Au-delà de la liberté d’expression, le devoir d’interroger sa démarche artistique
Le spectacle SLAV, mettant en vedette Betty Bonifassi et mis en scène par Robert Lepage prenait l’affiche du Festival international de Jazz de Montréal hier mardi le 26 juin, alors qu’une action de protestation se tenait devant les portes du Théâtre du Nouveau Monde. L’annonce de cette création, basée sur un album de la chanteuse reprenant des chants d’esclaves afro-américains, avait soulevé déjà en décembre dernier, des questionnements quant à l’appropriation culturelle.
Face à un enjeu aussi crucial que complexe, et suite à l’organisation d’une soirée débat sur ce sujet en avril, Diversité artistique Montréal (DAM) souhaite participer à une réflexion saine et constructive dans le milieu des arts et de la culture, à laquelle s’est déjà joint le Conseil des arts du Canada. Voici quelques pistes de réflexion tirées des échanges tenus lors des activités de DAM qui peuvent aider à y voir plus clair sur le sujet et à se questionner pour mieux avancer.
Le contexte historique qui a vu naître les chants d’esclaves est intrinsèquement lié aux souffrances d’un peuple dont la dignité et la nature humaine ont été largement déniées. À ce titre, l’histoire de l’esclavage porte en elle une dimension raciale indéniable et continue à ce jour d’avoir des répercussions systémiques, autant en termes de privilèges que de discriminations. Dans ce contexte, un spectacle mettant de l’avant une équipe qui apparaît, dans sa promotion, comme entièrement blanche (une interprète, un metteur en scène et un concepteur [1]) soulève des questionnements légitimes au regard de l’appropriation culturelle.
Le projet, et son processus de création, inclut-il des personnes concernées par l’histoire ou les expériences mises de l’avant ? Ces personnes sont-elles visibles et bénéficient-elles de reconnaissance en lien avec leur contribution ? Comment s’assurer de rendre hommage sans dénaturer et décontextualiser les codes et les pratiques ? Comment permettre aux communautés concernées de s’impliquer et de profiter des impacts du projet ?
La sous-représentation de personnes racisées observée dans le milieu artistique et culturel témoigne d’une invisibilisation de ces personnes, mais également des problématiques qui les touchent ainsi que des récits et de l’héritage dont elles sont porteuses. Alors que l’histoire est souvent racontée du point de vue majoritaire, l’art apparaît comme une occasion pour les communautés concernées de se réapproprier leur héritage, dans les divers termes et formes qu’elles choisissent d’adopter. Tenant compte de ce constat, s’intéresser à un épisode traumatique comme l’esclavage devrait être une opportunité de mettre de l’avant ces voix que l’on entend trop rarement.
Par ailleurs, l’utilisation d’éléments d’un répertoire culturel spécifique pose la question de la destination des profits qui en seront tirés, autant financièrement qu’en termes de notoriété. Un projet de grande envergure lié à un système d’oppression dont les plaies ne sont pas refermées devrait pouvoir, d’une façon ou d’une autre, bénéficier aux personnes et aux communautés qui en subissent encore aujourd’hui les répercussions.
Les débats entourant l’appropriation culturelle ont tendance à se focaliser sur les limitations à la liberté d’expression. À la lumière des éléments rapportés plus haut, DAM est d’avis que ces débats devraient plutôt mettre l’accent sur l’écoute et l’humilité face à une histoire et des expériences qu’on ne connait ou ne vit pas. En ce sens, les préoccupations entourant la démarche derrière la production de SLAV méritent d’être entendues au regard de son impact sur les communautés noires de Montréal.
[1] Le descriptif du spectacle ne mentionne pas le nom des six choristes qui accompagnent la chanteuse ou de toute autre personne ayant contribué à la création.
SOURCE :
Diversité artistique Montréal
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