Le réalignement populiste du Parti québécois
Le fait que le Parti québécois soit davantage progressiste et souverainiste lorsqu’il est dans l’opposition est un phénomène bien connu. Durant la dernière campagne électorale, il joua ses cartes réformistes sur le plan social et environnemental afin de surfer sur le mécontentement populaire. Les bonnes nouvelles se firent sentir les premières semaines (abrogation de la loi 12, moratoire sur la hausse des frais de scolarité et le gaz de schiste, fermeture de la centrale Gentilly-2), tandis qu’une série de reculs montrèrent rapidement le caractère conservateur du parti sur le plan économique : déficit zéro, collaboration avec le monde des affaires, coupures dans l’aide sociale, indexation des frais de scolarité, relance du Plan nord pour tous, ouverture à l’exploitation pétrolière, défense du libre-échange, appui du règlement anti-manifestation P-6, etc.
Sur le plan culturel, le virage identitaire des dernières années se manifeste par le recadrage de la nation québécoise sur la langue française et les « valeurs communes » du peuple québécois, comme l’égalité homme femme (malaise avec le voile) ou la défense d’une laïcité dure (Djemila Benhabib). L’adoption d’une Charte de la laïcité, le projet controversé de citoyenneté québécoise, la création de commissions nationales d’examen, les campagnes marketing sur la fierté et les arguments économiques pour la souveraineté, tous ces dispositifs de « gouvernance » visent à redonner confiance au peuple québécois afin qu’il reprenne en main son destin national. L’intention souverainiste est clairement présente, mais la méthode ressemble davantage à une stratégie autonomiste accélérée, comme si l’indépendance pouvait se construire par une série d’étapes inoffensives. L’homéopathie souverainiste, somme toute.
Cependant, ce virage nationaliste ne doit pas laisser penser que le Parti québécois appliquera de grandes réformes sociales capables de compenser le plan d’austérité qu’il est en train d’implanter. Même s’il enverra probablement aux prochaines élections certains signaux « sociodémocrates » pour charmer quelques progressistes désorientés, sa tendance opportuniste cherchera plutôt à consolider sa base électorale en allant chercher les classes sociales polarisées négativement par le traumatisme de la révolte étudiante, c’est-à-dire l’électorat de la CAQ. Il ne s’agit pas ici d’une prédiction de type déterministe, mais d’une anticipation de la direction que prendra ce parti politique en fonction de l’évolution économique, les métamorphoses du discours hégémonique et les rapports de force entre différents groupes de la société.
Aux prochaines élections, le PQ continuera son virage à droite en empruntant la voie du populisme et essayera de battre les libéraux et surtout la CAQ sur son propre terrain, afin de gagner le cœur d’une population insatisfaite par la crise perpétuelle du modèle québécois. Un nouveau référendum semble très improbable, compte tenu des sondages actuels qui dictent la stratégie électoraliste péquiste dont le principal objectif est de gouverner. Des mesures nationalistes seront entreprises pour renforcer le noyau identitaire, calmer les frustrations réactionnaires et rassurer l’impatience souverainiste.
La fonction PKP
La récente nomination de Pierre-Karl Péladeau à titre de président du conseil d’administration d’Hydro-Québec doit être comprise comme un moyen de répondre à plusieurs objectifs :
1) préparer la restructuration de l’État-providence québécois, dans le sens néolibéral d’une désyndicalisation et d’une importation de la logique de l’entreprise privée dans les institutions publiques (PKP est un antisyndicaliste militant) ;
2) assurer une couverture médiatique favorable au PQ auprès des classes moyennes conservatrices grâce à la convergence médiatique, économique et parlementaire ;
3) percer le bastion de la ville de Québec en favorisant une articulation organique entre le maire Labeaume/PKP/PQ, dont le cœur est représenté par le nouveau phare de l’industrie culturelle québécoise : l’amphithéâtre Quebecor ;
4) opérer la CAQuisation du PQ, comme l’évoque Pierre Dubuc dans son article sur « Vers la berlusconisation du Parti québécois ». « Dans les cercles souverainistes et progressistes, on attribue le fait que le gouvernement soit minoritaire à la division du vote entre le Parti Québécois, Québec solidaire et Option nationale, et on parle de « convergence nationale », d’alliance électorale en vue du prochain scrutin. Mais, dans l’entourage de la direction du Parti Québécois, on entend un autre discours. Le PQ est minoritaire, dit-on, à cause de son virage à gauche, de son appui à la lutte étudiante. Parlez aujourd’hui à un ministre péquiste et il vous expliquera comment tous ses projets de loi sont conçus pour aller chercher l’appui de la CAQ. Les politiques du Parti Québécois ont d’ailleurs une forte odeur caquiste : pensons à l’objectif du déficit zéro, les compressions dans les commissions scolaires, les suppressions de poste à Hydro-Québec, les coupures à l’aide sociale. Tout est conçu pour plaire à l’électorat caquiste. Avec la CAQ qui ne décolle pas dans les sondages et le rapprochement entre le PQ-PKP, faudrait peut-être envisager la possibilité d’une alliance entre le PQ et la CAQ comme plus probable qu’une alliance PQ-QS-ON ! » ;
5) faire la promotion d’un nationalisme bourgeois, dont PKP représente l’intellectuel organique. De plus, il ne serait pas surprenant qu’il devienne un jour le bras droit ou même le chef du PQ, au même titre que Charles Erwin Wilson (président de General Motors) qui fut nommé comme secrétaire de la Défense par le président Eisenhower en 1953 : « What is good for Quebecor is good for Quebec and vice versa. »
Le nouveau Parti conservateur du Québec
Par ailleurs, ce déplacement du PQ vers l’espace électoral de la CAQ risque à son tour d’entraîner ce parti vers la droite. Il faut rappeler que la CAQ fut à l’origine une pure création médiatique propulsée par des sondages Léger-Marketing, le Journal de Montréal et de Québec. L’arrivée de François Legault comme chef de la formation, avec son passé souverainiste et son recentrement pragmatique, a provoqué une crise au sein de l’ADQ, surtout auprès des libertariens qui le trouvent trop à gauche. La récente élection d’Adrien Pouliot à titre de chef du Parti conservateur du Québec (PCQ) est une illustration intéressante de ce phénomène, qui préfigure une éventuelle division de la CAQ.
http://argent.canoe.ca/nouvelles/affaires/adrien-pouliot-devient-chef-parti-conservateur-quebec-25022013
Figure discrète et méconnue du grand public, Adrien Pouliot est en fait un intellectuel organique majeur, surtout auprès de la bourgeoisie et de l’hégémonie libertarienne. « Il a participé en 1999 au lancement de l’Institut économique de Montréal, dont il a été président du conseil pendant 8 ans et membre du conseil pendant 12 ans. Il a aussi été président du conseil de la Ligue des contribuables, un organisme sans but lucratif qui cherche à défendre les intérêts des contribuables. Il s’est impliqué en politique comme vice-président de la commission politique de l’Action démocratique du Québec en 2011 jusqu’à la fusion de celle-ci avec la Coalition Avenir Québec. » http://adrienpouliot.ca/?page_id=2
Adrien Pouliot souhaite rajeunir le Parti conservateur du Québec en prônant un conservatisme fiscal (et non moral), digne de la droite albertaine : « Taux d’imposition unique de 10 % pour les particuliers, droits de scolarités déréglementés, fin des subventions aux entreprises, exportation de l’eau : voilà quelques-unes des idées que prône le nouveau chef du Parti conservateur du Québec, Adrien Pouliot. Dans un discours lors du premier congrès du jeune parti, le nouveau chef s’est permis de rêver au Québec de 2023. Sous sa gouverne, la province serait devenue une destination prisée pour le tourisme médical, les impôts des entreprises seraient diminués de moitié et les familles pourraient recevoir 100 $ par semaine afin qu’un parent assure la garde des enfants à la maison. »
http://argent.canoe.ca/nouvelles/affaires/adrien-pouliot-devient-chef-parti-conservateur-quebec-25022013
Opposé à la fusion CAQ/ADQ, ce nouveau dirigeant attirera la sympathie des adéquistes déçus, le Réseau Liberté-Québec, l’Institut économique de Montréal, la chaîne Radio-X et d’autres organisations conservatrices du Québec. La convergence PQ/CAQ autour du nationalisme identitaire néolibéral risque donc de provoquer la reformation de l’ADQ au sein d’un parti conservateur libertarien correspondant parfaitement à l’idéologie qu’il préconise implicitement depuis sa fondation en 1994. Devant cette formation, le tandem PQ/PKP aura l’air d’être campé solidement dans la gauche du modèle québécois. Pour faire une analogie avec la scène politique catalane, le nouveau PQ occupera l’espace de Convergència i Unio (parti nationaliste néolibéral, fondamentalement autonomiste, mais ouvert à l’indépendance), alors que l’ADQ/PCQ prendra la place du Partit popular (droite populiste fédéraliste).
Le nouveau parti idéologique
Les multiples trajectoires économiques, politiques et idéologiques qui se manifesteront dans l’espace public des prochaines années seront principalement orientées par les divers types de réponses à la « question québécoise », c’est-à-dire à l’héritage social et national de la Révolution tranquille en crise. Face à l’échec de l’État-providence, le Parti libéral du Québec continuera à surfer sur le statu quo, la collaboration entre élites, la relance du libéralisme économique, voire une refondation du libéralisme politique tel que souhaité par Philippe Couillard. Même une « refondation idéologique » souhaitée par le nouveau chef ne permettra pas de masquer la profonde continuité historique de ce parti. Autrement dit, il ne proposera pas d’alternative au modèle québécois, mais une forme de néolibéralisme simple, fédéraliste, multiculturaliste ; un capitalisme bourgeois canadien. Il s’agit d’une recette gagnante, appuyée sur une base sociale relativement stable et fidèle, composée de grands et petits propriétaires, classes moyennes non souverainistes, communautés anglophones et allophones.
De leur côté, le Parti québécois et la Coalition avenir Québec offrent une réponse largement semblable, car elle est située dans un même espace hégémonique largement contrôlé par Quebecor et orienté vers une base sociale similaire. Le bloc PQ-CAQ oscille entre le statu quo, le compromis et la relance de la croissance économique fondée sur l’exploitation pétrolière et la primauté des investissements privés, ainsi que le démantèlement plus ou moins rapide de l’État social. Tout ceci forme une sorte de bouillie idéologique qui demeure toutefois relativement cohérente. Plus précisément, ces deux partis présentent un néolibéralisme québécois, nationaliste, autonomiste et identitaire, s’appuyant sur la petite bourgeoisie menacée par la crise économique, la population d’origine canadienne-française, les classes moyennes précarisées défendant leurs intérêts contre ceux des syndicats, les individus en quête de changement mais déboussolés politiquement (confondant parfois la CAQ et Québec solidaire). Ainsi doit être entendue l’émergence du Front nationaliste conservateur, qui tente d’implanter un capitalisme recentré sur l’identité nationale, visant à sortir de la crise de la Révolution tranquille par l’abandon définitif du modèle québécois.
Nul ne sait encore si le PQ et la CAQ finiront par s’unir pour former un seul parti de droite nationaliste, ou s’ils continueront de s’entre-déchirer pour répondre aux intérêts contradictoires d’une même population alimentée par l’industrie culturelle et le dépérissement médiatique de la société québécoise. Une chose est sûre, c’est qu’ils glissent tranquillement vers une dérive qui a commencé depuis bientôt vingt ans, lors de la création de l’ADQ qui osa remettre en question pour la première fois et ouvertement le consensus social du modèle québécois.
S’ils préconisent une forme de néolibéralisme analogue au Parti libéral, ce dernier demeure cependant plus « progressiste » sur le plan socioculturel, notamment en ce qui concerne la question identitaire. Les phénomènes d’islamophobie, de rejet de la « gauche radicale », de lutte contre les assistés sociaux, la haine du multiculturalisme, des accommodements raisonnables ou du pluralisme en général sont beaucoup plus visibles au sein de la droite francophone, qu’elle soit souverainiste (PQ), autonomiste (CAQ) ou libertarienne (PCQ). Ils forment ensemble, de concert avec une multiplicité d’organisations civiles, médiatiques et politiques, un nouveau parti idéologique, un front nationaliste et conservateur qui pourrait prendre de l’ampleur dans les années à venir.
Il ne faut jamais sous-estimer le rôle des « intellectuels organiques » dans la constitution d’un nouveau bloc social, qu’ils soient irréfléchis comme Martineau, prétentieux comme Bock-Côté, bagarreurs comme Duhaime, rusés comme Péladeau ou discrets comme Pouliot. Ceux-ci ne dirigent pas ce processus, mais développent un discours relayé par un important réseau d’organisations civiles, médiatiques et culturelles, qui permet d’offrir une conscience homogène de l’identité collective de diverses classes sociales réunies dans un même processus historique. L’avenir du nationalisme conservateur, en tant que nouvelle formation sociohistorique du XXIe siècle, reposera donc sur la tension, l’articulation voire la fusion entre les deux principales idéologies de la Nouvelle droite québécoise : le nationalisme identitaire et la pensée libertarienne.