portent des blouses de laboratoire ». L’agence a créé de nouveaux programmes, notamment « Academic Outreach and Stakeholder Engagement », et s’est tournée vers les médias sociaux, a créé des chaînes YouTube et offre du soutien contre certains cyber-crimes, tout en semant la peur des « acteurs étrangers » - un terme qui n’inclut apparemment pas le États-Unis.

Depuis plus d’un an maintenant, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada impose auto-filtrage obligatoire du SCRS à tous et toutes les postulant.e.s pour une subvention de l’Alliance du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG). Cette ingérence dans la recherche a été élaborée par le SCRS en collaboration avec d’importants instituts de recherche, dont la Fondation canadienne pour l’innovation, les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil national de recherches, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, le Conseil de recherches en sciences humaines, le U15 Groupe des universités de recherche du Canada, Universités Canada et vice-présidents à la recherche.

La résistance se poursuit, mais jusqu’à présent, les institutions canadiennes, universitaires ou autres, n’ont pas pris la parole publiquement pour soutenir les personnes persécutées. Il semble que nous n’ayons toujours pas tiré les leçons du déracinement et de l’internement des Canadien.ne.s d’origine japonaise. Les groupes racialisés sont extrêmement vulnérables à l’évolution des politiques étrangères.

Au-delà des empires, une étrange déconnexion semble exister entre le local et le global.

Tant au Canada qu’aux États-Unis, de puissants mouvements de résistance ont surgi pour contester la domination et l’oppression. Au Canada, la résurgence autochtone au cours de la dernière décennie (Idle No More, Attawapiskat, la Commission de vérité et réconciliation, l’Enquête sur les femmes et les enfants autochtones disparu.e.s et assassiné.e.s, la reconnaissance des enfants autochtones enterrés dans des tombes anonymes, les programmes sociaux de rapatriement, Wet’ suwet’en landback, et bien plus encore) continue d’avoir d’énormes impacts. Le soulèvement antiraciste de 2020 et les mouvements de justice environnementale ont des répercussions majeures à travers le Canada, tout comme le mouvement pour les droits LGBQT2S+.

Aux États-Unis, Black Lives Matter, le mouvement #MeToo, la défense du droit à l’avortement, la justice environnementale et la lutte pour les droits des Américains d’origine asiatique et latine, ainsi que le droit de vote ont attiré des millions de personnes dans l’action sociale.

Pourtant, sur le front international, à quelques exceptions près, le mouvement contre l’empire américain est plus faible que jamais. Cette faiblesse peut être attribuée à la capacité de l’État libéral à la fois de déformer et de détourner, de fabriquer un consentement qui permet à l’État d’exercer un contrôle sur les affaires internationales.

Ainsi, l’invasion et la guerre en Afghanistan sont déformées pour être une juste « guerre contre le terrorisme » ou pour libérer les femmes d’Afghanistan ; une fois perdue, elle devient une guerre pour sauver les Afghan.e.s qui ont collaboré avec les États-Unis et leurs alliés.

Ou, dans la guerre de résistance contre l’invasion russe de l’Ukraine, soulever la responsabilité de l’OTAN en provoquant cette guerre est considérée comme une dissidence injustifiable, voire une trahison.

Le croque-mitaine chinois joue un rôle pareil en Asie-Pacifique. Ce n’est que le leurre le plus récent dans une marche sans fin d’ennemi.e.s justifiant les guerres sans fin, menées par l’armée américain et avec un assortiment d’alliés en constante évolution.

C’est là que réside le vrai danger aujourd’hui. D’une part, la campagne actuelle dit une vérité partielle sur la Chine, sa nature illibérale et ses violations des droits de la personne. Mais elle est accompagnée de stéréotypes racistes qui s’appuient sur une longue histoire de racisme anti-asiatique au Canada et aux États-Unis.

Il nous reste encore beaucoup à faire.

Noam Chomsky

prof. MIT

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