De part et d’autre, on évite le nœud du problème : cette violence qu’on ne saurait voir.
Je ne souhaite absolument pas faire l’apologie de la violence, mais il faut bien reconnaître que notre désir de vivre dans une société complètement pacifiée, sécuritaire, nous amène à nier ou à refouler la violence de notre système social et économique ainsi que la violence qui nous habite individuellement.
Tout d’abord, comment ignorer toute la violence sur laquelle notre société s’est bâtie : de l’extermination des peuples des Premières Nations à celle des patriotes et jusqu’à l’exploitation de la classe ouvrière. De Sacco et Vanzetti à Rosa Luxembourg, combien de militants pour la justice sociale sont morts assassinés par des polices d’État ? Comment ne pas penser aussi à l’esclavagisme dont les répercussions se traduisent encore aujourd’hui par un clivage social qui mène à des meurtres racistes chez nos voisins du sud.
La fable contemporaine préférée des défenseurs de l’ordre établi est de prétendre que l’époque de la violence est révolue et que nous sommes parvenus à l’ère de la paix et de la démocratie. Dans ce cadre de pensée il est évident que tout acte violent est du terrorisme (sic), et que toute contestation des fondements de l’ordre politique et économique est une dangereuse hérésie. C’est d’ailleurs de terroristes que Donald Trump qualifie les manifestants de Black Lives Matter.
Le hic c’est que ce n’est qu’une fable. ToutE citoyenNE vivant dans un pays occidental et qui se nourrit, se vêt et conduit une voiture est aujourd’hui co-responsable de beaucoup de souffrance et de morts à travers le globe, des réfugiés climatiques aux enfants écrasés par les décombres de manufactures en ruines, en passant par les assassinats de défenseurs de la faune et de la flore de ce qui nous reste de milieux naturels sur la Planète parce que notre soif de ressources est intarissable. Il ne faut pas croire que la souffrance n’est réservée qu’aux pays du tiers monde, nous l’avons en partie délocalisée, mais, bien que de manière plus discrète et subtile, on meurt encore de pauvreté et d’isolement chez nous.
Il faut donc être réaliste : la violence est.
Pour revenir au documentaire « Les Rose », c’est exactement ce qui nous est décrit avant d’en venir aux événements d’octobre 70 : les enfants qui dorment sur la terre battue et qui meurent de faim et de froid durant l’hiver, les ouvriers qui donnent leur vie à l’usine pour un salaire de crève faim, … Ce sont les conditions objectives de la révolte, et, logiquement, la révolte advient. Peu importe son ampleur, ce sera toujours déjà trop pour les défenseurs de l’ordre établi. Pour le bourgeois, une vitrine de banque qui éclate sous l’impact d’une brique c’est un affront qui ne se pardonne pas. Pour le conservateur, l’existence même de l’anarchiste est une anomalie sociale qui ne saurait être réprimée trop durement.
Forcément, pour ces capitalistes, toute violence contre le système est perçue comme un danger mortel, alors que toute violence exercée par le système est nécessaire au maintien du corps social qui, comme telle, ne sera probablement même pas perçue par ces derniers comme une violence, mais plutôt simplement comme l’application normale de l’ordre des choses.
Or, c’est justement parce que nous souhaitons éviter la violence qu’il faut la reconnaître sous toutes ses formes, en particulier celle effectuée par la société sur les minorités puisque s’il y a asymétrie, c’est en faveur de la société qui est beaucoup plus puissante.
Socialement parlant, c’est la société qui détient la puissance du nombre et qui impose ses normes par la force. La force qui dit : tu iras travailler à faire ce que je jugerai bon si tu ne veux pas mourir de faim. Les révoltes et les violences qui émanent de la population sont à la mesure de la violence que la société a dû déployer pour imposer ses normes, sans même parler du fait que la puissance de la multitude est généralement captée par un petit nombre qui en use au nom de tous mais au profit de peu.
Ainsi, du point de vue social, la question de savoir si les Rose sont allés trop loin est secondaire. Ce qui compte réellement est de comprendre les ressorts de l’histoire. C’est exactement ce que refusent de faire ceux qui accolent le stigmate de « terroristes » à ceux qui s’attaquent au système plutôt que de percevoir leurs actes comme faisant partie d’un mouvement historique dont l’ampleur est directement proportionnelle à la grandeur des forces qui s’affrontent, dans ce cas-ci : le désir d’auto-détermination d’un peuple face au désir de domination d’un autre.
Mais il est possible, et c’est la seule manière acceptable, de contester de manière pacifique et démocratique, diront-ils. Ce qui nous ramène à la question de la légitimité ou non du recours à la violence. Notons d’abord, que la société, elle, ne se gêne pas. Les « démocraties » ont fait plus de morts à travers le monde que le « terrorisme ». On n’a qu’à penser à tous les Africains morts dans des guerres d’indépendances contre des pays « démocratiques » du nord, aux crimes de guerre américains au Vietnam et en Iraq, à l’occupation de la bande de Gaza par l’armée Israélienne, à tous les ouvriers morts d’épuisement sur l’autel du capital, etc.
Ensuite, n’estimons-nous pas la violence comme légitime dans certains cas ? Pensons aux cas de légitime défense par exemple, ou encore au fait que la plupart des parents se diraient probablement prêts à être violents pour protéger leurs enfants.
Cependant, sortons des cas individuels et revenons aux questions de sociétés. À partir de quand est-il légitime de prendre les armes pour protéger son groupe social et sa culture ? Les groupes des Premières Nations qui ont pris les armes pour résister aux colonisateurs avaient-ils tort ? Les pays africains qui ont pris les armes pour revendiquer leur indépendance face aux puissances occidentales avaient-ils tort ?
Il faut sortir d’une vision angélique du monde et reconnaître que les groupes sociaux sont violents les uns envers les autres et que les individus subissent aussi la violence normative du groupe auquel ils appartiennent. Dans ce contexte, la réaction violente d’un individu ou d’un groupe d’individus aux pressions extérieures ne doit pas être démonisée, c’est un résultat de l’oppression. Et lorsqu’une révolte se produit, l’ordre de grandeur de la répression qui s’ensuit est une bonne mesure de la distance qui nous sépare encore de la vraie démocratie.
De toute évidence, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir. Se fermer les yeux devant la violence de nos sociétés capitalistes ne mènera qu’à plus d’oppression et plus de révoltes. Si nous souhaitons réellement parvenir à cette société juste et conviviale dont nous rêvons, il faut regarder en face la violence inhérente à l’histoire et chercher à la combattre en mettant en place une réelle démocratie et des mécanismes permettant des perspectives équitables d’épanouissement pour tous les individus et toutes les communautés de la Planète.
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