Rappelons que la décision de soumettre cette question au référendum n’est pas venue sous la pression de la gauche mais était une réponse du premier ministre conservateur David Cameron – partisan du maintien – à une revendication de son aile droite europhobe et à la concurrence des souverainistes xénophobe de l’UKIP. Le parti conservateur et son électorat sont très divisés, plusieurs leaders de poids – parmi lesquels le maire de Londres Boris Johnson – sont favorables au Brexit, et s’opposent ainsi à Cameron. La majorité des responsables politiques, y compris les travaillistes (Labour Party) menés par Jeremy Corbyn, a donc clairement fait le choix de rester dans l’UE… tout comme l’essentiel du patronat.
L’aile gauche du Labour et les principaux syndicats étaient pourtant historiquement hostiles à l’adhésion du Royaume-Uni au Marché Commun (devenu l’UE). Mais, depuis au moins la fin des années 1980, ils ont fait le choix de défendre « l’Europe sociale » considérée comme un bouclier contre les effets des politiques néolibérales et les lois antisyndicales adoptées par des gouvernements britanniques successifs. Le temps où une puissante aile gauche du Labour, très liée aux syndicats, s’opposait à un alignement sur l’Europe capitaliste, sur des bases certes souvent protectionnistes, est révolu. Jeremy Corbyn lui-même, partisan en 1975 du retrait du Marché Commun, s’est rallié – pour des raisons de politique interne au Labour ou par conviction – à la position « pro-européenne ». Avec des hésitations et des nuances, les travaillistes et les principaux syndicats sont donc aujourd’hui pour l’essentiel dans le camp du maintien.
Syndicats et gauche radicale partagés
Cependant, quelques syndicats sont à contre-courant. Le plus important est le RMT, avec 80 000 adhérents concentrés dans des secteurs stratégiques comme les chemins de fer et les transports maritimes. Ce syndicat proche de la gauche radicale s’oppose à l’UE notamment sur le terrain de la libéralisation du marché des transports (la renationalisation du chemin de fer fait partie des perspectives défendues par les partisans du Lexit). Il dénonce le « mythe » d’une UE qui protégerait les intérêts des salarié·e·s, rejoint sur cette ligne par les syndicats de conducteurs de train et de l’industrie alimentaire.
A la gauche de la gauche, la crise grecque, les plans d’austérité imposés aux pays du sud, les négociations secrètes avec les Etats-Unis pour conclure un traité de libre-échange (TTIP), les carences démocratiques flagrantes des institutions européennes, la montée de la droite xénophobe dans de nombreux pays de l’UE et le traitement des réfugié·e·s sont venus confirmer l’analyse d’une Union comme un cartel de pays capitalistes formé pour défendre les intérêts des capitaux européens. Pour l’essentiel, deux positions s’affrontent. Pour les uns, le principal danger est celui d’une victoire du camp du non à l’UE au bout d’une campagne dominée inévitablement par la question de l’immigration. Ce serait un formidable encouragement pour les forces les plus réactionnaires, et notamment pour l’UKIP. Selon eux, la sortie de l’UE conduirait à un gouvernement encore plus droitier que celui de Cameron.
Un Lexit articulé à une perspective internationaliste
Parmi les organisations défendant le Lexit, on compte le Socialist Workers Party, le Communist Party of Britain, Respect (de George Galloway), Counterfire, etc. Plusieurs de ces mouvements ont lancé la campagne de sortie de gauche Lexit, qui a notamment tenu un meeting internationaliste contre avec notamment des orateurs de France (CGT), Grèce (Antarsya), Irlande (People Before Profit) et Catalogne (CUP). Ces camarades pensent aussi qu’une défaite de Cameron, suivie sans doute par sa démission, aggraverait la crise de la droite et ouvrirait de nouvelles possibilités pour la gauche… une analyse qualifiée de « pas crédible » par les partisans à gauche du maintien.
Les organisations de la gauche de gauche qui soutiennent le maintien tiennent une série de meetings avec comme mot d’ordre « Une autre Europe est possible ». Pour eux, il s’agit plutôt de travailler à une convergence des luttes dans les différents pays d’Europe pour imposer d’autres politiques. Ce fut d’ailleurs initialement la position de l’auteur Tariq Ali, avant sa décision de faire campagne pour le Lexit. Parmi les organisations pour le maintien, on compte Socialist Resistance, Left Unity, Alliance for Worker’s Liberty (AWL), le Scottish Socialist Party, Sinn Fein en Irlande du Nord, Plaid Cymru (parti nationaliste gallois), etc.
Le débat continue
Comme avec tout référendum, faire un choix implique, le Jour-J, être dans le même « camp » que des gens avec qui l’on n’a rien en commun politiquement. Il est facile de reprocher aux partisans du Lexit de faire le jeu des eurosceptiques de droite, voire des fascistes, tout comme il est facile de reprocher aux partisans du maintien de faire le jeu de Cameron et du grand patronat.
Mais pour l’essentiel le débat se fait sur le fond, aidé par le fait que les camarades des deux côtés font attention à se distinguer des deux campagnes officielles et des forces qui sont encore plus dangereuses. Il n’est pas question pour la campagne Lexit, par exemple, de s’associer de quelque façon que ce soit avec la droite nationaliste. Le débat continuera donc, jusqu’au 23 juin, et sans doute après.