Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

Quelques éléments pour comprendre le conflit en Côte d’Ivoire

La situation en Côte d’Ivoire ne cesse de se durcir. Le perdant des récentes élections refuse de céder son siège et tient le gagnant en résidence (étroitement) surveillée. Laurent Gbagbo n’a plus le pouvoir mais a la force armée à son service. Allassan Ouattara, se trouve dans la situation absolument inverse.

La stratégie de Laurent Gbagbo, diviser pour régner,

Après avoir manœuvré depuis plus de 10 ans pour obtenir et garder le pouvoir, même au prix d’une guerre civile entre 2000 et 2004, Laurent Gbagbo poursuit la même politique en ce moment. Pour cela il est prêt à toute éventualité, fut-ce une nouvelle guerre civile. Il semble qu’il puisse compter sur ses alliés sur le terrain, soit une partie de la classe capitaliste ivoirienne. Ce sont ceux et celles qui ont fait des fortunes grâce à la culture du cacao et l’exploitation des travailleurs-euses des plantations [1]. La Côte d’Ivoire est le principal producteur de cacao au monde.

La lutte politique dans ce pays est la lutte pour le contrôle cette filière de production : qui la contrôle, contrôle aussi les revenus générés par le commerce des engrais, du transport, des ports, etc. Cela représente beaucoup d’argent accaparé par une fraction de la classe capitaliste ivoirienne puisqu’il n’y a plus beaucoup d’étrangers impliqués dans cette production. [2]

Cette partie des Ivoiriens-ennes est relativement concentrée dans le sud du pays et s’y considère comme autochtone. Elle est principalement chrétienne et animiste.

Pour arriver à ses fins, elle a développé le concept chauviniste d’Ivoirité qui lui permettrait d’évacuer du champs politique et économique, la population du nord, musulmane, et issue principalement des vagues immigrantes des années 50 et 60. Allassan Ouattara est issu de cette lignée ; sa mère serait d’origine Burkinabée et a été, sur cette base, exclu des dernières élections en 2005.

Autrement dit, la situation actuelle s’est construite au fil des ans et des pouvoirs, à commencer par le pouvoir colonial français. Car, c’est avant l’indépendance que la décision à été prise de spécialiser la Côte d’Ivoire dans la production du cacao. Les investissements nécessaires ont été faits, et des travailleurs-euses des autres pays des colonies françaises ont été introduits sur le territoire. Ils se sont principalement installés dans le nord. Voyant que cette politique créait des problèmes, notamment par rapport au domaine foncier, l’administration du temps a tenté de freiner le processus. Des petits propriétaires terriens ont été évincés pour agrandir les surfaces à mettre en culture. Mais après l’indépendance, le nouvel homme fort au pouvoir, Houphouët-Boigny est revenu aux vieilles pratiques. Il fallait absolument installer le pays comme premier producteur de cacao au monde.

Ce mouvement migratoire fait qu’aujourd’hui, la moitié de la population ivoirienne en est issue : 10 millions sur 20. Ceux et celles qui se définissent comme autochtones, estiment avoir été léséEs par ceux et celles encore désignéEs comme étrangerEs. Ce sont, en majorité, les supporters de Laurent Gbagbo.

Cette politique a quand même donné des résultats économiques importants en Côte d’Ivoire jusque dans les années soixante-dix. On a parlé, à juste titre du miracle ivoirien. Cette prospérité a permis à une classe moyenne de se développer et a encore attiré plus de populations des pays voisins. La baisse drastique des prix mondiaux du cacao et du café notamment à la bourse de Londres en 1978 et la politique des ajustements structurels mis de l’avant par la Banque mondiale et le FMI au début des années quatre-vingt, a mené à une paupérisation importante de la population et notamment de la classe moyenne. L’espace et les conditions pour des revendications économiques étaient créés et les oppositions entre populations ont pu être instrumentalisées. Il s’agit de réduire le nombre de citoyens-nes ayant droit au gâteau de plus en plus petit et ainsi s’assurer une base électorale indéfectible ou presque. Il s’agit aussi d’éliminer toute opposition surtout celle ayant des racines étrangères.

Les agents extérieurs

Laurent Gbagbo ne cesse de répéter que la non reconnaissance de sa victoire aux élections du 28 novembre dernier est une forme de coup d’État de la part de la communauté internationale en premier lieu l’ONU (qui y maintient une force d’interposition depuis la guerre civile) et la France très présente dans le pays.

Il est vrai que tous les pays ou presque ont déclaré que la victoire allait à Allassan Ouattara, les États-Unis en tête. En comparant les calculs des votes faits par la Commission électorale indépendante et ceux faits par les représentants de l’ONU, il serait avéré que les bulletins de nombreux bureaux du nord auraient été écartés par la Commission, renversant les résultats en faveur de M. Ouattara.

Mais l’administration américaine n’est pas unanime dans cette affaire. Il y a une division notoire entre le Président Obama et la secrétaire d’État, Mme Clinton et son entourage dans le parti Démocrate. Laurent Gbagbo a voulu profiter de cette situation pour mener une campagne de lobbying en sa faveur aux Etats-Unis et présenter son gouvernement comme transparent et démocratique. Pour ce faire il a embauché Lanny Davis, lobbyiste à Washington et proche du clan Clinton. Il a été conseiller de Bill Clinton à l’époque. Pendant ce temps, M. Gbagbo refusait de répondre aux appels téléphoniques du président Obama.

Il s’avère que M. Davis, qui a finalement démissionné le 30 décembre dernier, a aussi joué un rôle non négligeable dans le coup d’État au Honduras pour que l’actuel gouvernement y réussisse sa manœuvre anti-démocratique. Il est aussi au service du vieux dictateur Nguerna qui dirige la Guinée équatoriale depuis 30 ans, avec le même genre de mandat : présenter ce gouvernement aux élus et aux compagnies américaines sous le meilleur jour possible.

Sa démission indique que la Maison Blanche a eu le dessus sur le département d’État, et les quelques temporisations que semble mettre de l’avant Laurent Gbagbo ces jours derniers viennent probablement de ce qu’il sent ses arrières un peu moins solides de ce côté-ci de l’Atlantique.

La France n’est pas un joueur mineur dans cette affaire. Si les intérêts économiques français ont presque disparu dans le secteur du cacao il n’en est pas ainsi dans tous les secteurs, loin s’en faut. Ils contrôlent d’autres secteurs névralgiques dont celui de la fourniture d’eau. Et le nombre de Français-es travaillant et vivant en Côte d’Ivoire n’est pas négligeable. La mère patrie est toujours prête à récupérer ses enfants en cas de besoin. C’est elle (Opération Turquoise) qui a séparé les belligérants lors de la dernière guerre civile et qui forme en ce moment une forte partie des effectifs de la force de paix de l’ONU. Et la Côte d’Ivoire demeure une base importante pour sa politique africaine.

Conclusion

La population ivoirienne, quelle que soit son statut et ses origines redoute une guerre civile. Des milliers de personnes se sont déjà réfugiées au Libéria et en Sierra Leone, pays en paix relative en ce moment mais d’une pauvreté notoire. Est-ce que cet afflux de réfugiéEs n’y mènera pas à des tensions graves ?

Par contre, l’état actuel de ces deux pays, la politique menée par leurs dirigeantEs fait qu’ils ne peuvent, comme cela a été le cas dans le passé, financer et alimenter une guerre chez leur voisin. Mais les dernières informations indiquent que M. Gbagbo y aurait recruté des mercenaires actuellement présents en Côte d’Ivoire. [3]

Ceux et celles qui sont encore au pays essuient en plus, une hausse des prix généralisée extrêmement sensible.

Déjà dans le pays, l’ONU et la communauté internationale dénombrent plus de 200 victimes de non respect des droits humains allant des emprisonnements sans accusations, aux disparitions, aux meurtres et tortures. Ces exactions seraient l’œuvre du camp Gbagbo qui rejette ces allégations en bloc.

Est-ce qu’en plus, M. Gbagbo commence à souffrir des sanctions financières que lui impose la communauté internationale ? Ses proches sont également touchéEs. Comment payer l’armée, une bonne partie des fonctionnaires et autres supporters quand les coffres se vident ?

Un éditorialiste de l’hebdomadaire Burkinabé, San Finna [4] s’élève contre la solution proposée par le président Obama : offrir à Laurent Gbagbo l’immunité, des compensations financières avec installation aux Etats-Unis. Il est même question d’un poste dans une université… M. Gbagbo est sous le coup d’accusations graves en rapports avec les droits humains et référé à la Cour pénale internationale.

Ce journaliste soulève l’attitude raciste qui selon lui est sous-jacente à ce genre de proposition, même chez l’actuel président américain : <…parce qu’il est Barack Obama, président des Etats-Unis…il peut ainsi s’asseoir sur la dignité d’un Africain ? …Quand il promet avec ses autres Pairs occidentaux que Gbagbo sera dispensé de la Cour pénale internationale s’il accepte de quitter le pouvoir…Qu’est-ce qu’il s’imagine ?... Que l’Africain n’est qu’un être vil qui pour une corruption bien soutenue trahirait Père et Mère ? …J’en suis malade…. ! [5]


[1Prof. Horace Campbell, University de Syracuse, sciences politiques et African American Studies,
Sur democracynow.org, 27-12-2010

[2François Ruf, économiste, Centre de coop. internationale et de recherche agronomique pour le développement. Dans, Les matins, France Culture.fr, 20-12-2010

[3Radio Canada radio et télé, 4-01-11

[4Qui est en faveur de L. Gbagbo,

[5Revue de presse internationale, Les matins, France Culture, 4 janvier 2011

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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