13 juin par
Persuadé que seule une vaste mobilisation populaire dépassant les frontières pourra venir à bout des politiques de régression sociale imposées au nom de la dette, le CADTM- Europe appelle depuis plus d’un an [1] les forces progressistes sociales, syndicales et politiques à engager une discussion afin de déterminer dans l’unité une plate-forme et un calendrier d’initiatives et d’actions communes à l’échelle européenne. Autant au FSE d’Istanbul qu’à la rencontre du 29 septembre 2010 [2], le réseau européen du CADTM mobilisa son énergie pour qu’émerge à l’échelle nationale et européenne une réponse coordonnée contre la dette et les plans d’austérité. La proposition d’initier dans différents pays européens des Conférences contre la dette fut relayée par certaines des forces investies dans le FSE [3]et abouti, dans ce cadre, à l’organisation le 31 mai 2011 d’une Conférence au Parlement européen contre l’austérité, la dette et démantèlement social en partenariat avec la GUE [4].
Pas moins de 140 participant-e-s de 20 pays d’Europe représentant plus de 70 organisations des mouvements sociaux, syndicaux et formations politiques vinrent partager leurs réflexions sur les alternatives à opposer à l’austérité en vue de construire des solidarités effectives et des convergences européennes. D’emblée, le déficit démocratique de la construction européenne découlant de sa nature néolibérale fut mis sur la sellette. Alors qu’on ne peut gouverner en dehors des peuples, le Parlement européen n’est que peu concerné par la gouvernance européenne. Les décisions se prennent ailleurs… L’Euro pacte + ne fera qu’accentuer la régression sociale et démocratique en cours. Face à cette véritable confiscation de la souveraineté des peuples d’Europe, réinventer le projet européen, refonder démocratiquement l’UE constitue un impératif de premier ordre.
Tout au long de cette journée, l’illégitimité d’une grande partie de la dette publique des Etats européens fut maintes et maintes fois dénoncée. S’engager dans la réalisation d’audits citoyens de la dette de tous les Etats européens fut unanimement ressenti comme une nécessité afin d’en annuler la part illégitime, de pénaliser les spéculateurs et de protéger les simples épargnant-e-s et retraité-e-s. Le mouvement des indigné-e-s, manifestation de la volonté populaire du refus de payer pour les crises du capitalisme financier, renforce la détermination des participant-e-s à cette conférence de lutter ensemble, de manière coordonnée, contre le « système dette », instrument d’imposition des mesures d’austérité destructrices de tout modèle social en Europe.
Plusieurs témoignages des conséquences des politiques d’austérité violant les droits économiques et sociaux des populations, imposant le « socialisme » pour les riches et le néolibéralisme pour les pauvres ponctuèrent les interventions de la séance de l’après-midi. Ainsi en Roumanie, alors que les salaires ont été diminués de 25% (15% pour les retraité-e-s), la TVA augmentée de 19 à 25%, l’âge de la retraite porté à 65 ans pour les hommes (63 pour les femmes), les dépenses sociales réduites tout comme les droits syndicaux, le pouvoir patronal a quant à lui été renforcé afin de faciliter l’exploitation des travailleurs/euses et ainsi que les licenciements. La Grèce a vu son taux de chômage augmenter de 8 à 16%, les salaires des fonctionnaires coupés de 20 à 30%, un grand nombre de ses hôpitaux et écoles fermés et les conventions collectives bafouées tandis qu’en Hongrie, la main mise du FMI sur l’économie fut synonyme de déstructuration des services publics, d’anéantissement de toute protection sociale et de privatisations menées à gogo. La dimension européenne des régressions multiples assignées aux peuples d’Europe au nom de la dette publique renforça la conviction selon laquelle plus les audits seront coordonnés au niveau européen (plutôt que de se limiter au niveau national), plus la mobilisation populaire en leur faveur sera forte et plus la dette illégitime des Etats européens aura des chances d’être effectivement annulée. Le refus de laisser le monde aux mains de la finance et du secteur bancaire, la volonté de placer les banques sous contrôle citoyen et de permettre que la BCE finance directement les Etats tout comme l’exigence d’une justice fiscale réellement redistributive taxant effectivement les revenus du capital et des transferts financiers forgèrent de nombreuses interventions et propositions de cette conférence.
Bien conscient-e-s que la généralisation des politiques néolibérales de dumping fiscal et social, de dérèglementation du marché du travail (flexibilisation et délocalisations intra européennes) et de promotion de la concurrence au détriment des droits sociaux impulse une pauvreté accrue aux quatre coins de l’Europe, les diverses forces associatives, syndicales et politiques participant à cette journée partagèrent plusieurs propositions d’alternatives susceptibles d’inverser cette tendance humainement mortifère. L’élargissement du concept de protection sociale, la mise hors concurrence des services publics, une redistribution radicale des richesses, l’instauration d’un salaire minimum européen ainsi que la sociabilisation de tout ce qui fut privatisé depuis 1980 figurent parmi celles qui récoltèrent la plus large adhésion collective. De nombreuses considérations intégrant une analyse de sexe ponctuèrent les débats de cette conférence. Partout en Europe, es femmes sont à l’avant-garde des déstructurations socio-économiques consécutives des mesures d’austérité.
La volonté de procéder à un audit des dettes qui identifierait les conséquences de l’endettement sur les femmes et sur leurs conditions d’émancipation se renforce progressivement au sein des mouvements féministes européens. Les femmes paient le prix fort de la récession. La majorité des travailleurs pauvres sont des travailleuses. De plus, la réduction de la prise en charge par l’Etat des services collectifs (santé, éducation, transport, aide aux personnes, etc.) imposée par les politiques d’austérité implique un transfert de leur responsabilité de la sphère publique vers la sphère privée et donc vers les femmes. Déjà confinées à des emplois peu rémunérés et précaires, elles devront désormais assurer gratuitement les tâches jadis assumées par l’Etat ce qui non seulement, les éloignera encore un peu plus du secteur productif et donc d’une autonomie financière mais se traduira en outre, par une crise de surcharge de leur travail domestique. Notons que la montée des courants conservateurs et le retour des religions renforcent la pression exercée sur les femmes pour les contraindre à rester à la maison, à limiter leurs activités et perspectives au cadre privé, à l’espace du foyer. La préservation et le développement des services publics est une des conditions de l’autonomie des femmes et d’une répartition plus égalitaire des tâches entre les sexes. Face au constat de la finitude des ressources naturelles, face aux limites de notre écosystème, la promotion d’une politique énergique durable est unanimement ressentie comme un impératif et une urgence.
Si l’une des finalités de cette conférence était de partager les alternatives à opposer au « système dette », à l’austérité et au démantèlement social, l’élaboration de convergences et de mobilisations communes constituait bien son enjeu majeur. La volonté de dépasser les niveaux nationaux pour progressivement arriver à monter des campagnes de dimension européenne, à construire un rapport de force sur des objectifs communs et de mieux articuler les luttes nationales et européennes structura l’essentiel des travaux de cette journée. Cette construction européenne et solidaire de propositions convergentes et alternatives est indispensable pour contrer le déplacement des conflits sociaux sur le terrain des nationalismes faisant le lit de la montée des extrêmes-droites [5]en Europe. Se rallier et soutenir les nouvelles générations qui occupent la rue, demandent la « Démocratie réelle », sont à la recherche de nouveaux modes de mobilisation et d’action politique et incarnent l’émergence d’un nouveau pouvoir citoyen constitue une démarche essentielle pour l’ensemble des participant-e-s à cette conférence. Reverser les acquis de cette journée au sein du FSE afin que ce processus le renforce et proposer de créer en son sein un réseau thématique « Dette et austérité » fit consensus. In fine, le renforcement des convergences entre mouvements sociaux, syndicaux et formations politiques fut reconnu comme une composante décisive de l’efficience des luttes à mener contre les politiques d’austérités et la déstructuration sociale imposées au nom de la dette aux peuples d’Europe.
La journée se clôtura par l’amendement d’un texte collectif, socle commun d’alternatives, pensé comme une contribution aux mobilisations populaires à venir et à encourager partout en Europe.