Un projet de réforme constitutionnelle initial a été déposé par le président vénézuélien Hugo Chavez le 15 août 2007. De larges consultations ont ensuite eu lieu, et l’Assemblée nationale du Venezuela a amendé et ajouté au projet initial, adoptant le projet de réforme final le 2 novembre, soit un mois avant le référendum sur la question qui aura lieu le 2 décembre.
Le référendum comportera deux blocs : le premier, celui des 33 articles initiaux, dont quelques-uns ont été bonifiés, soumis par le président suite aux travaux d’un groupe de travail sur la question ; le second, les 36 articles supplémentaires ajoutés par l’Assemblée nationale suite aux consultations. L’ensemble des modifications proposées figurent, en espagnol, à l’adresse suivante.
Ayant préalablement discuté du premier bloc, ce texte ne vise qu’à présenter les faits saillants des quelques amendements à ce bloc initial et surtout les ajouts qui constituent le second bloc de réforme. Une synthèse de ceux-ci figure en annexe du présent article. Puis, j’aborderai dans un second temps les arguments de l’opposition vénézuélienne.
Les dispositions les plus intéressantes de la seconde phase de la réforme concernent la démocratisation des structures de pouvoir universitaires, l’élimination de la disposition consacrant les droits de propriété intellectuelle et l’intention constitutionnalisée de promouvoir l’intégration continentale en Amérique Latine.
La démocratisation complète et sans compromis des universités, bien qu’elle ait été critiquée par les autorités en place, doit être saluée. En effet, le Venezuela renoue avec les fondements démocratiques de l’université où, au Moyen Age, les autorités étaient élues par les étudiants. Dans le cas vénézuélien, tous les membres de la communauté universitaire, qu’ils soient enseignants, travailleurs ou étudiants, détiendront un droit de vote de poids égal pour élire les autorités universitaires. Les professeurs, dont les intérêts corporatifs les mettent en conflit d’intérêt au sein des universités, seront dorénavant de facto soumis à la volonté démocratique des étudiants, représentants des citoyens à l’université. Après l’expérience des premières universités indépendantes du Moyen Age, les pouvoirs sociétaux dominants, l’Église, l’État et l’Économie, ont rapidement mis la main sur l’université. Le projet vénézuélien restaure ainsi, d’une certaine manière, l’indépendance originelle des universités.
Le retrait de la disposition consacrant le droit de propriété intellectuelle, et son remplacement par une disposition visant à assurer que tous peuvent jouir des bienfaits de la science, la technologie et la connaissance, elle aussi, ne peut qu’être saluée. Remarquons que le retrait de la disposition ne crée pas une situation de vide juridique, mais plutôt renvoie la question au législatif avec une orientation et un but clair : mettre la connaissance au service de l’intérêt général.
Enfin, bien qu’il ne s’agit que d’une déclaration d’intention constitutionnalisée, la volonté exprimée de renforcer et consolider l’Amérique Latine en tant que bloc politique et économique va dans le bon sens. Le baume de l’unité est la seule solution possible pour guérir le mal chronique de l’exploitation qui a frappé l’Amérique Latine depuis les temps coloniaux jusqu’au présent néo-colonial. Le Québec, si un jour, lui aussi, se libère de son état de néo-colonie à l’intérieur du Canada, devrait aspirer à participer à cette reconstruction continentale.
Quant aux autres dispositions du second bloc de réforme, la majeure partie ne font qu’approfondir les idées maîtresses de la proposition initiale ou apportent des changements somme toute mineurs. Les opposants à la réforme ont surtout insisté sur l’amendement rendant possible de supprimer le droit à l’information lors des états d’exception. Pour comprendre cette disposition, il faut connaître le passé éthiquement pervers des médias privés vénézuéliens qui ont notamment activement participé au coup d’État de 2002 par la fabrication de fausses informations au profit des putchistes.
Ils continuent par ailleurs cette tradition d’information biaisée ou fabriquée. L’un des faits cocasses de cette campagne, a sans doute été le « sondage » de la firme Mercanalisis. Ce sondage donnait un appui très fort au camp du « non ». Il a d’abord paru dans les médias écrits, électroniques, puis, ensuite, a été repris notamment sur la chaîne Globovision. Les différents éléments de la réforme étaient alors traités de manière plus détaillée. Or, il appert que ce sondage diffusé largement dans les médias vénézuéliens, j’en suis témoin, était truqué. Il avait été mené par entrevue auprès de 600 personnes dans cinq villes vénézuéliennes, reconnues pour être anti-chavistes, en ignorant complètement les zones rurales, où l’appui à Chavez est fort. Il n’avait donc rien de représentatif dans ce sondage. D’autres « sondages » rapportent aussi que les taux d’appuis au « oui » ont diminué, mais omettent volontairement les indécis et les « non ». Cela donne l’illusion qu’une minorité appuie la réforme, alors qu’il s’agit en fait d’une majorité parmi les décidés.
Les médias donnent aussi une importance démesurée aux manifestations ou opinions du « non ». Ils parlent « des étudiants » qui sont dans la rue, alors qu’il y a toujours deux camps ; les mouvements étudiants chavistes affirment en fait qu’une forte majorité des étudiants vénézuéliens appuie la réforme, mais ils incluent les étudiants des missions vénézuéliennes axées sur l’éducation supérieure et qui rejoignent de larges couches adultes, plus âgées, de la population. Voyons un peu quels sont les arguments de l’opposition, repris allègrement dans les médias vénézuéliens.
L’opposition et son argumentaire
Il faut tout d’abord dire que l’opposition vénézuélienne est assez éclectique. Il y a deux types d’acteurs : les opposants typiques, et les gens ou mouvements qui s’écartent à tort ou raison de l’orthodoxie chaviste. Parmi les premiers, naturellement, viennent tout d’abord les maîtres de la néo-colonisation, les riches, donc les intérêts d’affaires au Venezuela, les médias, les étudiants d’universités privées et le haut clergé. Parmi les transfuges, ceux qui ont récemment passé du côté de l’opposition, mentionnons le parti Podemos, qui est représenté au Parlement, et Raúl Baduel, ancien ministre de la Défense sous Chavez. Ce ne sont que des exemples hauts placés, il y en a sans doute d’autres moins médiatisés.
L’argumentaire des premiers tend plus vers le rhétorique ridicule, sans fondement, tandis que les autres, eux, ont des arguments qui ont une plus grande pertinence. Les arguments des seconds sont les derniers de la liste suivante, qui énonce les principaux arguments de l’opposition : le Venezuela serait en train d’adopter le modèle socialiste cubain, la réforme mettrait en péril les droits et libertés de Vénézuéliens, la nouvelle constitution renforcerait l’autoritarisme, voir instaurerait la dictature, l’on parle de coup d’État constitutionnel, l’on affirme que la réforme modifie la structure fondamentale de la Constitution et donc qu’elle devrait se faire par la voie d’une constituante et, enfin, l’on demande le report de la date référendaire pour approfondir le débat sociétal.
Le Venezuela serait en train de se transformer pour devenir comme Cuba. Parmi les perles de démagogie pour justifier cette idée, mentionnons l’argument massue : le Venezuela a un Conseil d’État (un organe ad hoc consultatif et impuissant) et la réforme propose de créer un poste de premier vice-président, deux éléments que l’on retrouve également dans l’organigramme des structures de pouvoir cubains. Vous n’êtes pas convaincus ? Moi non plus.
La réforme mettrait en péril les droits et libertés des Vénézuéliens. Tant l’Église que l’opposition clame cela, mais on n’explique pas en quoi ? Sans doute une recommandation d’un « focus group ».
La nouvelle constitution renforcerait l’ « autoritarisme », voire instaurait la « dictature ». Il s’agit d’un argument perpétuel dans la bouche des opposants au Venezuela. Pourtant, comme le remarquait un prêtre dans une sortie contre son chef, le cardinal Jorge Urosa, peut-on questionner la montée du cardinal aux barricades pour dénoncer l’autoritarisme, lui qui est dûment élu par la voix unique du pontife romain ?
Il est vrai que les pouvoirs du chef d’État sont renforcés, sensiblement, mais Chavez reste élu, avec une majorité écrasante, 62 % lors des dernières élections de décembre 2006, et avec une bande de marionnettes du capital comme les médias, les politiciens et le haut clergé de bas étage, l’on peut presque s’en féliciter. Reste qu’il est vrai qu’il y a des éléments critiquables à la réforme : nomination du chef du District Fédéral de Caracas par le président, mandat présidentiel de sept ans (c’est un peu long, mais il y a une procédure de révocation à mi-mandat) et augmentation du pourcentage de signatures nécessaires pour les procédures d’initiative populaire. Pour comprendre le premier point, il faut rappeler qu’au moment du coup d’État éphémère de 2002 contre Chavez, le maire de Caracas d’alors avait joué un rôle central, notamment par le contrôle de la police métropolitaine responsable de 19 mort le jours du 11 avril 2002.
La réforme serait un « coup d’État constitutionnel ». Eh bien, là ce sera le premier coup d’État soumis à l’approbation référendaire ! N’y a-t-il pas, par ailleurs, un certain trou béant entre le terme « coup d’État » et l’adjectif « constitutionnel » ? Certains semblent cependant utiliser cet argument de manière rhétorique pour alléguer que la réforme serait viciée au niveau de la procédure. Analysons les deux derniers arguments pour y voir plus clair.
La réforme modifierait « la structure et les principes fondamentaux » de la constitution, ce qui, selon les articles 342 et 343 de la présente constitution, nécessiterait de convoquer une Constituante. Le fondement de l’argument est que l’utilisation occasionnelle de l’adjectif « socialiste » dans la constitution – l’on parle d’économie socialiste, de démocratie socialiste, de valeurs socialistes – limiterait le pluralisme politique. Or, ces utilisations n’ont aucune conséquence effective sur le pluralisme politique, qui reste l’un des fondements de la constitution vénézuélienne. Les fondements, en fait, sont énoncés dans les articles 1 à 9, qui ne sont pas modifiés par la réforme, le socialisme n’est donc pas mentionné en tant que principe fondamental, alors que le pluralisme politique, lui, l’est. Le Venezuela reste une démocratie, mais la réforme constitutionnalise le rôle des instances participatives, ce que prévoit par ailleurs les principes fondamentaux à l’article 4, et elle permet – reste à savoir ce que l’on en fera – la propriété dite sociale. Je ne crois pas qu’on peut qualifier ces altérations de modifications à « la structure et aux principes fondamentaux » de la Constitution vénézuélienne, bien que, il est vrai, la réforme constitue un changement substantiel.
Ce qui nous amène au dernier argument : la date du référendum devrait être reportée pour approfondir les délibérations sociétales sur la question. Ici, j’admettrai, l’opposition a un peu de sagesse. La réforme aurait, à mon avis, bénéficiée d’une extension de la période de délibérations sociétales, du fait, notamment, de la substantialité et de la complexité de certains enjeux. Il faut cependant dire qu’il y a eu consultation, et les bonifications apportées par l’Assemblée nationale témoignent tout de même de l’ouverture à la discussion et la prise en compte des divers opinions ou avis exprimés. Il faut croire, de toute manière, que le fond de la question, pour les votants, finalement, en est une de confiance. Veulent-ils ou non que Chavez puisse être rééligible, l’habiliter à approfondir la révolution bolivarienne et lui donner les pouvoirs pour remettre à sa place, si nécessaire, l’opposition traditionnellement perverse ? Je voterai symboliquement, à défaut de nationalité, pour le « oui ».
ANNEXE :
Synthèse des amendements à la proposition initiale de réforme et des ajouts effectués suite aux consultations.
Les changements considérés « négatifs » ou discutables sont précédés d’un double-trait (—). Mention est également faite lorsqu’il s’agit d’un amendement aux propositions du premier bloc de réforme.
Pouvoirs du président
— Le District métropolitain de Caracas devient le District Fédéral de Caracas, dont le chef est nommé et démis par le président (premier bloc, 16).
– Possibilité de supprimer le droit à l’information durant les états d’exception (337) ; l’Assemblée nationale devient la seule institution capable d’approuver le décret d’état d’exception, la Cour suprême n’a plus la fonction de juger de la constitutionnalité du décret (339).
– Possibilité pour le président d’attribuer à des députés des charges exécutives ; ils renoncent cependant alors temporairement à l’exercice de leurs charges législatives (191).
Démocratie
– Réduction de l’âge du droit de vote de 18 à 16 ans (64).
– Démocratisation complète des universités pour l’élection des autorités universitaires sur le principe d’une personne un vote pour l’ensemble du personnel enseignant, des travailleurs et des étudiants (109).
– Financement annuel minimal des organes communaux de pouvoir populaire fixé à 5% du budget annuel de l’État central, les États reçoivent, eux, 25%, mais doivent distribuer 20% de l’ensemble de leur budget à leurs municipalités (premier bloc, 167). En 2008, ce 5% devrait représenter près de 2.5 milliards de dollars. La forte croissance économique du Venezuela et l’augmentation constante de la part des dépenses gouvernementales par rapport au PIB font que ce plancher de financement devrait monter les étages assez rapidement au cours des prochaines années.
– Participation des représentants du pouvoir populaire aux comités de pré-sélection des magistrats de la Cour suprême (264), des recteurs du Conseil électoral national (295), du Défenseur du Peuple (Defensor del Pueblo, ombusman), du Contrôleur général de la République, du Procureur fiscal de la République (Fiscal general) (279) et des contrôleurs fiscaux des États (163).
— Hausse des seuils nécessaires pour les différentes formes d’initiatives populaires ou de rappel populaire prévues dans la constitution vénézuélienne, mais réduction du seuil nécessaire pour le déclenchement d’un référendum par l’Assemblée nationale d’une supramajorité des deux tiers à la majorité simple (71, 72, 73, 74).
— Élimination de l’initiative populaire directe pour les amendements constitutionnels, l’initiative populaire initiée par 20% des électeurs inscrits, au lieu de 15%, doit dorénavant être approuvée par l’Assemblée nationale à la majorité simple (341), le pourcentage d’électeurs inscrits pour initier une réforme constitutionnelle, elle aussi déjà indirecte, mais plus substantielle, passe de 15 à 25% (342) et, pour convoquer une Assemblée nationale constituante, de 15 à 30% (348).
– Réduction de la majorité nécessaire à l’Assemblée nationale pour destituer un magistrat de la Cour suprême, pour faute grave, des deux tiers à la majorité simple (265).
– Interdiction pour les militaires actifs d’exercer des fonctions partisanes (premier bloc, 328).
Propriété
– Remplacement de la disposition constitutionnelle reconnaissant et protégeant le droit de propriété intellectuelle par une disposition reconnaissant « les droits de tous et toutes de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, à jouir des arts et à participer au progrès scientifique, technologique et (à jouir) des bénéfices qui en résultent. » (98)
– L’exploitation des hydrocarbures se fait directement par l’exécutif, par des entreprises ou entités dont il est le propriétaire unique ou par des entreprises mixtes où il détient le contrôle et la majorité des actions (premier bloc, 302).
– Interdiction de privatiser partiellement ou totalement la PVDSA (Petróleos de Venezuela) et les entités ou entreprises publiques qui oeuvrent dans les domaines réservés à l’État (303).
– Précision des attributions d’usage, de jouissance et de disposition concernant le droit de propriété individuelle (premier bloc, 115).
International
– « Promotion par l’État de l’intégration, la confédération et l’union de l’Amérique Latine et des Caraïbes avec l’objectif de constituer un grand bloc régional de pouvoir politique, économique et social » (153).
Autres
– Insertion d’une disposition voulant que le système carcéral vise la réhabilitation des détenus (272).