« La dépression majeure est aujourd’hui la première cause d’incapacité dans le monde et figure au quatrième rang des principales causes de morbidité. A en croire les projections, elle aura dans une vingtaine d’années le triste privilège d’accéder à la seconde place. On compte dans le monde 70 millions d’alcoolodépendants, 50 millions environ d’épileptiques et 24 millions de schizophrènes. Un million de personnes se suicident chaque année et 10 à 20 millions font une tentative de suicide. Rares sont les familles qui ne sont pas touchées par des troubles mentaux. Une personne sur quatre sera atteinte d’un trouble mental à un moment de son existence. »
Le risque de contracter certaines affections, comme la maladie d’Alzheimer, augmente avec l’âge. Compte tenu du veillissement de la population mondiale, la situation ne peut qu’empirer. L’impact social et économique des maladies mentales est énorme » http://www.who.int/whr/2001/en/whr01_djmessage_fr.pdf
« La santé mentale, qui représente déjà 13 % de la charge de morbidité planétaire, atteindra les 15 % dans une dizaine d’années, prédit-on. L’expansion de ces pathologies n’épargne pas le Québec, qui devrait compter près de 1,8 million de patients en 2031. Des statistiques peu réjouissantes, et dont les conséquences sont à la fois individuelles et sociétales. » http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2013/05/sante-mentale-defi-societal-mondial
Le Québec ne fait donc pas exception à cette situation mondiale :
« Au Québec, selon l’Institut de la statistique du Québec dans Les enquêtes sociales et de santé 1998, il est démontré qu’environ 1 159 000 personnes détiennent un indice considéré élevé de détresse au Québec et constitue un bassin de population à risque. Au Québec, en 1998, 20% de la population de plus de 15 ans se situait au niveau de détresse le plus élevé.
Chiffres : survol de la situation au Québec et au Canada »
http://www.acsm.qc.ca/ACSM_Quebec/pages/accueil/00_introduction.php
Les individus ont de plus en plus de misère à vivre en société et développent un mal à vivre chronique. Faut-il y voir la faute des individus ? La santé mentale est maintenant reconnue comme tributaire de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. La destruction de l’environnement, la pauvreté, la performance, l’individualisme, l’isolement, la violence et les guerres n’ont pas seulement des impacts sur notre physique. Notre mode de vie actuelle est loin de protéger notre bien être psychologique.
Quand il est question du travail
Et le travail dans tout ça ? Ne passons-nous pas le tiers de notre temps de vie au travail ? Cela n’aurait-il pas des incidences sur notre santé mentale ? La mondialisation, les crises économiques, les licenciements massifs, la compétitivité, la surcharge de travail, le stress, l’augmentation des responsabilités, tout cela ne jouerait-il pas un rôle dans notre mal être ?
L’état de la situation démontre qu’effectivement les gens souffrent :
« À ce chapitre, il est important de noter que de 1990 à 2005, le
nombre de réclamations acceptées à la CSST (lésions professionnelles liées au stress, à l’épuisement professionnel ou à d’autres facteurs d’ordre psychologique) a plus que doublé, passant de 530 à 1 213, pour des déboursés annuels en indemnités de remplacement de revenus qui ont presque décuplé, passant de 1,5 à 12 millions de dollars (CSST, 2007). De même, quand on analyse les causes d’absence du travail pour de longues durées et indemnisées au Québec par les compagnies privées d’assurance-salaire, on constate que de 30 % à 50 % d’entre elles sont attribuables à des problèmes de santé mentale alors que ce pourcentage n’était que de 18 % en 1990 (Ranno, 2000). Enfin, l’analyse des résultats des trois enquêtes générales sur la santé et le bien-être de la population québécoise, réalisées entre 1987 et 1998, montre clairement que l’incapacité de travailler pour des problèmes de santé mentale au Québec a presque doublé au cours de cette période, passant de 7 % à 13 %, que les femmes sont plus touchées que les hommes et que le nombre moyen de journées d’incapacité de travail par personne pour ces problèmes a plus que triplé de 1992 à 1998 (Vézina et Bourbonnais, 2001). » http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/sante/pdf2008/stress_travail.pdf
« FAITS SAILLANTS
État de santé des travailleurs
Parmi la population de 15 à 75 ans, les indicateurs de santé mentale sont favorables à la population en emploi. Les problèmes de santé mentale suivants y sont moins répandus que dans la population sans emploi :
− niveau élevé de détresse psychologique (25 % c. 30 %) ;
− dépression majeure (4 % c. 6 %) ;
− indice global positif de dépression (6 % c. 10 %) (dépression majeure, pensées suicidaires ou tentative de suicide).
Le niveau élevé de détresse psychologique tend à augmenter parmi la population en emploi quand le revenu diminue, passant de 21 % (revenu élevé) à 39 % (revenu faible).
Près de 4 personnes sur 10 qui avaient un emploi au moment de l’enquête évaluent la plupart de leurs journées de travail comme assez ou extrêmement stressantes ; c’est plus que les personnes sans emploi mais qui avaient travaillé à un moment donné au cours de l’année (39 % c. 36 %).
L’autoévaluation du stress au travail est utilisée dans cette étude comme un indicateur de santé.
L’autoévaluation du stress au travail s’est améliorée de manière significative entre 2000-2001 et 2005(cycles généraux de l’ESCC), alors que la proportion de travailleurs évaluant la plupart de leurs journées comme stressantes est passée de 42 % à 38 %. Cette évolution est inattendue alors qu’en parallèle le soutien social — un autre facteur reconnu comme pathogène — se détériorait, soulignant la nature incertaine du concept de stress au travail (cause ou effet ?).
La consommation de médicaments psychotropes (sur douze mois) touche moins la population en emploi que celle sans emploi (11 % c. 21 %). Par contre, une personne sur 10 a consulté un professionnel à des fins de santé mentale (sur douze mois), que ce soit dans la population en emploi (9 %) ou dans celle sans emploi (10 %).
Prévalence des contraintes psychosociales de travail
Dans cette étude, les personnes exposées aux contraintes psychosociales de travail sont, par définition,celles dont le score est plus élevé que la médiane (score élevé = situation défavorable). Selon cette définition :
− la proportion de la population en emploi faisant face à un faible soutien social au travail a augmenté entre 2002 et 2005 (ESCC 3.1), passant de 47 % à 49 % ;
− la faible autonomie de compétence et la faible autorité décisionnelle sont demeurées inchangées de 2000-2001 à 2005 (48 % et 41 % respectivement en 2005) ;
− en 2005, les femmes sont exposées en plus grande proportion que les hommes à une faible autorité décisionnelle (46 % c. 37 %).
Les hommes rapportent faire des efforts physiques intenses au travail dans une proportion de 42 %,contre 34 % chez les femmes.
L’insécurité d’emploi touche environ 18 % de la population. » http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/sante/pdf2008/stress_travail.pdf p. 34
Des solutions ?
En 2013 il ne faut pas croire que la situation s’est améliorée. Actuellement travailler nous rend malade. Mais comment aborder la situation :
« La psychologie du travail ou psychologie des organisations s’intéresse à des études concernant la façon de perfectionner les responsables pour : adapter les personnes au travail proposé en sélectionnant le personnel motivé et correspondant au poste ; faire en sorte que les postes plaisent aux gens en créant un environnement de travail qui stimule le moral et la productivité ; évaluer les résultats et créer des incitations à la performance ; favoriser le travail en équipe et la réussite du groupe.
Il existe également un courant de psychologie clinique du travail, enseigné par exemple au CNAM, qui cherche à comprendre et à expliquer les processus psychiques mis en jeu dans l’activité, avec pour objectif d’aider un collectif professionnel à trouver les ressources pour surmonter les difficultés du travail, si possible en faisant évoluer le travail pour l’adapter à l’homme (et pas l’inverse). » http://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_du_travail
La deuxième approche pose la notion de collectif. Depuis les années ’70, les organisations collectives des travailleuses et travailleurs ont perdu du terrain. L’organisation du travail mis en place par les élites capitalistes a visé à saucissonner les tâches encore davantage, à parcelliser, à individualiser, à diviser. Tout cela en développant une idéologie néolibérale de la performance, de "travailler : c’est s’enrichir", de ne compter que sur soi ; les gens se sont isolé. Les frustrations qui étaient avant évacuées par des actions collectives et syndicales sont maintenant intériorisées et développent le mal être, la culpabilité, l’impuissance. Penser en terme du nous et non du je doit revenir d’actualité et permettre aux travailleuses et travailleurs de développer des solutions concrètes sur le milieu de travail. Sans actions collectives, l’organisation du travail ne fait que développer des problèmes de santé mentale. Si les travailleurs et travailleuses sont impliqué-E-s dans les solutions, celles-ci risquent de coller davantage à ce que les gens vivent et risquent aussi d’être des solutions efficaces dans le temps. L’entraide, la solidarité et le respect vont prendre la place de l’individualisme, de l’égoïsme et du mépris comme climat de travail. Les réponses collectives permettent d’améliorer le sort des gens non seulement au niveau économique mais aussi au niveau de l’atmosphère au travail.
Chloé Matte Gagné